La France a été orthodoxe pendant pratiquement mille ans. En 1054, lors du grand schisme entre orient et occident, la France, qui était totalement sous la coupe de Rome s’est inscrite dans la logique latine et occidentale et est tombée dans le schisme et l’hérésie. De ce simple fait historique, on peut retirer la dimension orthodoxe et chrétienne de la France pendant une très grande partie de son histoire en tant que patrie constituée. Mais on ne peut pas retirer la dimension chrétienne de la France. C’est une des immenses complexités de cette affaire d’orthodoxie française. Ramener l’orthodoxie en France ne participe pas du même contexte que d’apporter l’orthodoxie dans un pays dont le substrat n’est pas directement chrétien, comme dans certaines zones d’Asie ou d’Afrique par exemple. Le Christianisme en France est présent, ne serait-ce que du point de vue culturel. Les français connaissent déjà le Christ, Marie, les saints, etc. Ils en ont simplement une vue doublement biaisée : premièrement par le catholicisme romain qui tord plus ou moins la réalité des choses en fonction de ses déviations (le cas du catholicisme français et de l’inventaire historique à faire vis-à-vis de lui pour l’orthodoxie française est un sujet en soi, que je ne traite pas dans ce billet), et deuxièmement par la relativisme moderne athée qui fait des ravages dans notre pays aujourd’hui.

En plus du contre-témoignage du catholicisme et de la modernité sur le Christianisme, il y a également à prendre en compte le témoignage de l’Orthodoxie en occident. Ou plutôt le contre-témoignage. Ce contre témoignage est multiple. Tout d’abord dans la première tentative d’une Orthodoxie française, qui est surtout centrée autour de l’ECOF et de ses deux évêques historiques : Jean Kovalevsky puis Germain. Second contre témoignage : l’ethno-phylétisme actuel et l’attitude des patriarcats dans la gestion d’épiciers des diasporas, au mépris des besoins pastoraux purement francophones. Examinons les deux contre témoignages tour à tour.



L’ECOF (Église Catholique Orthodoxe de France) : il s’agit d’une structure qui voit le jour au vingtième siècle, au sein de la diaspora russe en France fuyant le bolchevisme. Cette structure existe encore aujourd’hui, mais il n’est pas juste de l’appeler orthodoxe au sens doctrinal. L’énorme mérite de l’ECOF est d’avoir permis à des français d’accéder à l’Orthodoxie, chose auparavant réservée aux diasporas historiques : russes, grecques, etc. Malheureusement, l’ECOF, au travers de ses deux évêques, n’a pas su garder une doctrine véritablement orthodoxe, et a consacré une énergie formidable dans la « restauration » d’un rite : la liturgie des Gaules, une liturgie vue dans l’ECOF comme ayant été célébrée par Saint Germain de Paris, à l’époque où la France était orthodoxe. Cette liturgie est imaginée comme correspondant davantage aux besoins liturgiques et spirituels des français. La nécessité de cette liturgie ainsi que le cadre de sa restauration sont douteux. Ce qui n’est pas douteux est la collusion avec le new-age, la théosophie et la franc-maçonnerie qu’entretient l’ECOF, ce qui n’est pas possible du point de vue canonique et doctrinal. Il reste à considérer dans cette période, que l’évêque Jean, premier évêque historique de l’ECOF est un personnage complexe, fascinant, qu’on ne peut pas approcher de façon simple et binaire en le cataloguant facilement. Probablement génial par certains aspects, probablement pleinement conscient de la nécessité de créer une orthodoxie francophone, il s’est perdu sur certains aspects et a gardé le dessus sur d’autres. Néanmoins, beaucoup de ceux qui sont orthodoxes aujourd’hui, ont une dette certaine envers lui.



L’ethno-phylétisme des patriarcats actuels : c’est l’œcuménisme qui ronge les hiérarchies patriarcales qui est le grand fautif de cette attitude coupable. Définissons d’abord le terme pour ceux qui le découvrent : il s’agit de faire passer la nation avant l’Église. J’entends par ethno-phylétisme dans le cas présent, que les différents patriarcats sont présents dans les lieux non majoritairement orthodoxes, et s’occupent chacun de « leur » diaspora. Ceci pose donc deux problèmes d’un point de vue pratique. Le premier est que les patriarcats cohabitent de façon non traditionnelle dans les pays. Prenons le cas français : les évêques sont rassemblés à l’intérieur d’une structure qui se veut canonique, et qui l’est difficilement. Cette structure est l’AEOF : assemblée des évêques orthodoxes de France. Et le status quo de cette structure est le suivant : l’évêque roumain (le métropolite roumain en l’occurrence) va s’occuper de tous les roumains sur le territoire national. Sur le même territoire, l’évêque serbe va s’occuper des serbes, le russe des russes, etc. Le droit canon de l’Église ne valide pas cette organisation. Le fonctionnement normal serait de découper la France en diocèses, et que chaque évêque s’occupe de son diocèse et se charge du suivi pastoral de tous les orthodoxes y vivant, indépendamment de leurs origines ethniques. Ceci peut se produire dans les paroisses les plus francophones, bien évidemment. Un russe francophone peut parfaitement fréquenter une paroisse francophone dépendant des roumains. Mais vous avez une politique pastorale très ethnique : beaucoup de paroisses roumaines célèbrent majoritairement en roumain. Les grecs célèbrent pratiquement toujours en grec. C’est donc l’ethnique qui gouverne la majorité de la présence orthodoxe en France. La faute en revient également au peuple. Beaucoup de gens de la diaspora vont chercher à l’Église leur patrie et leur culture perdue. La nostalgie leur coûte la pratique de leur progéniture, la plupart du temps. La pratique égoïste n’est pas quelque chose qui dépasse une génération : les enfants, bien souvent ne goûtent pas trop ces clubs ethniques et quittent la foi. La question ethnique est donc aussi une question de survie pour l’Orthodoxie. Les hiérarques sont également coupables. Mais leurs calculs sont différents. Ils ne sont pas mus par la nostalgie, mais comme je l’expliquais, c’est l’œcuménisme, et les accords passés avec le monde romain qui prévalent : Rome a échangé l’arrêt de l’uniatisme (l’expansion romaine dans le « monde » orthodoxe) contre le non prosélytisme orthodoxe sur « son » territoire. C’est ceci qui confine les patriarcats dans une logique ethnique. Rome accepte que les patriarcats orthodoxes s’occupent de leurs diasporas, car ils sont considérés comme des orthodoxes momentanément sur un « sol romain ». Mais les autres ne doivent pas être les cibles de la mission. Les accords de Balamand sont la meilleure illustration de cette politique « diplomatique » entre le monde romain et le monde orthodoxe. Voici l’article 14, tel que disponible sur la site du Vatican : “C’est la raison pour laquelle l’Église catholique et l’Église orthodoxe se reconnaissent mutuellement comme Églises sœurs, responsables ensemble du maintien de l’Église de Dieu dans la fidélité au dessein divin, tout spécialement en ce qui concerne l’unité. Selon les paroles du Pape Jean-Paul II, l’effort œcuménique des Églises sœurs d’Orient et d’Occident, fondé dans le dialogue et la prière, recherche une communion parfaite et totale qui ne soit ni absorption ni fusion, mais rencontre dans la vérité et l’amour”.

Voici pour le constat. Passons aux perspectives. Il est bien évident que l’Église est le corps mystique du Christ, et pas un troupeau que se partagent des évêques comme on partage un fromage. La seule perspective qui vaille est une perspective en accord avec les commandements du Christ. Le passage qui me semble le plus en accord avec cette notion, est le final de Matthieu : “Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit” (Mt 28:19). Nous devons faire des disciples, et ne pas laisser dans le schisme et l’hérésie, des millions de personnes, sous le prétexte qu’elles sont nées au mauvais endroit. Pour cela, il faut se donner les moyens : le local de célébration liturgique ne doit pas être un don ou un prêt de la part d’un diocèse romain. Il faut être libre de réaliser la mission, sans avoir d’épée de Damoclès sur la tête. Il faut ensuite catéchiser intensément ceux qui sont déjà là, comme ceux qui se présentent. Chaque personne pourra ensuite elle-même réaliser un apostolat à la hauteur de ses moyens. Il faut donc que ceux-ci soient les plus hauts possibles. Il est difficile de discerner une politique pour chaque patriarcat dans ce domaine : cela semble être davantage lié au recteur, ou au catéchète lorsqu’il y en a un. On pourra néanmoins constater que les orthodoxes ethniques, sont la plupart du temps faiblement catéchisés. La mission commence ici : en interne, avant de chercher un rayonnement extérieur.



La célébration devra être à une majorité écrasante en français. Les langues étrangères peuvent se concevoir à de rares instants : Notre Père en plusieurs langues, chants particuliers, etc. La célébration doit allier beauté, rigueur et humilité. Le travail choral doit être acharné, exigeant. Enfin, la doctrine se doit d’être orthodoxe. Cela peut paraître une demande étonnante. J’ai plusieurs expériences d’enseignements donnés en homélie n’étant pas orthodoxes. J’ai plusieurs expériences pastorales hasardeuses mariant amateurisme et lâcheté : peu ou pas de période de catéchuménat, relativisme coupable vis-à-vis de la franc-maçonnerie, etc. Le meilleur moyen d’aider un franc-maçon qui se présente est de lui expliquer qu’il n’est pas possible d’être franc-maçon et orthodoxe, car on ne saurait être chrétien et gnostique à la fois, plutôt que de lui dire que cela n’est pas si grave que cela.

Une paroisse qui refuse de se compromettre dans l’œcuménisme, qui catéchise ses membres, qui a un chœur qui travaille sans répit, et dont la doctrine est droite, et dont la célébration est pratiquement seulement en français, c’est le genre de paroisse dont la France a besoin aujourd’hui. Si Dieu suscite ce genre de paroisses partout en France, il y aura une orthodoxie française. Sinon, comme le prophétisait Père Placide Déseille, l’Orthodoxie aura disparu en France, dans 50 ans.