###La philosophie et la science

Art et philosophie

Art et philosophie

Il est dès lors difficile de ne pas comparer la création philosophique à celle de l’art, car un système est aussi une œuvre d’art sui generis, une « poésie des concepts ». Il a sa nécessité interne et ses règles logiques, de même qu’il y a dans une œuvre d’art une liaison et une harmonie nécessaires entre les éléments et le tout, évidentes pour la « raison esthétique », encore qu’elles ne soient pas logiquement démontrables. Une liberté créatrice n’en préside pas moins au dessein de la composition et le tact de l’artiste guide son choix d’une orientation initiale. C’est là que se manifeste au plus haut point le talent philosophique et esthétique.

L’idée que nous exposons ici, qui découle naturellement de notre conception générale du rapport entre la philosophie et la vie, n’a rien de commun avec le scepticisme, lequel rend impossible une connaissance objective. Elle n’en représente pas moins un relativisme esthétique en philosophie, admettant par principe la multiplicité des cheminements et transformant la philosophie en philosophies et la science en sciences. Le progrès des unes et des autres ne consiste pas à suivre une voie unique (ce que l’on ne trouve d’ailleurs pas du tout dans l’histoire de la pensée), il est fondé sur l’unité de la fonction philosophique et cognitive, qui est une « autoréflexion » de la vie une et continue.

Les ambitions insensées de l’idéalisme total chez Hegel, les efforts du criticisme moderne avec son relativisme subtil et corrosif, enfin le développement de la connaissance multiple et complexe, ont ruiné, je présume à jamais, la croyance des systèmes absolus. Le besoin d’un système, d’une conception architectonique, n’en est pas moins trop profondément enraciné dans la raison pour qu’on puisse s’en libérer. Non seulement toute doctrine philosophique, mais encore la science tendent à se construire en un ensemble clos de concepts, cohérent de bout en bout. Ce faisant le penseur moderne ne prétend pas procurer une philosophie unique et absolue (à moins qu’il ne cède à la folie des grandeurs ou ne tombe dans un dogmatisme naïf). Le sentiment de l’individualisme contemporain, qui cherche à personnaliser la création philosophique, y trouve une satisfaction.





Commentaire/Analyse

La pensée du Père Serge se déploie, et il n’y a pas de développement majeur à expliciter ici, hormis le fait que son affirmation « le scepticisme rend impossible une connaissance objective » et son parallèle entre art et philosophie sont très stimulants du point de vue intellectuel. Le scepticisme serait donc une sorte d’élément inhibiteur de la connaissance, une paresse de la curiosité, un cynisme de l’inaction ? En un certain sens oui, mais c’est comme tout, une question de dosage. Imaginons un instant quelqu’un qui serait dénué de tout scepticisme. Il pourrait croire toutes les balivernes, succomber à tous les contes pour grand-mères. Il serait ce que la religion peut produire de plus mauvais : un être superstitieux, ce qui est le cadre d’une relation toxique au divin. Ainsi, le scepticisme devient cette défense naturelle qui demande des évaluations, des vérifications, des preuves. Les athées peuvent passer pour des gens ultra sceptiques, alors qu’en fait leur scepticisme est souvent une paresse ou de façon plus encourageante une révolte contre le divin (encourageante car la révolte est tout de même une forme de relation). En effet, un athée affirme qu’il n’y a pas de Dieu. Il me semble qu’il n’y ait pas d’assertion plus compliquée au monde que celle-ci, si on rentre dans le registre élémentaire du sceptique : preuve, vérification. Comment prouver qu’il n’y a pas un Dieu créateur à notre univers ? Ce que pointe le Père Serge ici, et qui est nécessaire à toute action humaine, est ce moment de certitude uniquement lié à une intuition, à un sentiment : il faut croire en quelque chose pour passer aux actions, vis à vis de ce “quelque chose”. Un homme aura une intuition, un sentiment avant d’adresser une première parole à celle qui deviendra peut-être son épouse. Un élève aura une intuition, un sentiment avant de choisir un domaine professionnel, un domaine sportif, ou artistique. Il faut bien, pour vivre, ne serait-ce qu’un moment, ordonner au scepticisme de se taire !!! La religion n’est pas extérieure à ce processus tout humain. C’est cela que voulait mettre en exergue le Père Serge. Il y a d’abord, dans toute démarche religieuse, cette première intuition, qui ne peut pas se confronter au scepticisme dès le départ. Elle a besoin d’être préservée pour éclore. Puis, le scepticisme, comme une défense immunitaire doit ensuite venir, pour mettre à l’épreuve cette intuition, cette possibilité qui est née dans notre esprit. Chaque croyant devrait passer au crible du doute méthodique tous les éléments qui constituent sa foi. Les athées deviendraient déistes, ce qui est le minimum de la logique élémentaire. Les musulmans cesseraient immédiatement de l’être devant les incohérences de leur religion. Plaise à Dieu que chacun se tourne vers l’Orthodoxie, l’Eglise du Christ sur terre, grâce à la faculté de doute dont Dieu nous a pourvu.



Le Père Serge aborde ensuite la notion de philosophie comme art. Penchons-nous un moment sur l’art. Il en donne une définition rapide, et l’art a été une problématique philosophique assez classique : qu’est-ce que l’art ? Le Père Serge semble pencher pour une liberté de création qui exprime une raison esthétique au travers d’une logique difficile à expliciter, mais néanmoins active, qui concourt à la manifestation de quelque chose de beau. Le philosophe demanderait immédiatement à expliciter les concepts de beauté et de raison esthétique. Abordons la notion sous l’angle théologique. Lors du récit de la création (premier chapitre de la Genèse) on voit assez clairement que Dieu sépare les choses. Il les distingue : jour et nuit, terre et eau, etc. Cette série de divisions successives est le récit de la création, et la dernière distinction, ultime dans ce processus, est ce qui sépare l’homme et la femme. Au summum de toute cette distinction trône aussi un appel à la réunion : Dieu invite l’homme et la femme à s’unir. Cette union est matrice de toutes les unions auquel le monde est invité. L’art est la déclinaison de ceci. La « raison esthétique », la « beauté » sont des intuitions données par Dieu à l’homme et la femme pour manifester les unions qui sont voulues par le divin. Ce n’est pas parce que tout est distingué, que tout doit se réunir pour obéir au commandement. Par exemple, ce sont les hommes et les femmes qui sont appelés à s’unir, et pas les hommes et les hommes, ou les femmes et les femmes. Ainsi le peintre va faire se réunir ensemble les couleurs. Cette réunion peut réussir et donner la Joconde, ou échouer et donner une croute. De même pour le musicien, le cuisinier, etc. Le marxisme voit l’art comme une manifestation de la névrose humaine à vivre dans le système économique. Un être néolithique n’a pas besoin d’exprimer son être : il est, et c’est tout. Cette approche est très belle, mais elle relie art et névrose économique. La névrose à considérer est celle de la chute, celle de la proximité perdue avec le divin. Et l’art justement exprime ces réunions réussies de tout ce que Dieu a mis à disposition. Ainsi, une liturgie se doit de réunir toutes ces beautés qui ont un lien avec l’art : la musique liturgique doit être splendide, l’architecture doit être splendide, les encens doivent être splendides. L’art anticipe ce moment où nous serons tous en tout.