L’Orthodoxie

l’Eglise

L’amour de Dieu, celui du Père pour le Fils et du Fils pour le Père n’est point un attribut ni même une relation : il possède lui-même l’être personnel, il est hypostatique. Il est le Saint Esprit, qui procède du Père vers le Fils, et qui repose sur Lui. Dans le Saint Esprit, le Fils engendré par le Père existe pour lui en tant que né et que bien-aimé, sur qui repose la « bonne volonté » du Père ; et le Fils dans l’amour paternel, connaît Celui qui l’a engendré comme le Père aimant et il l’aime en retour. Dans le Saint Esprit est la joie de l’amour et de la connaissance mutuelle du Père et du Fils, ainsi que son accomplissement. Le Fils n’existe pour le Père que dans le Saint Esprit qui réside en Lui, tandis que le Père se révèle au Fils dans son amour par le Saint Esprit, qui est l’unité de la vie du Père et du Fils. Quant à l’Esprit Saint, étant l’amour des deux, selon la nature même de l’amour, il n’existe dans son être personnel que, pour ainsi dire, en dehors de lui-même, dans les Deux autres, dans le Père et le Fils. Tel est l’amour : il vit en mourant et il meurt en vivant ; être, ce n’est pas être en soi ni pour soi, c’est être dans et par les autres. L’amour rend transparente à autrui sa figure hypostatique et il semble s’effacer alors même qu’il manifeste sa force la plus grande.

Telle est la place du Saint Esprit dans la Sainte Trinité. Le Fils n’existe comme Fils qu’indivisiblement de l’Esprit qui repose sur lui. Ainsi qu’il le dit : « Moi et le Père nous sommes un » (Jn X :30), leur unité hypostatique est l’Esprit qui descend sur lui, qui réside en lui et qui l’oint. Car Jésus est le Christ, l’Oint du Saint Esprit : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, car il m’a oint » (Lc IV :18).


Commentaire/Analyse

Le filioque, avec la place du Pape, est la pierre d’achoppement majeure qui fait perdurer le schisme entre catholiques romains et orthodoxes, depuis 1054. Pour l’anecdote, il ne faudrait pas croire que nous nous soyons séparés ainsi en 1054. En fait, il y eut beaucoup de séparations (qu’on manifeste par des ruptures de communion) auparavant, mais l’Eglise dans sa sagesse et son humilité avait à chaque fois su guérir. 1054 marque le premier schisme que nous n’arrivons pas à guérir, entre Rome et les patriarcats orthodoxes historiques (Constantinople, Antioche, Alexandrie et Jérusalem à l’époque). La place du Pape est pyramidale dans le catholicisme romain, et c’est techniquement, du point de vue canonique, un évêque, qui s’est vu donné le droit d’intervenir dans un diocèse qui n’est pas le sien. Il est en quelque sorte évêque des évêques. Ceci n’est pas acceptable dans le monde orthodoxe, car cela contrevient au fonctionnement canonique de l’Eglise dans le premier millénaire, où chaque évêque est « maître » chez lui. Néanmoins l’orthodoxie connaît des évêques particuliers : métropolites et patriarches, mais nul ne va administrer chez l’autre.

Le deuxième point, sujet de ce post, est davantage abstrait pour le commun des mortels. Lors de la rédaction historique du Credo de Nicée-Constantinople, en 381, la mention sur l’Esprit Saint était la suivante : « et en l’Esprit Saint, Seigneur, qui procède du Père, et qui avec le Père et adoré et glorifié, et qui a parlé par les prophètes » (Καὶ εἰς τὸ Πνεῦμα τὸ Ἅγιον, τὸ κύριον, τὸ ζωοποιόν, τὸ ἐκ τοῦ Πατρὸς ἐκπορευόμενον, τὸ σὺν Πατρὶ καὶ Υἱῷ συμπροσκυνούμενον καὶ συνδοξαζόμενον, τὸ λαλῆσαν διὰ τῶν προφητῶν.). En 431, lors du concile d’Ephèse, l’Eglise unanime avait décidé que ce Credo ne serait plus modifié, et qu’il ne pourrait l’être pour un besoin futur que par l’Eglise unanime, c’est-à-dire par un autre concile œcuménique. Il faut bien comprendre ce que représentent ces conciles du point de vue de l’histoire chrétienne, et du point de vue du fonctionnement interne. Aucune parole ne saurait avoir plus d’autorité qu’un concile œcuménique. Il y en eut sept en tout dans l’histoire, étalés entre 325 et 781. D’autres conciles ont eu lieu en même temps ou après, mais ce ne sont que des conciles locaux, et ils ne peuvent pas venir contredire en quoi que ce soit un concile œcuménique. Œcuménique ne doit pas être compris ici comme la pathétique demande de dialogue des protestants au début du vingtième siècle, mais comme l’expression grecque oekumene, (οἰκουμένη) « toute la terre habitée ». C’est l’Eglise universelle qui s’exprime. Unanimement, chaque patriarcat, chaque diocèse, chaque paroisse déclare ce qu’est la foi commune de tous. Ces conciles furent animés par des titans de l’histoire de l’Eglise et de sa théologie. En 381 à Constantinople, il y avait Saint Grégoire de Nazianze et en 431 à Ephèse, Saint Cyrille d’Alexandrie, qui sont au sommet de la théologie orthodoxe.

A partir de ce donné théologique et canonique, vient quelques siècles plus tard, une décision unilatérale du patriarche de Rome, de modifier le Credo et d’ajouter la mention suivante (en gras) : « et en l’Esprit Saint, Seigneur, qui procède du Père et du Fils, et qui avec le Père et adoré et glorifié, et qui a parlé par les prophètes ». Ce « et du Fils » en latin se dit Filioque. Ceci entraîne deux questions dans une vision orthodoxe : cet ajout est-il permis et est-il correct du point de vue de la théologie ?

Cet ajout est-il permis ? En effet, l’on pourrait vouloir ajouter des choses exactes, qu’il faudrait néanmoins pouvoir les ajouter. Ceci est la problématique liée au Concile d’Ephèse qui avait prévu la modification par l’Eglise unanime. La vision du patriarche de Rome qui modifie de façon unilatérale ce texte, sans convoquer de concile œcuménique, n’est évidemment pas recevable. Cette modification montre que le patriarche de Rome s’est vu comme représentant toute l’Eglise. Ceci est une faute majeure. Faute d’humilité. Le filioque est l’orgueil de Rome. Schismatique repentante, elle devra professer la foi de Nicée Constantinople avant de pouvoir revenir demander le pardon de l’Eglise orthodoxe, Eglise du Christ sur terre. Je suis bien conscient que toute la théologie d’école romaine, tous les chants, tous les ouvrages font référence à ce filioque, mais il doit être enlevé. Il ne saurait y avoir des églises à Credo original et d’autres à Credo modifié comme me l’ont parfois suggéré des catholiques soucieux du problème et cherchant une solution. On ne peut pas mettre dans la balance une décision supervisée par Saint Cyrille d’Alexandre et trois notes de musique de l’Abbaye de Solemnes.

Le Filioque doit donc être enlevé. Mais on pourra, théologiquement, se demander, s’il est correct de se demander si l’Esprit Saint procède du Père et du Fils, et non du Père seul. Si Rome avait respecté le fonctionnement apostolique synodal de l’Eglise, convoqué un concile œcuménique, celui-ci aurait-il dit que l’Esprit Saint provient d’une sorte de double procession, ou d’une procession conjointe ? C’est là qu’il est nécessaire de faire une théologie non émotionnelle. Pour nombre d’orthodoxes, le Filioque est un tel problème, représente une faute d’une telle importance, qu’il est devenu comme une forme d’affirmation d’orthodoxie pleine et entière de professer que le Saint Esprit ne procède que du Père, et qu’il n’est lié en rien au Fils. Plus l’on sépare le Fils et l’Esprit plus l’on est orthodoxe ? Je ne le crois pas. Plus on fait ce genre de théologie, plus on est dans l’affirmation d’une identité par opposition, mais la vérité de la théologie se retrouve finalement reléguée au second plan. Tout ceci est finalement très puéril.

C’est là que l’on voit que le Père Serge fait partie des grands. Il n’est pas dans l’affirmation identitaire stérile, dans la théologie de séparation, mais bel et bien dans la théologie pure, celle qui scrute et cherche à dévoiler. Le Père Serge présente l’amour de Dieu, l’amour du Père pour le Fils et du Fils pour le Père comme « hypostatique. Il est le Saint Esprit, qui procède du Père vers le Fils, et qui repose sur Lui ». Cela ne remet pas en cause la procession hypostatique de l’Esprit ayant comme Source unique le Père. Ceci est enseigné par le Christ dans Jn XV:26 : “Quand sera venu le consolateur, que je vous enverrai de la part du Père, l’Esprit de vérité, qui procède du Père, il rendra témoignage de moi” (οταν ελθη ο παρακλητος ον εγω πεμψω υμιν παρα του πατρος το πνευμα της αληθειας ο παρα του πατρος εκπορευεται εκεινος μαρτυρησει περι εμου ). La faute du filioque est de nier l’unique monarchie de la source. Mais il existe néanmoins des relations subtiles entre Fils et Esprit : il procède du Père vers le Fils et repose sur Lui. Certains théologiens ont développés des concepts très proches de procession « par » qui reviennent finalement au même.

L’argument romain, repris par des grands noms de cette tradition, tels que Thomas d’Aquin, est le passage suivant, souvent appelé Pentecôte Johannique : Jn XX:22 : “Après ces paroles, il souffla sur eux, et leur dit: Recevez le Saint Esprit” (και τουτο ειπων ενεφυσησεν και λεγει αυτοις λαβετε πνευμα αγιον). Dans ce passage on voit clairement le Christ envoyer l’Esprit. Donc, disent les romains, l’Esprit procède aussi du Fils. D’où le filioque. Essayons d’exprimer clairement la faute romaine. Ici, c’est le Christ incarné qui envoie l’Esprit. Nous sommes déjà dans le créé, dans l’immanence du monde. Cette double procession, si on l’admet, s’exprime au travers de la création. Elle ne dit rien de la Sainte et Divine Trinité en soi, en dehors du monde créé. C’est le même « problème » qu’avec le titre de Theotokos. Ce titre n’est entendable que dans la création. Dieu n’a pas de mère, mais quand il s’incarne, pleinement Dieu, Marie est Sa Mère. Il faut savoir considérer Dieu dans le monde et Dieu en Soi. La procession du Saint Esprit en provenance du Père seul, est une problématique trinitaire, qui ne peut pas être altérée par le dévoilement divin dans le monde.