L’Orthodoxie

l’Eglise

Toutefois l’œuvre qui a consisté à ecclésialiser l’humanité en Corps du Christ n’a pas été accomplie par la seule puissance de l’incarnation ni même par celle de la résurrection. « Il vaut mieux pour vous que je m’en aille vers mon Père » (Jn XVI :7). Il y a fallu l’envoi du Saint Esprit, la Pentecôte, laquelle est l’achèvement de l’Eglise. L’Esprit Saint, en langues de feu, est descendu dans le monde et il a reposé sur les apôtres, présidés par la Mère de Dieu et représentant par leur douzaine l’ensemble du genre humain. Les flammes sont restées dans le monde. Elles constituent le trésor des dons du Saint Esprit qui demeure dans l’Eglise. Dans l’Eglise primitive, le don de l’Esprit Saint était conféré par les apôtres après le baptême, à l’évidence de tous ; aujourd’hui, c’est le « sceau du don du Saint Esprit » accordé dans le sacrement de la chrismation (confirmation) qui y correspond.

Ainsi, l’Eglise est le Corps du Christ, comme participation à la vie de Dieu qui est dans la Sainte Trinité, comme vie dans le Christ qui demeure en union indivisible avec la Trinité entière, comme vie dans l’Esprit qui nous rend fils du Père, qui appelle dans nos cœurs : Abba, Père ! et qui nous révèle le Christ qui vit en nous.


Commentaire/Analyse

Ce genre de passage montre que les théologiens n’ont pas peur de créer des mots. Le néologisme théologique est presque un classique dans ce domaine. Cela montre que les concepts qui sont manipulés, sont d’une grande finesse. Les linguistes nous enseignent une chose étonnante : on pense à partir de ce que permet le langage. Ce n’est pas la pensée qui contrôle le langage, mais l’inverse. Ici le Père Serge arrive dans un cas où le langage est limité par rapport à la pensée. Et la pensée théologique qui se déploie en lui n’est pas sous-tendue par le langage. Il lui faut donc créer un mot pour venir l’exprimer. Il est intéressant de considérer la possibilité que l’on voie ici la manifestation de l’Esprit qui parle au travers de lui, en ayant recourt au témoignage du néologisme. Car si les linguistes ont raison, comment pense-t-il ce qui n’existe pas au niveau du langage ?

Revenons au contenu purement théologique. Le Père Serge explique que l’Incarnation et la Résurrection ne sont pas tout dans le plan du salut. Elles mènent à quelque chose. Si l’on peut résumer l’histoire du salut vis-à-vis du Christ, ce serait avant, pendant et après. Avant, vous avez l’attente, la prophétie. Pendant, vous avez son ministère qui comporte les deux phases importantes rapportées par le Père Serge. L’Incarnation marque quelque peu le passage, la limite entre avant et pendant. Et vous avez l’après, qui est l’ère de l’Eglise dont le début est marquée par la Pentecôte. L’Ascension est la charnière entre le ministère du Fils dans le monde et l’ère de l’Eglise. Cette période est finalement la réponse de l’humanité au ministère du Christ. Il s’est présenté à nous avec un projet sotériologique (çad de salut) et nous laisse ensuite la liberté vis-à-vis de notre réponse. Dans ou hors de l’Eglise. Il nous laisse la possibilité d’inscrire nos vies dans quelque chose qui se fera sous la guidance de l’Esprit Saint. Ceci résume bien ce que la théologie orthodoxe nomme initiative et synergie. L’initiative est divine : il crée, il sauve, il guide. Tout vient toujours de Lui. Mais l’homme est vu comme le collaborateur à la création, au plan divin. La synergie est donc cette collaboration, initiée par Dieu, et librement consentie par l’homme.

Autre phrase très importante de ce segment : « Dans l’Eglise primitive, le don de l’Esprit Saint était conféré par les apôtres après le baptême, à l’évidence de tous ». Cette information est importante pour tous ceux qui croient à tort que le baptême est le sacrement qui permet de recevoir l’Esprit Saint. On voit que dans l’Eglise primitive cela n’était pas le cas. Il faut donc considérer ceci avec attention. Dans la conscience ecclésiale de nos pères dans la foi, le baptême marquait l’entrée dans l’Eglise. Il marquait le droit de communier aux Saints Dons. Mais l’Esprit était donné de surcroît. D’ailleurs, il faut bien comprendre qu’il n’était pas donné par les apôtres en tant que possession. « Techniquement », les apôtres, ni aucun chrétien n’est propriétaire de l’Esprit. Les apôtres, et aujourd’hui l’évêque ou le prêtre invoquent l’Esprit pour qu’il descende et vienne résider sur le nouveau baptisé. Non pas que l’Esprit soit réservé aux baptisés exclusivement, mais l’Eglise est cet organisme divino-humain où l’Esprit réside sur chacun. Cela n’empêche pas la liberté du péché, de la négation du baptême. L’homme est libre. De se damner même, si tel est son choix.

Le Père Serge parle ensuite de chrismation en mettant confirmation entre parenthèse. Ceci est un raccourci un peu rapide de sa part. La chrismation est le moment de l’invocation de l’Esprit sur le baptisé. Le baptême lui-même est réalisé au nom de la Trinité, jamais au nom de l’Esprit seul. La chrismation est donc le moment de la réception de l’Esprit et suit l’immersion baptismale de quelques minutes. La confirmation est une pratique non orthodoxe, dans le monde latin où le baptisé va confirmer la validité de son baptême à un âge où il est conscient de ce qu’implique ce choix. En effet, la pratique baptismale est aujourd’hui très majoritairement réservée aux nouveau-nés, ou à des bébés encore trop jeunes pour faire le choix du christianisme par eux-mêmes. La confirmation pose deux questions intéressantes : tout d’abord elle renvoie sans équivoque à la bar-mitsva dans le monde Juif. C’est le moment où le jeune garçon (qui avait été circoncis à huit jours et donc dans la même impossibilité de choix conscient) ou la jeune fille acceptent de vivre selon la Torah. Ceci se passe à 13 ans pour les garçons et 12 ans pour les filles. Deuxième intérêt de la confirmation pour les orthodoxes de diaspora. En effet, ils n’ont pas dans leur pratique liturgique de confirmation, et sont environnés de chrétiens catholiques romains qui la pratiquent. Et on voit qu’ils la demandent. Ceci est laissé à la sagesse des évêques. Nous pouvons en tout cas chaque jour, devant nos icônes, confirmer au Christ notre foi en attendant une pratique liturgique plus « officielle ». Mais on voit bien qu’entre chrismation et confirmation, à part qu’elles sont toutes deux liées au baptême, et qu’elles le suivent (de quelques minutes ou de quelques années), il n’y a pas d’égalité stricte entre les deux.