Définition préliminaire de l’économie : 

Définition préliminaire de l’économie « L’économie et le travail »

L’économie et le travail

En définissant l’économie comme l’attitude actuelle, défensive et offensive, devant la nature, nous déplaçons évidemment ses frontières au-delà du domaine que lui assigne l’économie politique, laquelle est dirigée à cet égard par les buts et les possibilités d’une étude spéciale[1].

Le signe qui permet de reconnaître l’activité économique est l’effort, le travail, visant une fin déterminée. L’économie est une activité de ce travail. C’est celui-ci, d’ailleurs contraint, qui la caractérise. En ce sens, on peut la définir comme une lutte pour la vie par le travail. Le travail est le fondement de la vie considérée d’un point de vue économique. Par la naissance, la vie apparaît naturellement, gratuitement, c’est-à-dire sans l’application consciente d’un travail ; mais la maintenir par l’économie exige un effort. Le travail est la valeur qui permet d’acquérir les biens qui conservent la vie. Comme un obscur pressentiment, cette vérité est à la base de ce qu’on appelle les théories de la valeur du travail en économie politique.

« Tous les biens économiques sont des produits du travail ». Cette formule de Rodbertus, qui exprime parfaitement la conception générale que l’économie politique se fait du monde, reste juste et censée au delà des limites de celle-ci, laquelle, justement par sa « théorie de la valeur », lui attribue un sens excessivement étroit, matérialiste et mercantile, en lui faisant porter le sceau du matérialisme économique, ainsi qu’un caractère délibérément unilatéral, dû à une spécialisation scientifique. Dès sa naissance, dans le mercantilisme, chez les physiocrates, chez Adam Smith et les autres représentant de l’école classique, enfin, dans le socialisme, l’économie politique tend à définir plus précisément la notion du travail « productif », c’est-à-dire le travail économique, afin de cantonner le terrain de sa recherche spéciale. Sinon, celle-ci menacerait de devenir illimitée et devrait inclure toute la science et la culture.

En économie politique, cette étroitesse voulue des concepts conduit aussi à des conclusions partiales et grossières ; en philosophie de l’économie, un tel rétrécissement de l’horizon serait non seulement superflu, mais encore néfaste. Par nature, l’économie comprend le travail de l’homme dans toutes ses applications, de l’ouvrier à Kant et du laboureur à l’astronome. Son signe, nous l’avons dit, est la production ou la conquête, par le travail, des biens vitaux, matériels ou spirituels, contrairement à leur acquisition gratuite. C’est une activité tendue de la vie humaine, en accomplissement de la parole de Dieu : gagne ton pain à la sueur de ton front, le pain, c’est-à-dire la nourriture nous seulement matérielle, mais aussi spirituelle. C’est à la sueur du front, par le travail que les produits économiques sont créés et aussi que toute la culture est formée.

Le monde comme économie, c’est le monde comme objet et, pour autant, comme produit du travail. La marque de l’économie est exactement le travail et cela donne raison à la théorie de sa valeur et à l’économie politique, qui en sent à juste titre l’importance universelle, cosmique, quoiqu’elle ne sache pas l’exprimer comme il convient, ni le concevoir à fond.

Allons-nous définir le travail ? On connaît les tentatives de l’économie politique pour ce faire, mais elles visent des fins déterminées, étant surtout orientées par la théorie de la valeur. Mais à cet égard elles ne sont pas réussies, outre qu’elles ne peuvent pas nous satisfaire à cause de leur caractère matérialiste. Le travail est une dépense d’énergie nerveuse et musculaire : telle est par exemple la définition de Marx, aussi répandue qu’influente. Sans parler du fait qu’il est difficile de constater ce signe dans le travail intellectuel, on voit sans peine que cette dépense d’énergie n’est que la marque apparente d’un certain travail.

Dans son fondement intime, volitif, comme sentiment d’un effort dirigé vers l’extérieur, le travail échappe à toute définition, bien que chacun le connaisse par expérience, rien qu’en s’observant comme quelque chose d’actuel, une volonté effective, une sortie active hors de soi-même. Être capable de travailler est l’une des propriétés de l’être vivant. Ainsi se manifeste le feu et la tension de la vie. Seul celui qui est capable de travailler et qui travaille en effet vit une existence pleine.

[1] : Telle qu’on la comprend d’habitude en économie politique, l’économie est une activité réglée de l’homme, visant à satisfaire ses besoins matériels. Cette définition cadre entièrement avec celle que nous proposons, quand nous caractérisons l’économie du point de vue du sujet économique.





Commentaire/Analyse

Voici l’une des premières sections où je vais franchement me démarquer de Boulgakov. En effet il introduit la notion de travail en la couplant à celle d’économie, ce qui est une vision somme toute très moderne, et très occidentale. Plusieurs civilisations n’ont pas voulu établir cette jonction, et elle n’est donc pas universelle, absolue. Il est évident que Boulgakov s’intéressant à l’économie, phénomène tout d’abord occidental, ne peut pas prendre en compte ceux qui sont en dehors de ce paradigme. Néanmoins, il eut été « juste », systématique, de montrer que ce couplage n’est pas automatique du point de vue des civilisations.

Des anthropologues ont fait état de quelques peuplades où la notion même d’argent n’existait pas. Les catégories de bon sauvage de Rousseau, ou néolithiques des marxistes sont évidemment à prendre avec des pincettes, car rien n’est moins sûr que l’existence d’une civilisation néolithique, ou de bons sauvages tels que Rousseau le voyait. Néanmoins, Adam et Eve ne sont pas nés avec un codevi. L’argent, l’économique sont tellement présents, massifs, incontournables, qu’on n’a de la peine à s’imaginer fonctionner sans. Il faut bien évidemment palier alors par un autre « système » : le devoir, la solidarité, etc.

Rappelons que l’Église primitive, en plus de connaître martyr et persécution, avait réussi en certains lieux, en certaines communautés à éradiquer totalement l’argent. Les premiers chrétiens « sortaient » de la logique économique. Ils sortaient du système. Cela ne signifie pas ne plus rien faire. Les gens continuent de travailler. Même le bon sauvage faisait de la cueillette, de la chasse, divers travaux… ils ne faisaient pas rien. Mais ils n’étaient dans l’achat, la vente, la valeur.