Etude canonique du concile pan-orthodoxe de 2016 en Crète

ENCYCLIQUE

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit

Nous adressons une hymne d’action de grâce au Dieu adoré dans la Trinité qui nous a permis de nous réunir en ces jours de Pentecôte sur l’île de Crète, sanctifiée par l’apôtre Paul des nations et son disciple Tite, « véritable enfant dans la foi qui nous est commune » (Tt 1, 4), et d’achever, sous l’inspiration du Saint-Esprit, les travaux du saint et grand Concile de notre Église orthodoxe – convoqué par Sa Sainteté le patriarche oecuménique Bartholomaios, avec l’accord de Leurs Béatitudes les Primats des très-saintes Églises orthodoxes autocéphales – à la gloire de son Nom béni, et au profit du peuple de Dieu et du monde entier, confessant avec le divin Paul : « Ainsi, qu’on nous regarde comme des serviteurs du Christ, et des dispensateurs des mystères de Dieu » (I Co 4, 1).

Le saint et grand Concile de l’Église une, sainte, catholique et apostolique constitue un témoignage authentique de la foi dans le Christ Dieuhomme, Fils unique-engendré et Verbe de Dieu qui, par son ?ncarnation, toute son oeuvre sur terre, Son Sacrifice sur la Croix et Sa Résurrection, a révélé le Dieu trinitaire en tant qu’?mour infini. Dès lors, d’une seule voix et d’un seul coeur, nous adressons, en concile, la parole de « notre espérance » (cf. I P 3, 15) non seulement aux fidèles de notre très-sainte Église, mais aussi à tous ceux « qui étaient autrefois éloignés et qui ont été rapprochés » (Ep 2, 13). « Notre espérance » (I Tm 1, 2) le Sauveur du monde fut révélé comme « Dieu avec nous » (Mt 1, 23) et comme « Dieu pour nous » (Rm 8, 32) « qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (I Tm 2, 4). Nous proclamons l’amour sans cacher les bienfaits, conscients des paroles du Seigneur : « le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas » (Mt 24, 35). Dans la joie nous annonçons la parole de la foi, de l’espérance et de l’amour, attendant « ce jour qui n’a pas de soir, de lendemain ni de fin » (Basile le Grand, Homélies sur l’Hexaéméron II, PG 29, 52, SC 26bis, p. 185). Le fait que notre cité soit « dans les cieux » (Ph 3, 20), n’infirme pas, mais renforce notre témoignage dans le monde.

En cela, nous nous conformons à la tradition des Apôtres et de nos Pères qui annonçaient le Christ et l’expérience salvatrice de la foi de l’Église, faisant de la théologie en vue de « prendre dans les filets » – c’est-à-dire conformément à l’apostolat – les humains de tout temps, pour leur transmettre l’Évangile de la liberté en Christ (cf. Ga 5, 1). L’Église ne vit pas pour soi. Elle s’offre pour l’humanité tout entière, l’élévation et le renouveau du monde dans des cieux nouveaux et une terre nouvelle (cf. Ap 1, 21). Dès lors, elle donne le témoignage évangélique et elle partage les dons que Dieu dispensa à l’humanité : son amour, la paix, la justice, la réconciliation, la force de la Résurrection et l’espérance de l’éternité.


Commentaire/Analyse



Avant de passer au commentaire du texte en tant que tel, j’aimerai attirer l’attention sur la doxologie employée : « Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ». Je laisse de côté le fait que le nom de Dieu soit orthographié avec un n minuscule et non majuscule, alors que le Christ a demandé de sanctifier ce Nom. Le Nom de Dieu est une folie conceptuelle et théologique, puisque le nom d’une chose désigne son essence profonde. Le Nom de Dieu est donc Dieu d’une certaine façon. D’où la nécessité de le sanctifier. Passons ceci sous le signe de l’étourderie (puisque plus loin dans le texte, la majuscule est respectée)…

Voici enfin une doxologie correcte. Combien de fois avons-nous droit dans nos paroisses à une doxologie du type « au Nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » ? Le passage de la virgule au « et », et vice-versa vous semblera peut-être superflu, mais cette distinction induit une différence. D’un côté le Père et le Fils, et de l’autre, le Saint-Esprit lorsque c’est la virgule qui est là. Lorsque la doxologie donnée par le Christ en Matthieu est respectée, nous avons deux « et », et il n’y a plus de déséquilibre. Que chaque orthodoxe prenne soin de purifier son langage et ses doxologies. La différence est crypto-filioquiste et l’on devrait y faire attention. La théologie se base sur une précision du langage, et sans celle-ci, aucune théologie n’est possible. C’est d’ailleurs bien ce qui coince dans la réception de ce concile. Mais passons au texte lui-même.

Le premier paragraphe indique que c’est le patriarche œcuménique Bartholomée qui a convoqué ce concile. La première question à se poser est : pourquoi ce concile ? Quelle était donc la question brûlante qui a poussé les patriarches à se réunir en Crète ? Les documents de travail évoquent les notions de jeûne, de mariage et d’autonomie canonique. Le rapport avec les grands conciles œcuméniques de l’histoire laisse songeur : premier concile œcuménique à Nicée en 325 : c’est l’empereur Constantin qui convoque les évêques pour trancher la question de l’arianisme qui remettait en cause ni plus ni moins que la divinité de Jésus. D’autres décisions furent prises bien évidemment, mais ce qui est emblématique est que nous avions à faire à une hérésie majeure, ultra toxique pour l’Eglise et qui était en train de tout ravager. Le second concile a traité des problématiques trinitaires et de la divinité de l’Esprit-Saint. Le troisième concile a traité du rapport de la Vierge Marie à l’Incarnation de son Fils. Elle a reçu officiellement à ce moment le titre de Theotokos, qui signifie Mère de Dieu. Le quatrième concile a traité de la relation entre les natures humaines et divines au sein de la personne du Christ. Le cinquième concile a condamné l’origénisme et les systèmes gnostiques hérités de la philosophie grecque et fermé l’académie de Platon. Le sixième concile a traité de l’hérésie monothélite sur la volonté humaine du Christ et enfin le septième concile œcuménique a traité de la validité de l’icône. Donc, historiquement, un concile œcuménique traite de sujets fondamentaux et structurants pour l’Eglise. Il traite également de sujets accessoires comme la barbe et le vêtement, le droit de jouer à des jeux d’argents, etc. Mais globalement, on peut toujours rattacher un concile à un concept clé pour la théologie orthodoxe. Pour ce concile de 2016, on voit que les sujets qui émergent sont des problématiques dignes d’un concile local de seconde importance. En effet, l’Eglise ne connaît pas que les conciles œcuméniques convoqués par un empereur, mais aussi des conciles locaux, de moindre importance de par les sujets et les décisions. Certains conciles locaux ont tout de même donnés des notions liés au canon de l’Ecriture. Donc bien au-dessus de ce qui fut dit en Crète.

Le texte du Concile remercie Dieu pour la tenue du Concile. Mais le Concile a t il été voulu par Dieu ? N’est-ce pas plutôt l’œuvre du patriarche Bartholomée ? Il n’y a, à l’heure actuelle, à part des tendances phylétistes (prédominance du national dans la foi) très fortes, aucune hérésie majeure dans l’Eglise. Il n’y avait donc objectivement aucune raison de convoquer un concile. A part le phylétisme, une autre hérésie ravage notre Eglise : l’œcuménisme. Il n’est rien d’hérétique dans le fait de parler aux autres « groupes » chrétiens, mais les contours et les objectifs de l’œcuménisme ont toujours été flous et les bases biaisées : chacun attend que l’autre se rende compte de son erreur et vienne vers lui. Qu’attendons-nous de ces rencontres au final ? J’ai déjà parlé de ceci dans mon introduction à Strack & Billerbeck, et n’y revient donc pas. Nous verrons en détail ce que le concile de Crète a dit sur cette problématique de rencontre inter-confessionnelle. Le texte indique que l’Eglise a voulu parler au monde. Voyons plus en détail ce message.