Etude canonique du concile pan-orthodoxe de 2016 en Crète

10. L’Église du Christ est aujourd’hui confrontée à des manifestations extrêmes, voire provocantes du sécularisme, inhérentes aux évolutions politiques, culturelles et sociales du monde moderne. Un élément fondamental du sécularisme fut et demeure l’idée de soustraire totalement l’humain au Christ et à l’influence spirituelle de l’Église, de surcroît, en assimilant arbitrairement celle-ci au conservatisme et faisant fi de l’histoire, alléguant qu’elle serait un obstacle au progrès et à l’évolution. Dans nos sociétés sécularisées, coupé de ses racines spirituelles, l’homme confond sa liberté et le sens de sa vie avec une autonomie absolue, avec un affranchissement par rapport à sa destination éternelle ; cela produit toute une série de malentendus et d’interprétations fallacieuses de la tradition chrétienne. Ainsi, la liberté en Christ dispensée d’en-haut et le progrès menant « à l’état d’adulte, à la taille du Christ dans sa plénitude » (Ep 4, 13) sont considérés comme entravant les dispositions auto-salvatrices de l’être humain. L’amour disposé au sacrifice est jugé comme étant incompatible avec l’individualisme, alors que le caractère ascétique de l’éthos chrétien, comme un défi intolérable lancé à la poursuite du bonheur individuel.

Assimiler l’Église à un conservatisme inconciliable avec le progrès de la civilisation est une allégation arbitraire et abusive, puisque la conscience nationale des peuples chrétiens porte la marque indélébile de la contribution séculaire de l’Église non seulement à leur patrimoine culturel, mais aussi au sain développement de la civilisation séculière en général, puisque Dieu a placé l’homme en tant que gérant de la création divine, associé à Son oeuvre. À la place de l’« homme-dieu » contemporain, l’Église orthodoxe affirme le « Dieu-homme » comme mesure ultime de tout : « Nous ne parlons pas d’homme déifié, mais de Dieu fait homme » (Jean Damascène, Exposé de la foi orthodoxe, 3, 2, PG 94, 988). Elle expose la vérité de la foi salvatrice du Dieu-homme et Son Corps, l’Église, en tant que lieu et mode de vie en liberté. Elle permet de « confesser la vérité dans l’amour » (cf. Ep 4, 15) ; de participer aussi, déjà sur terre, à la vie du Christ ressuscité. Le caractère divino-humain de l’Église – « qui n’est pas de ce monde » (Jn 18, 36), qui alimente et dirige sa présence et son témoignage « dans le monde » – lui interdit de se conformer au monde (cf. Rm 12, 2).


Commentaire/Analyse




On voit que l’encyclique ici essaie d’avoir une position équilibrée, entre progressisme et conservatisme. Nous pouvons effectivement constater que le christianisme n’est plus l’absolue nouveauté, le renversement des choses établies comme il avait pu l’être dans l’antiquité, mais que maintenant il est assimilé à quelque chose d’établi, de normatif. Etre chrétien en l’an 200 pouvait paraître terriblement progressiste (par rapport à la norme d’alors), tandis qu’aujourd’hui c’est terriblement conservateur. Ce prisme induit par le texte (bien que ce ne soit pas ce qu’il dit) est trompeur et fallacieux. Le christianisme n’a rien à voir avec la notion de progrès. Il a tout à voir par contre avec la notion de révolte. Il est, pour ceux qui se révoltent contre la mort et le mal, la destination naturelle. Les adolescents qui se révoltent contre tout un peu maladroitement à une période nécessaire de leur construction psychologique, s’ils le pouvaient, devraient regarder ce qu’est le christianisme en profondeur : une révolte radicale contre le monde et la mort. C’est le paradoxe de voir des jeunes adultes adopter un style gothique, ou crypto-satanique, ou disons un style qui est plus ou moins dérivé d’une imagerie diabolique, par esthétisme et par sentiment de révolte : par révolte, ils rejoignent celui qui est responsable de tout ce problème, et refusent finalement de rejoindre le Christ dans le camp de la révolte véritable…



Le texte amène une notion importante, sans en retracer malheureusement la généalogie philosophique et intellectuelle : l’humanisme. Celui-ci n’est pas nommé, mais c’est bien de cela dont il s’agit. L’humanisme est ce courant philosophique qui place l’homme au-dessus de tout. L’encyclique appelle à placer Dieu au-dessus de tout. C’est toute la dialectique entre homme-dieu et Dieu-homme. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, aimer l’homme, c’est placer Dieu au-dessus. Pourquoi ? Parce que l’homme qui se fait dieu, le fait par lui-même, de façon illusoire, et non effective. Placer Dieu au-dessus, c’est se donner la capacité de réaliser une union mystique entre l’homme et Dieu. L’homme qui se fait dieu seul, se condamne à la mort. Il maximise son bonheur pendant sa vie, puis rejoint un grand néant glacial. L’homme qui cherche son union à Dieu, et qui en fait le sens de sa vie, au prix de bien des sacrifices, s’ouvre à la vie, en plénitude et sans fin. Le monde moderne, est donc une gigantesque escroquerie.



Le texte aborde aussi une notion importante sur la culture. Le monde moderne est un petit enfant médiocre et ingrat car il ne reconnait pas la dette culturelle et civilisationnelle qu’il a vis-à-vis du christianisme. La dette du monde occidental vis-à-vis du système universitaire, vis-à-vis de l’art, vis-à-vis de la pensée est immense. Ceci servira de leçon aux générations suivantes, lorsque ce monde sans avenir s’écroulera, faute des ressources nécessaires à son fonctionnement.