Boulgakov : philosophie de l'économie (chap 4, comm 3) : d’une tyrannie à l’autre, du criticisme à la science.
Le criticisme et le dogmatisme
la théorie de la connaissance
La connaissance est rationnelle par nature, elle est ou, du moins, elle tend à être un organisme de concepts et de jugements. Par rapport à la plénitude alogico-logique de la vie, elle est abstraite et médiatisée. En même temps, comme activité vitale, elle est immédiate et « dogmatique ». Aucun critique n’est capable de dissoudre ce dogmatisme vivant de la connaissance. Il faut admettre, au contraire, que c’est celui-ci qui constitue la possibilité d’une critique. Par conséquent, ils sont corrélatifs et conjugués, et non pas opposés ni irrémédiablement ennemis. Dans sa pratique, par son origine à partir des profondeurs de la vie, la connaissance est immédiate, naïve, dogmatique ; quand elle réfléchit sur elle-même, quand elle se vérifie et se confronte elle-même, la connaissance est critique.
C’est ainsi que nous concevons le problème de la critique de la connaissance.
Ce que nous en avons dit n’est pas pour nier les problèmes de la théorie de la connaissance ni pour diminuer son importance en tant que discipline scientifique ou philosophique. Nous refusons seulement que cette théorie légifère en matière de connaissance et qu’elle soit nécessairement préalable à celle-ci. Deux genres de questions restent dans son domaine : la question scientifique et la question philosophique ou, si l’on veut, la métaphysique. La première tâche consiste à analyser la connaissance sous l’angle de ses différentes formes : c’est la critique proprement dite. La seconde tâche est d’expliquer le fait de la connaissance, d’interpréter philosophiquement sa signification vitale. Dans la critique de la raison pure et dans la théorie actuelle de la connaissance, ces deux questions, pourtant très différentes, sont souvent confondues ou ne sont pas distinguées d’une manière suffisamment nette ; et cela délibérément, conformément à l’esprit de tout le système de Kant. La philosophie de la connaissance en général et celle de la science en particulier représente des branches très importantes et indispensables de la philosophie, encore que leur sens soit tout autre que celui que lui attribue aujourd’hui « la philosophie scientifique ».
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Commentaire/Analyse
On voit que le Père Serge, depuis plusieurs pages de son ouvrage maintenant, veut traiter la problématique du criticisme et de la théorie de la connaissance comme étant un préalable incontournable, une sorte d’impôt auquel il est illusoire de vouloir échapper. Il est obligé de dire qu’il ne veut pas s’y soumettre. Ainsi, cette branche là de la philosophie devait être à ce point importante à son époque à l’endroit où il produisait sa thèse pour qu’il estime nécessaire de devoir absolument la traiter. Bien que n’étant pas un grand spécialiste de la philosophie en milieu universitaire, il me semble que ce n’est plus le cas. Il s’agissait donc d’un phénomène passager. Une mode philosophique, qui disparaît aussitôt la nouvelle mode émergée. Le Père Serge évoque d’ailleurs une possible suprématie scientifique à venir, qui est bien le champ d’action aujourd’hui dans lequel nous évoluons. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une domination sans partage dans le monde philosophique, mais bel et bien d’une domination sans partage dans le monde tout court. Aujourd’hui, personne ne peut plus rien affirmer qui soit objectivement contraire à l’état actuel des théories scientifiques, qu’elles soient prouvées ou non. SI à l’époque du Père Serge, c’était le criticisme et la théorie de la connaissance qu’il fallait regarder avec crainte, c’est aujourd’hui la science qu’il faut considérer avec frayeur, sous peine d’être renvoyé directement à la préhistoire.
Ainsi le récit biblique qui raconte une création en six jours et une naissance immédiate des espèces animales (et humaine) contredit grossièrement la vulgate scientifique d’une univers vieux de 13,5 milliards d’années, et de la sacro-sainte théorie de l’évolution des espèces, imaginée par Charles Darwin au XIXème siècle. La science, par ces deux irréfutables faits, a démontré que la religion était une fable pour gens crédules, à peu près aussi crédible que l’histoire du Père Noël. Voici ce que pense les gens, innombrables en occident, dominés par la science. Ils n’écoutent pas ce que dit le prêtre, mais ce que dit le scientifique est marqué par une autorité absolue : c’est LA vérité. Il n’y en a pas d’autre. Mais les choses sont plus complexes (et également plus simples) qu’il n’y parait. En effet, la science elle-même repose sur un certains nombres d’axiomes, acceptés par le bon sens, mais qui n’en restent pas moins des principes de départ, qui permettent d’élaborer le reste. Sans ces axiomes, il n’y a pas de science possible. Et admettre la domination de la science sur le réel, c’est admettre ces axiomes, que rien ne prouve.
Premier axiome : tout a toujours été absolument semblable dans l’univers. Par exemple, la vitesse de la lumière est de 300000 km/s. Et donc, elle a toujours eu cette vitesse. Celle-ci n’a pas évolué, dans un aucun sens. Rien ne nous le prouve. Mais la science nous demande de considérer que ce que nous observons est valide en tout temps.
Second axiome : les mêmes causes produisent les mêmes conséquences : c’est une observation de pur bon sens, mais cela est aussi un axiome. Rien ne nous prouve absolument que demain le soleil se lèvera, mais nous partons du principe qu’il va se lever. C’est également du domaine de la foi, d’un certain point de vue.
Et si l’on commence à faire de la science un peu sérieusement, on se rend compte que ces deux axiomes ne sont pas aussi solides qu’on pourrait croire. En effet les modèles du début de l’univers, au « moment » du Big Bang demandent, pendant les touts premiers instants de l’univers (entre 0 et 10 puissance -42 secondes, c’est-à-dire très peu de temps) que les lois de la physique soient temporairement différentes. Sinon l’univers ne pourrait pas être ce qu’il est. Ceci est lié à la fameuse constante de de Planck. Il est donc intéressant, de voir que la reine science, qui ne souffre aucune exception dans la secte zélée de ses adorateurs, demande en son sein, une exception. Pourquoi lui accorder et ne pas l’accorder à d’autres domaines ? Pourquoi moquer le fait que le soleil s’arrête dans le livre de Josué, et ne pas questionner les axiomes de la science ? Parce que la science est instrumentalisée par deux types de personnes : des idiots ou des athées fanatiques. Les premiers manquent de connaissances scientifiques, et les seconds ont un agenda : ne pas aller seuls en enfer. Pour les premiers, paradoxalement, c’est un déficit de science qui est la cause de leur bêtise. Davantage de science et d’épistémologie ne peut que leur faire du bien. A la fois davantage de science, et de recul sur la science sont nécessaires à leur croissance spirituelle. Lorsque quelqu’un maîtrise suffisamment Einstein, il comprend que le récit de la création en 6 jours ne pose plus de problème. Mais finalement, cela ne fait pas grand monde. Et on ne doit pas penser, par charité évangélique, que c’est d’eux qu’il s’agit lorsque le Christ déclare que les simples d’esprit ont le Royaume des Cieux. Le Christ ne parle pas des imbéciles, mais bien des fous. Être fou n’est pas une faute. Être stupide, si.
Pour les seconds, il s’agit d’une mutation assez intéressante de l’athéisme. Il y a quelques années, l’athéisme était une revendication pour séculariser le religieux. Aujourd’hui l’athéisme est militant et veut rendre la religion immorale et stupide. S’il n’y a pas d’évolution darwinienne des espèces, il y a certainement une mutation des idées.