Etude canonique du concile pan-orthodoxe de 2016 en Crète : chapitre 1 : la politique
Etude canonique du concile pan-orthodoxe de 2016 en Crète
16. L’Église ne se mêle pas de politique au sens strict du terme. Cependant, son témoignage est essentiellement politique en tant que souci pour l’humain et pour sa liberté spirituelle. Sa parole est bien distincte et restera à jamais un devoir d’intervention en faveur de l’humain. Les Églises orthodoxes locales sont aujourd’hui appelées à établir une nouvelle relation harmonieuse avec l’État de droit dans le nouveau contexte des relations internationales, conformément à l’affirmation biblique : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 21). Cette coopération doit sauvegarder la singularité de l’Église et celle de l’État, et assurer leur franche coopération au profit de l’unique dignité humaine dont émanent les droits de l’homme, garantir aussi la justice sociale. Les droits de l’homme sont aujourd’hui au centre de la politique, en tant que réponse aux actuelles crises et bouleversements sociaux et politiques, et destinés à protéger la liberté de l’individu. L’Église orthodoxe fait une approche critique des droits de l’homme craignant que le droit individuel ne dégénère en individualisme et en mouvement revendicatif de droits. Une telle aberration est préjudiciable au contenu communautaire de la liberté ; elle transforme arbitrairement les droits en revendications individuelles de poursuite du bonheur ; elle confond liberté et laxisme de l’individu, érigeant cette licence en « valeur universelle » qui mine les fondements des valeurs sociales, de la famille, de la religion, de la nation et qui menace des valeurs éthiques fondamentales. La perception orthodoxe de l’homme s’oppose donc tant à l’apothéose arrogante de l’individu et de ses droits, qu’à l’humiliation de la personne humaine écrasée dans les actuelles gigantesques structures économiques, sociales, politiques et communicationnelles. La tradition de l’Orthodoxie est pour l’homme une source intarissable de vérités vitales. Nul autre que le Christ et Son Église n’a autant honoré l’être humain, et pris soin de lui. La protection du principe de liberté religieuse dans toutes ses perspectives est un droit fondamental, c’est-à-dire la liberté de conscience, de foi, de culte et toutes les manifestations individuelles et collectives de la liberté religieuse, y compris de droit de chaque croyant de pratiquer librement ses devoirs religieux, sans immixtion d’aucune sorte de la part des pouvoirs publics, ainsi que la liberté d’enseigner publiquement la religion et assurer les conditions de fonctionnement des communautés religieuses.
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Commentaire/Analyse
Le début de ce paragraphe ne trompe personne dans sa rhétorique. L’Eglise ne se mêle pas de politique … mais… On sait qu’en rhétorique, tout ce qui précède le « mais » dans une phrase peut être ignoré. L’utilisation du verset « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » est souvent utilisé par les tenants de la laïcité, et il est un peu pénible de le voir ici, en appui de l’idée de séparation. Si on reprend le contexte des Evangiles, on voit bien que Jésus n’institue pas la laïcité à cet endroit. La laïcité est simplement, sous le couvert de la liberté religieuse, une des plus impitoyables guerres menée à la religion catholique en France, par les opposants de celle-ci (qui ne sont pas mus par une orthodoxie dogmatique dans le cas présent).
En tout cas, l’on voit avec plaisir le concile déclarer une phrase très forte « son témoignage est essentiellement politique en tant que souci pour l’humain et pour sa liberté spirituelle ». Qu’elle est l’implication concrète pour le chrétien ? qu’il peut s’engager dans une réflexion politique, comme prolongement de son action chrétienne dans le monde. C’est ici qu’il faudra avoir le discernement nécessaire relatif à cet exercice particulier. Le Christianisme en tant que tel ne peut par exemple tenir lieu de programme ou simplement de valeurs. C’est un exercice courant aux USA que de voir s’afficher un candidat relativement à sa foi, sa pratique, et sa piété, comme si cela allait être un gage de sa politique future. Il y a ici la rencontre de deux visions anthropologiques par rapport au péché : la première (courante aux USA) considère que le péché est une globalité, et pécher dans un domaine précis, c’est pécher dans tous les domaines (par exemple, on ne peut voter pour un candidat ayant trompé sa femme, car assurément il trompera aussi le pays), ou bien les péchés sont confinés dans des catégories de péchés (par exemple un candidat ayant trompé sa femme n’en demeure pas moins très efficace dans la mise en place d’une politique économique).
On constate aussi avec bonheur une nécessaire critique des droits de l’homme, qui sont en soi une religion laïque d’une effroyable perversité. Le concile témoigne d’une clairvoyance accrue vis-à-vis des deux écueils relatifs aux deux pôles classiques des échiquiers politiques modernes (droite / gauche) : les libertés individuelles pour ce qui est de la gauche, et la centralité économique pour la droite. Un chrétien orthodoxe un tant soi peu sérieux sur sa théologie ne peut pas s’inscrire sérieusement dans une politique favorisant l’extension sans fin des droits individuels, pas plus qu’il ne peut s’inscrire sérieusement dans une politique favorisant l’accumulation des richesses pour les plus riches parmi les plus riches. Pour parler clairement, un orthodoxe sérieux ne peut ni être de gauche, ni de droite. Le concile appelle à l’inaliénable respect de la liberté religieuse. Est-ce une naïveté par rapport à l’époque (doit-on se battre pour l’existence de la scientologie ?) ou bien une anticipation des persécutions à venir, par exemple, lorsque le lobby LGBT viendra demander l’abrogation des passages bibliques relatifs à la condamnation de l’homosexualité ? Alors, on verra le système dans toutes ses contradictions : « droits » des homosexuels face aux « droits » des gens à croire en quelque chose qui nie des droits à ces derniers. L’Eglise sera alors libérée de la problématique liée à la relation politique. Sa persécution signifiera sa libération. Moment qu’il faut craindre et espérer à la fois.