L’Orthodoxie

l’Eglise

Aussi, avant toute manifestation historique et toute définition, faut-il comprendre que l’Eglise est un donné divin qui demeure en soi et qui est identique à lui-même ; elle est un fait de la libre volonté divine qui s’accomplit dans le monde. En un certain sens, l’Eglise existe, ou elle est donnée, indépendamment de son apparition dans l’histoire. Elle n’y apparait que parce qu’elle est sur le plan divin, surhumain. Elle existe en nous non pas comme une institution ni comme une société : elle est avant tout, en tant qu’une évidence ou qu’une donnée spirituelles, comme expérience, comme vie : « ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, le Verbe de vie – car la vie s’est manifestée, et nous avons vu et rendu témoignage et nous vous annonçons cette vie éternelle qui était au Père et qui s’est manifestée à nous – ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous, et notre communion est le Père et avec son Fils Jésus-Christ » (I Jn 1 :1-3).

La prédication des premiers temps du christianisme est l’annonce, joyeuse et triomphante, de cette vie nouvelle. La vie est indéfinissable, encore que l’on puisse chercher à la décrire et à la définir. Aussi ne peut-il pas y avoir de définition exhaustive et satisfaisante de l’Eglise. « viens et vois » (Jn 1 :46) : l’Eglise ne peut être connue que par voie d’expérience, de grâce, en participant à sa vie. Avant de tenter de la définir de l’extérieur, il convient donc de prendre conscience de l’Eglise dans son être mystique, qui est à la base de toute détermination de l’Eglise, mais qui les déborde toutes. Dans son essence, comme unité théanthropique, l’Eglise relève du monde divin ; elle est en Dieu, et c’est pourquoi elle existe aussi dans le monde et dans l’histoire de l’humanité. Elle s’y manifeste dans l’être temporel : aussi, en un certain sens, a-t-elle un commencement un développement et une histoire. Toutefois, si l’on ne considère que dans son devenir historique et si, partant, on ne se la représente que comme l’une des sociétés terrestres, on passe à côté de ce qui en fait la singularité, de ce qui est sa nature, selon laquelle l’éternel se manifeste dans le temporel et l’incréé dans le créé.


Commentaire/Analyse

Pour ceux qui sont en dehors, l’Eglise est une institution ancienne, vieille et conservatrice. Ces caractéristiques, selon les appréciations de chacun sembleront positives ou négatives. Mais pour ceux qui sont membres du corps du Christ, il y a un cheminement dont le Père Serge explique qu’il doit nous faire savoir la chose suivante : avant que d’être une institution, une pensée, l’Eglise est une expérience. Elle témoigne d’une multitude d’expériences. Certaines de ces expériences sont consignées par écrit dans un livre très connu qu’on appelle Bible. Mais cette expérience est aussi connue en dehors de la Bible dans plusieurs domaines : liturgie, vie des saints, etc. Et comme toute expérience, elle n’est pas descriptible en l’état. Même tous les artifices littéraires sont impuissants pour rendre compte d’une expérience. Elle doit être vécue pour être comprise. Il ne s’agit pas de la nature ecclésiale de l’expérience qui pose problème ici, mais bien la notion d’expérience par rapport à la nouveauté. Il est impossible de décrire une expérience même purement physique comme goûter un fruit que l’on ne connaît pas. Aucun mot ne permet de décrire le goût d’une mangue à celui qui n’en a jamais mangé. Aucun mot ne permet de décrire ce qu’est de tomber amoureux de quelqu’un d’autre alors que pourtant la littérature en a fait le sujet de prédilection dans la palette des sentiments humains. Un jeune adolescent pourra lire toute la littérature romantique, regarder des films dépeignant des passions amoureuses, observer les amours autour de lui, mais il ne pourra jamais ressentir ce dont il s’agit avant de l’expérimenter lui-même.

Il me semble que cette comparaison rend bien compte ce dont parle le Père Serge ici. L’Eglise est avant tout une expérience. Il s’agit ici d’une expérience d’ordre spirituel. L’Orthodoxie n’a pas la prétention d’avoir le monopole des expériences spirituelles. Certains ont des expériences spirituelles dans d’autres formes de spiritualité, mais sa prétention est la suivante : elle offre le lieu de la plus grande expérience spirituelle possible. Elle permet l’apogée de ce qui est offert à l’être humain dans ce domaine. Elle est l’Everest de l’expérience spirituelle passée, présente et à venir avant que le Christ ne revienne en gloire (ce qui sera aussi une expérience spirituelle – entre autres).

L’Orthodoxie est la somme des expériences de rencontre avec le divin et la possibilité de continuer indéfiniment cette rencontre ineffable. La Bible est un ensemble de textes à la croisée de plusieurs catégories littéraires : chroniques historiques, textes législatifs, poésie, etc. Mais toutes ces formes, même les plus austères sont les déclinaisons de cette expérience. Qu’est-ce qu’un auteur biblique sinon quelqu’un qui décrit son expérience avec le divin ? On a trop souvent tendance à être aveuglé par la participation de l’Esprit Saint dans « l’écriture » du texte et de laisser de côté l’auteur humain pour y voir un scribe docile et obéissant. Cette approche un peu « coranique » n’a de sens que pour les premiers livres de la Bible où le « je » de Moïse n’arrive qu’au Deutéronome, ce qui fait de la Torah, selon les paroles même de Jésus, la Loi de Moïse. Ainsi, même si cette loi est divine, elle n’en est pas moins loi de Moïse. Le Christ nous précise ainsi que la disposition légale sur le divorce est une disposition, une initiative de Moïse et ne correspond pas à la volonté divine. “και προσελθοντες φαρισαιοι επηρωτων αυτον ει εξεστιν ανδρι γυναικα απολυσαι πειραζοντες αυτον. ο δε αποκριθεις ειπεν αυτοις τι υμιν ενετειλατο μωυσης. οι δε ειπαν επετρεψεν μω : υσης βιβλιον αποστασιου γραψαι και απολυσαι. ο δε ιησους ειπεν αυτοις προς την σκληροκαρδιαν υμων εγραψεν υμιν την εντολην ταυτην” (Les pharisiens l’abordèrent; et, pour l’éprouver, ils lui demandèrent s’il est permis à un homme de répudiée sa femme. Il leur répondit: Que vous a prescrit Moïse ? Moïse, dirent-ils, a permis d’écrire une lettre de divorce et de répudier. Et Jésus leur dit: C’est à cause de la dureté de votre coeur que Moïse vous a donné ce précepte. Mc 10:2-5). Jésus fait ici explicitement référence au passage suivant tiré du Deutéronome : “כִּֽי־יִקַּ֥ח אִ֛ישׁ אִשָּׁ֖ה וּבְעָלָ֑הּ וְהָיָ֞ה אִם־לֹ֧א תִמְצָא־חֵ֣ן בְּעֵינָ֗יו כִּי־מָ֤צָא בָהּ֙ עֶרְוַ֣ת דָּבָ֔ר וְכָ֨תַב לָ֜הּ סֵ֤פֶר כְּרִיתֻת֙ וְנָתַ֣ן בְּיָדָ֔הּ וְשִׁלְּחָ֖הּ מִבֵּיתֽוֹ” (Lorsqu’un homme aura pris et épousé une femme qui viendrait à ne pas trouver grâce à ses yeux, parce qu’il a découvert en elle quelque chose de honteux, il écrira pour elle une lettre de divorce, et, après la lui avoir remise en main, il la renverra de sa maison. Dt 24:1)



Cette expérience de rencontre avec le divin peut être le résultat d’une grande préparation du côté humain, ou la libre et incompréhensible volonté divine qui se manifeste dans cette élection. Ainsi le livre du prophète Amos commence ainsi : «Paroles d’Amos, l’un des bergers de Tekoa, visions qu’il eut sur Israël, au temps d’Ozias, roi de Juda, et au temps de Jeroboam, fils de Joas, roi d’Israël, deux ans avant le tremblement de terre. Il dit : de Sion l’Eternel rugit, de Jérusalem il fait entendre sa voix. Les pâturages des bergers sont dans le deuil, et le sommet du Carmel est desséché. Ainsi parle l’Eternel : à cause des trois crimes de Damas, même de quatre, je ne révoque pas mon arrêt, parce qu’ils ont foulé Galaad sous des traineaux de fer ». Il faut lire ce passage sous le prisme de l’expérience. On ne connaitra rien de plus de la vie d’Amos avant que Dieu ne le saisisse et en fasse un de ses prophètes. Il nous décrit exactement le moment où cela s’est passé. Et de la même façon que l’apôtre Jean, dans ce que rapporte le Père Serge dans ce passage, il faut garder à l’esprit que nous avons des témoignages. Une multiplicité de témoignages s’offre à nous. Les évangiles ne sont pas écrits par le Christ. A part sur le sol devant la femme adultère, il n’a rien écrit. Nous ne connaissons le Christ que par le témoignage. Pourquoi ? Parce que nous ne connaissons Dieu que par témoignage. Il y aurait une rupture si le Christ avait choisi de s’exprimer directement. Cela aurait jeté une ombre sur la véracité de sa divinité.

Tout ceci oriente profondément nos interactions avec les athées ou les cherchants. De quoi témoignent-ils ? Du fait qu’ils sont d’une certaine façon exclus de cette expérience. Certains ne l’ayant pas expérimenté n’ont pas de raison de croire que d’autres le puissent. Pour certains d’entre eux cela se rattache à la possibilité ou non de voir un OVNI. L’athée dit : je n’ai pas vu d’OVNI, donc pour l’instant je n’y crois pas. Tu me dis que tu en as vu un. Soit ! Mais j’ai besoin de quelque chose de substantiel pour te rejoindre dans l’assertion de l’existence des extra-terrestres. Pourtant, cette comparaison n’est pas la bonne. En effet la rencontre avec une civilisation serait-elle un moment extraordinaire pour l’humanité, elle ne relève pas de l’expérience spirituelle. Ce dont il est question ici, c’est la possibilité, offerte à tous, d’expérimenter la rencontre avec Dieu. Et la comparaison avec l’expérience du sentiment amoureux est beaucoup plus opérante au final. L’expérience amoureuse est structurante pour l’humain : elle est le prélude à la construction d’un couple puis d’une famille. L’expérience spirituelle de rencontre avec le divin est encore plus forte et encore plus structurante. Elle a pour objet de transformer une vie momentanée, limitée, terminée en quelque chose d’éternel. Le Père Serge écrit « l’éternel se manifeste dans le temporel et l’incréé dans le créé. ». C’est tout à fait ce dont il s’agit ici. Et qu’est donc cet athée qui refuse de « croire » à la possibilité de cette expérience ? Il se croira astucieux, celui à qui on ne la fait pas ! Alors qu’en fait il est celui qui manque singulièrement d’ambition. Il n’y a pas plus “petit budget” qu’un athée. Il est celui à qui on parle de la foudroyante beauté d’une symphonie de Beethoven et qui continue malgré tout, à écouter de façon obstinée le rap le plus vulgaire. Il est celui qui préfère la junk food aux délices des recettes les plus subtiles, le cinéma d’action débile aux chefs d’œuvre du septième art. On pourra dire alors que l’athée est un imbécile ? En un sens on n’aura pas tort. Mais il sera surtout celui dont Dieu nous demandera pourquoi nous n’avons pas su le sauver !