L’Orthodoxie

l’Eglise

La lumière de la Résurrection pénètre l’Eglise de son rayonnement et la joie résurrectionnelle, celle de la victoire sur la mort, la remplit et l’accomplit. Le Seigneur ressuscité vit avec nous. Notre vie dans l’Eglise est la vie mystique dans le Christ.

Les « chrétiens » portent ce nom précisément parce qu’ils sont christiques, qu’ils sont dans le Christ et que le Christ est en eux. L’incarnation divine n’est pas simplement une idée ni une doctrine, elle est avant tout un événement qui s’est produit une seule fois dans le temps, mais qui possède la puissance de l’éternité. Cette incarnation qui demeure en tant que la réunion parfaite des deux natures, la divine et l’humaine, sans division mais sans confusion, est l’Eglise. Celle-ci est l’humanité du Christ, ou le Christ dans son humanité. Puisque le Seigneur ne s’est pas simplement rapproché de l’homme, mais qu’il s’est identifié avec lui, en devenant homme lui-même, l’Eglise est le Corps du Christ, comme l’unité de la vie avec lui et subordonné à lui.

Le Corps, en effet, est dans un état d’appartenance : sa vie est non pas la sienne propre, mais celle de l’esprit qui la meut. En même temps, il se distingue de celui-ci : il lui est accordé et il reste cependant autonome. Leur unité est non pas celle de l’indifférence (des deux principes), mais celle de leur dualité. Nous exprimons la même idée quand nous nommons l’Eglise la Fiancée du Christ ou l’Epouse du Logos.

Considérée à la limite de sa plénitude, la relation entre fiancés, entre mari et femme, constitue une unité parfaite de vie, toute la réalité de leurs caractères distincts étant néanmoins maintenue. C’est une unité double, que la dualité ne divise pas ni l’unité n’absorbe.


Commentaire/Analyse

le style du Père Serge est toujours très dense, car en très peu de lignes il fait passer des concepts que certains ont étudiés sur des chapitres, voire des ouvrages entiers. Première idée fondamentale : le christianisme, avant toute chose, n’est pas une doctrine mais la réponse à un événement. La doctrine ne vient qu’après, en réponse, en éclairage, en écho. L’événement central, absolu, c’est la Résurrection du Seigneur. Certains pourront voir dans le biblique en général et les Evangiles en particulier, une formulation mythique : conception virginale, résurrection, guérisons miraculeuses, exorcismes, etc. On pourrait se croire dans le domaine du merveilleux. Je ne vais pas digresser sur le mythique ici, car je dois rester sur la pensée du Père Serge (je le ferai néanmoins dans d’autres posts car le sujet est fondamental). Au-delà des éléments « mythiques » du récit, nous avons des éléments historiques que les mythes ne donnent jamais : nous savons où, précisément. Nous savons quand, précisément. Nous avons les noms des acteurs historiques principaux. Nous savons par exemple, via les historiens que Ponce Pilate fut préfet entre 26 et 36 de notre ère. Nous avons aussi des documents historiques concernant les empereurs, les souverains locaux comme Hérode, etc. Les Evangiles sont donc à la croisée des récits « mythiques » et des récits historiques. Le Père Serge prend ici au sérieux, et il a bien raison, l’assertion fragilisante de Paul : si le Christ n’est pas ressuscité, alors notre foi est vaine (ει δε χριστος ουκ εγηγερται κενον αρα το κηρυγμα ημων κενη και η πιστις ημων en 1 Co 15:14). C’est le cœur nucléaire de tout le processus. Le moins qu’on puisse dire, avec un peu de bonne foi, c’est qu’au-delà de la réalité historique de la Résurrection du Christ, que certains pourront vouloir discuter, les premiers chrétiens étaient absolument convaincus de celle-ci. C’est cela qui explique toute l’attitude de ceux-ci en relation avec la mort. La grande ennemie du genre humain avait été terrassée. Il n’y avait plus rien à craindre : ni les soldats de l’empire romain, ni les lions dans les arènes. Pour les premiers chrétiens, dont le sang des martyres a baptisé des foules de plus en plus nombreuses, la Résurrection était bien concrète.

Le Père Serge poursuit avec une notion paulinienne qu’il faut intégrer pour bien lire son chapitre : l’Eglise est le corps du Christ. Ainsi, chaque chrétien fait partie de ce corps. Il fait donc partie d’un corps ressuscité, d’un corps de gloire, sur lequel la mort n’a aucune emprise. Ce corps ressuscité a reçu Sa vie de Dieu, il ne vit pas par lui-même. Ainsi la vie du chrétien est renouvelée, différente. C’est comme s’il se branchait à une nouvelle source de vie. Il se « reconnecte » à la source primordiale. Cela lui garantit l’éternité car cette source de vie, est éternelle. Le Père Serge, dans le sillage de Saint Paul dans Ephésiens donne l’image du couple pour montrer la puissance de cette union. La question sous-jacente ici est : cette union pourrait-elle cesser ? La réponse est non. Dans un mariage solide, seule la mort sépare ceux qui s’aiment. Mais la mort a été congédiée ici. L’union est donc indéfectible et elle permet de commencer à penser les concepts christologiques. La christologie est le mot barbare pour penser l’énigme que représente le Christ. Là où la pensée humaine a tendance à choisir la proposition logique « ou », la doctrine issue chrétienne orthodoxe de la résurrection postule « et ». Le Christ est Dieu et homme. Il n’est pas homme ou Dieu. Ce fut là tout le problème des hérétiques au travers des âges qui ne purent jamais tenir les deux ensembles dans leur pensée. Ou bien Jésus perdait sa divinité, ou bien son humanité. Penser avec le « et » est très dur. La notion d’hérésie est souvent mal comprise. Si on revient au grec, heresia, il s’agit de la notion de choix. Si l’orthodoxe doit penser Dieu et homme en même temps, est hérétique celui qui choisit entre les deux natures. Balayons rapidement les grandes hérésies de l’histoire. Les ariens choisissent la nature humaine. Les nestoriens choisissent aussi la nature humaine à leur façon (c’est une hérésie plus complexe que le simple choix). Les monophysites (et leur nom l’indique avec éloquence) choisissent la seule nature divine. Les monothélites choisissent la nature divine. Ils choisissent en diminuant l’humanité du Christ, qui n’est plus humain dans leur vision. C’est là où l’image du couple paulinienne est particulièrement parlante et bien trouvée. Un couple n’est pas un déséquilibre, il n’est pas une personne seule, il n’est pas la négation des deux, il est l’union des deux. Sans que chacun composant le couple ne disparaisse.