Boulgakov : philosophie de l'économie (chap 1, second commentaire) : l'économie comme science allemande
le problème de la philosophie de l’économie
L’économisme moderne
Bien que le matérialisme économique ou, disons plus brièvement, l’économisme, soit loin d’être une théorie partagée par la majorité des champions de la science économique, parce qu’il est devenu le dogme du parti social-démocrate et qu’il scandalise beaucoup de gens par son radicalisme idéologique, il représente en réalité la conception du monde dominante chez les représentants de l’économie politique. Celle-ci ne fait pratiquement que s’y débattre ou s’y complaire, faute de mieux. En général, le développement des recherches spéciales et la technique n’y sont pas du tout allés de pair avec une croissance de la conscience et de la réflexion philosophiques. Pour son travail scientifique, l’économie politique part de généralisations et d’observations empiriques, d’un caractère particulier et limité ; ou alors, quand elle s’élève à un point de vue plus global, elle choisit consciemment ou inconsciemment dans le lit de l’économisme, et sous sa forme naïvement dogmatique. Il y a une liaison intime et indissoluble entre l’économie politique et l’économisme en tant que weltanschauung. En fait le matérialisme économique est la philosophie qui règne en économie politique. Pratiquement, les économistes sont marxistes, quand même ils détesteraient le marxisme.
Que l’horizon de la pensée économique soit dès lors réduit, cela devient patent non pas tant du fait que la philosophie de l’économisme y soit privilégiée qu’à cause justement de la naïveté de son dogmatisme. Il appert que les dogmes de l’économisme constitueraient la philosophie de l’économie en général, la seule possible et évidente par soi. Aussi la tâche d’une critique philosophique consiste-t-elle d’abord à briser ce dogmatisme, et l’ayant mis en question, à en faire l’objet d’un examen approprié.
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Commentaire/Analyse
Le weltanschauung est le terme allemand pour “conception du monde”. Pourquoi le Père Serge utilise-t-il un terme allemand dans son ouvrage ? Parce qu’en tant qu’homme de
son époque, il est le produit d’un monde qui était encore dominé académiquement par l’Allemagne. On a perdu de vue de par le phénomène nazi, la puissance et la vitalité
dont l’Allemagne faisait preuve avant la seconde guerre mondiale. La science était alors allemande. La philosophie moderne était allemande. Le domaine théologique
n’avait pas été épargné par cette suprématie. Les auteurs étant surtout protestants, les dégats avaient été énormes. On peut nommer comme “digne” représentant
des errances théologiques allemandes Rudolph Bultmann, qui reste célèbre pour son entreprise de dé-mythologisation des récits évangéliques.
L’allemagne a donné le “la” dans la période où vécut le Père Serge. La France a eu son heure de gloire. Aujourd’hui c’est le monde anglo-saxon. La théologie en provenance
du monde anglo-saxon est de bien meilleure qualité même si tout n’est évidemment pas orthoxe.
Au delà du terme allemand qui est très représentatif, le Père Serge voit l’économie comme une problématique prisonnière des catégories de pensée issues d’Allemagne. Dans sa vision,
tout est déterminé par rapport au marxisme, soit pour soit contre, mais peu importe au final, car c’est Marx qui fixe le cadre de réflexion. Ce que peu voyaient à cette époque,
et que le Père Serge n’a pas vu, c’est que le cadre de pensée dominante de l’économie allait devenir anglo-saxon, par le libéralisme. Mais pour le reste, la clairvoyance
est totale.
En effet l’horizon de la pensée est dramatiquement réduit. C’est juste la nature de son dogmatisme qui a varié. Le drame est que l’économie se présente comme science, alors
qu’elle est une fiction psychologique. La valeur de l’argent par exemple est un accord tacite entre les acteurs qui utilisent cette monnaie. Mais un billet de banque ne se mange pas,
ou ne fait pas avancer une voiture si on le place dans le réservoir. Si vous amenez ce billet à un “sauvage” d’amazonie, cela n’a pas de valeur pour lui. Cette science
énonce un certain nombre de postulats, de conclusions et nous vivons prisonniers des limites provenant de ces frontières mentales. Le problème au final qui est la matrice
de toutes les impasses politiques actuelles est le suivant : les gens considèrent l’économie comme une science. C’est à cela que s’attaque le Père Serge dans la suite de
son ouvrage. Sans cette démarche salutaire, théologiquement indispensable, il ne peut y avoir de modification profonde de notre monde. Au delà de l’escroquerie de l’écologie
politique, nous savons néanmoins que ce mode de vie induit une grande problématique écologique. Il y a donc urgence dans une prise de conscience théologique vis à vis
de l’économie. Si cette prise de conscience n’est pas théologique, la réponse est toujours incomplète, inutile, inopérante. L’illustration parfaite de cela aujourd’hui est
le véganisme, qui est le symptome d’une prise de conscience dans le spectre écologique, mais qui n’a rien compris au monde, à l’homme et à la place de l’homme dans le monde.