Etude canonique du concile pan-orthodoxe de 2016 en Crète

V. L’Église face aux défis contemporains

11. Le développement actuel des sciences et de la technologie est en train de changer notre vie. Or, tout ce qui engendre un changement dans la vie humaine exige que nous fassions preuve de discernement. Car, hormis les importants bienfaits – par exemple ceux qui facilitent la vie quotidienne, qui permettent de traiter des maladies autrefois incurables et d’aller plus loin dans la recherche spatiale –, nous sommes aussi confrontés aux retombées négatives du progrès scientifique : les risques tels que la manipulation de la liberté humaine, l’instrumentalisation de l’être humain, la perte graduelle de précieuses traditions, la dégradation, voire la destruction de l’environnement naturel. De par sa nature, la science elle-même ne dispose pas malheureusement de moyens nécessaires pour prévenir ou guérir bon nombre de problèmes qu’elle génère directement ou indirectement. La connaissance scientifique ne mobilise pas la volonté morale de l’humain qui, tout en connaissant les risques, continue d’agir comme s’il n’en avait pas été averti. Sans une approche spirituelle, il est impossible de donner des réponses aux graves problèmes existentiels et éthiques de l’être humain, ni au sens éternel de sa vie et du monde.

12. De nos jours, les progrès impressionnants effectués dans le domaine de la biologie, de la génétique et de la neurophysiologie du cerveau suscitent un enthousiasme généralisé. Il s’agit de conquêtes scientifiques dont l’éventail d’applications est susceptible de générer des dilemmes anthropologiques et éthiques graves. L’usage incontrôlé de la biotechnologie intervenant sur le début, la durée et la fin de la vie, compromet la véritable plénitude de celle-ci. Pour la première fois de son histoire, l’homme se livre à des expérimentations extrêmes et dangereuses sur sa propre nature. Il risque d’être transformé en rouage biologique, en unité sociale ou en appareil de pensée contrôlée.

L’Église orthodoxe ne saurait rester en marge du débat portant sur des questions anthropologiques, éthiques et existentielles d’une telle importance. Elle s’appuie sur les critères dictés par Dieu pour démontrer l’actualité de l’anthropologie orthodoxe face au renversement contemporain des valeurs. Notre Église peut et doit manifester dans le monde sa conscience prophétique en Jésus Christ qui, dans l’Incarnation, assuma toute la condition humaine et qui est le modèle absolu de la restauration du genre humain. Elle affirme que la vie de l’être humain est sacrée et qu’il possède l’attribut de personne dès sa conception. Naître est le premier des droits de l’homme. L’Église – en tant que communion divino-humaine au sein de laquelle chaque homme est une entité unique destinée à communier personnellement avec Dieu – résiste à toute tentative de réduire l’être humain à l’état d’objet, à le transformer en donnée mesurable. Aucune réussite scientifique n’est autorisée à porter atteinte à la dignité et à la destination divine de l’homme. L’être humain n’est pas uniquement déterminé par ses gênes.

C’est sur cette base que la Bioéthique est fondée du point de vue orthodoxe. À une époque d’images contradictoires de l’homme, face à des conceptions séculières, autonomes et réductrices, la Bioéthique orthodoxe affirme la création à l’image et à la ressemblance de Dieu, et la destination éternelle de l’être humain. Elle contribue de la sorte à enrichir le débat philosophique et scientifique portant sur des questions bioéthiques en y apportant l’anthropologie biblique et l’expérience spirituelle de l’Orthodoxie.


Commentaire/Analyse




L’encyclique affirme des choses classiques du point de vue orthodoxe, avec fermeté : « l’être humain n’est pas uniquement déterminé par ses gênes. C’est sur cette base que la bioéthique est fondée du point de vue orthodoxe ». Le terme même de bioéthique énonce la nature du problème, dans notre relation avec la science. Il s’agit de ce que nous acceptons de nous permettre du point de vue scientifique, et plus précisément biologique et médical en relation avec le vivant. L’encyclique affirme que la bioéthique orthodoxe « contribue à enrichir le débat philosophique et scientifique ». A cette affirmation volontaire il faut répondre avec discernement et réalisme, que la communauté scientifique, politique et économique s’en moque éperdument.

Nos évêques auront beau se réunir, nos théologiens auront beau réfléchir à cette question, tout ceci sera du domaine du témoignage. Les pires horreurs scientifiques qui pourront être réalisées seront réalisées.

Alors à quoi bon ? Tout ceci n’est pas vain, loin de là. Prenons deux prismes d’analyse. Le premier sera le prisme marxiste qui permet déjà de penser tout ceci avec efficacité. Toute manipulation scientifique réalisable le sera si elle permet de combler une problématique marchande. Ainsi, par rapport au marché correspondant à la stérilité et au désir des familles d’élever des enfants, la bioéthique débouchera inéluctablement sur une sélection génétique. Si la technologie permet une finesse de sélection, on pourra commander à la carte un petit garçon doué pour les arts, ou une petite fille qui sera optimisée pour la danse.

Prenons maintenant une hauteur patristique. Est-ce que les Pères de l’Eglise ont déjà répondu à ces problématiques, ou bien les défis sont tellement nouveaux, tellement impensables pour eux, que la réflexion doit être actualisée ? Prenons un cas récent survenu en Angleterre. Une manipulation médicale a fait qu’un enfant aura trois parents. Ceci semble effectivement totalement inédit. On a du mal à d’ailleurs anticiper jusqu’où pourront aller les choses relatives à la bioéthique : des croisements entre des hommes et des animaux pour profiter de davantage de puissance, de davantage de rapidité ? La question patristique qui va alors se poser sera : sont-ce encore des hommes ? Sont-ce encore des images de Dieu tel que nous le raconte le récit de création de l’homme dans le livre de la Genèse ? Ou, dans l’inverse de la question, si un peu de l’humain est prélevé et transplanté dans une bête, comment considérer celle-ci ? L’image inaltérable de Dieu réside-t-elle dans le moindre brin d’ADN humain qui va être manipulé ? J’avance ici une réponse biblique : tout ce qui descend d’Adam est Adam. C’est-à-dire que tout ce qui est à l’image et à la ressemblance est Adam. Donc, comme l’image que nous avons est la capacité de manifester un amour sacrificiel, sera Adam qui pourra manifester un amour sacrificiel. Le Diable cherche à détruire l’image de l’homme. Il est fort à parier qu’il va plutôt en élargir les contours de façon insoupçonnée. Il y a néanmoins un espoir que tout ceci n’arrive jamais. Ceci demande une technicité incroyable, qui présuppose que le monde moderne fonctionne « à plein régime ». Or, il n’a pas les moyens de fonctionner ainsi ad vitam aeternam. Il est donc possible, que tout ceci reste de la spéculation théologique au final.