Etude canonique du concile pan-orthodoxe de 2016 en Crète

VII. L’Église : témoigner dans le dialogue : la faiblesse de l’apologétique orthodoxe

20. L’Église est sensible à ceux qui l’ont quittée et souffre pour tous ceux qui ne comprennent plus sa voix. Dans sa conscience d’être la présence vivante du Christ dans le monde, elle transpose dans des actions concrètes l’économie divine en utilisant tous les moyens à sa disposition afin de témoigner de la vérité de façon crédible dans la rigueur de la foi apostolique. Partant de cette compréhension du devoir de témoignage et de disponibilité, de tout temps, l’Église orthodoxe accorde une grande importance au dialogue, notamment avec les chrétiens hétérodoxes. Moyennant ce dialogue, les autres chrétiens connaissent désormais mieux l’Orthodoxie et la pureté de sa tradition. Ils savent aussi que l’Église orthodoxe n’a jamais accepté le minimalisme théologique ou la mise en doute de sa tradition dogmatique et de son éthos évangélique. Les dialogues interchrétiens furent une occasion pour l’Orthodoxie de souligner le respect dû à l’enseignement des Pères et de témoigner valablement de la tradition authentique de l’Église une, sainte, catholique et apostolique. Les dialogues engagés par l’Église orthodoxe n’ont jamais signifié et ne signifieront jamais faire des compromis d’aucune sorte en matière de foi. Ces dialogues sont un témoignage de l’orthodoxie étayé sur le message évangélique : « Viens et vois » (Jn 1, 46) et « Dieu est amour » (I Jn 4, 8).

Dans cet esprit, étant la manifestation en Christ du Royaume de Dieu, l’Église orthodoxe dans le monde entier vit le mystère de la divine économie dans sa vie sacramentelle centrée sur la divine Eucharistie qui nous donne non pas une nourriture périssable et corruptible, mais le Corps du Seigneur Lui-même, source de vie, « le Pain céleste » « qui est remède d’immortalité, antidote pour ne pas mourir, mais pour vivre en Jésus Christ pour toujours » (Ignace d’Antioche, Lettre aux Éphésiens XX, 1, PG 5, 756A). La divine Eucharistie est le noyau central de la fonction conciliaire du corps ecclésial, ainsi que la véritable assurance de l’orthodoxie de la foi de l’Église, comme l’affirme saint Irénée de Lyon : « Pour nous, notre façon de penser (= enseignement) s’accorde avec l’eucharistie, et l’eucharistie en retour confirme notre façon de penser » (Contre les hérésies, IV, 18, PG 7, 1028). Évangélisant donc le monde entier, conformément au commandement du Seigneur, et « prêchant la repentance et la rémission des péchés à toutes les nations » (cf. Lc 44, 47), nous devons nous confier les uns les autres et toute notre vie au Christ notre Dieu ; nous devons nous aimer les uns les autres, confessant dans la concorde « le Père, le Fils et le Saint-Esprit, Trinité consubstantielle et indivisible ». Réunis en Concile, adressant ceci aux fidèles de notre très-sainte Église orthodoxe et au monde entier, marchant sur les traces des saints Pères et obéissant aux décisions conciliaires qui prescrivent de sauvegarder la foi apostolique léguée et de nous « conformer au Christ » dans notre vie quotidienne, dans l’espérance de la « résurrection commune », nous rendons gloire à la Divinité en Trois Personnes en chantant : « Père Tout-Puissant, Verbe et Esprit de Dieu, Nature Unique en Trois Personnes, Essence et Divinité Suprême, en Toi nous avons été baptisés et nous Te bénissons dans tous les siècles » (Canon pascal, ode 8.)


Commentaire/Analyse




Ce paragraphe aborde des sujets importants. Pourquoi dialoguer dans les cercles œcuméniques ? Quelles sont les conditions de l’évangélisation ? Abordons les problèmes dans l’ordre posés par le concile. Le concile rappelle qu’il convient de dialoguer sans chercher un compromis d’aucune sorte. On peut lire quelques expressions très fortes : minimalisme théologique, tradition dogmatique, éthos évangélique. Ceci devrait rappeler à la « frange progressiste » de l’Église qu’ils approchent mal le dialogue avec les chrétiens hétérodoxes, comme les appelle le document officiel. Comme je le disais dans un autre post, il est absurde de négocier quoi que ce soit sur le plan théologique. L’Église est le lieu de la vérité dogmatique, de ce qui fut laissé par le Christ aux Apôtres. Cela s’est produit quelques fois, et il pourrait en être de nouveau très prochainement : l’Église n’est pas celle du nombre, ni celle des patriarches aussi éminents soient-ils : elle est celle de la vérité de la tradition. Très bien. Une fois qu’on a dit cela, finalement, c’est comme si l’on avait rien dit. Les sédévacantistes ne cessent de rabâcher le même discours dans le monde romain. Quelle est la tradition à laquelle il faut se rattacher ? Les marqueurs que je propose sont les suivants :

La théologie issue de la liturgie doit être conforme avec la théologie issue de la dogmatique pure
La gnose doit être parfaitement connue et analysée pour vérifier si toute option théologique en est parfaitement épargnée.
La tradition juive doit être connue pour vérifier que toute option théologique garde bien une dimension sémitique (en dehors des fractures sur la personne du Christ)
La tradition patristique et canonique doit être connue pour voir si toute option théologique est une création traditionnelle ou au contraire un éloignement de la tradition.

Quelques exemples pour éclairer ces points :

l’adoration du saint sacrement romain n’est pas possible selon la théologie de la liturgie orthodoxe.
La condamnation de la sexualité comme étant intrinsèquement liée au péché est de la pure gnose.
L’ecclésiologie romaine est impensable dans un fonctionnement sémitique, c’est-à-dire orthodoxe.
Le consensus patristique ne donne pas de transmission par la chair du péché originel.
Le droit canon orthodoxe multi-millénaire permet le mariage des prêtres et la communion des divorcés.

Le concile appelle à faire de l’œcuménisme pour témoigner, et finalement de façon cachée pour faire de la mission. Très bien. Ces réunions sont hypocrites, et tout le monde est là pour faire de la mission au final. Jeune orthodoxe j’y allais par obligation. Une fois que j’ai assisté à une prière qui intercalait des versets des Béatitudes et des bouts de la déclaration des droits de l’homme, je me suis promis que plus jamais je n’irais dans ces réunions inutiles. Le témoignage de la chaise vide orthodoxe me semble plus frappant au final pour les autres. Je voudrais que les protestants et les catholiques se demandent pourquoi nous autres orthodoxes ne participons plus à ces prières grotesques… Mais il est quelque chose que nous devons reconnaître humblement : l’apologétique néo-protestante est ultra efficace. C’est une machine de guerre bien huilée, bien rodée, et il est normal de constater que la plus grosse progression chrétienne dans le monde est due à cette frange là du Christianisme. C’est un électrochoc que chaque orthodoxe devrait ressentir, et ce que demande le concile est totalement en contradiction avec ce que font les instances orthodoxes. Et c’est justement à cause du premier point : c’est à cause du dialogue œcuménique que nous ne faisons pas de mission (en tout cas en France). C’est pour ne pas froisser nos « frères catholiques » que nous n’allons pas voir les catholiques en leur disant : « voulez vous voir la vraie Église fondée par le Christ ? ». Et tout ceci est petit jeu incestueux un peu médiocre, un peu lâche, basé sur la faiblesse économique et la nécessité d’avoir des locaux pour célébrer. Les orthodoxes dépendent la plupart du temps des lieux vacants disponibles dans le monde catholique au bord de la rupture. Nous bradons donc notre évangélisation à la terre entière pour pouvoir bénéficier de lieux immédiatement disponibles. C’est un mauvais calcul au sens missionnaire et au sens historique. Au sens missionnaire, parce que cela signifie que l’orthodoxie reste au final un culte plutôt réservé à une population en diaspora ou issue de la diaspora. Si nous ne faisons pas rentrer des milliers et des milliers de français, nous resterons toujours dans un monde où l’on entendra parler des roumains, des grecs, des russes, des serbes, mais jamais des locaux. Et en ce sens, la langue de célébration est fondamentale : n’espérons pas faire venir des français en célébrant en roumain, et en mettant un Notre Père et quelques tropaires chantés en français. Les paroisses qui font cela trahissent l’appel du Christ à faire des disciples, et trahissent la Pentecôte. Ou si l’on veut être parfaitement traditionnel, en ce cas, revenons à la langue liturgique originelle : l’hébreu. Cela mettra fin à tous les débats.




Trahison historique ensuite : l’Europe se sécularise. Le catholicisme romain disparaît. Les prêtres qui suivent le Vatican ont aujourd’hui 70 ans de moyenne d’âge et supervisent 19 paroisses. C’est-à-dire qu’il s’agit d’un véritable collapse. Inutile donc de respecter ce qui est en train de mourir. Il serait temps que les évêques mettent en place une véritable apologétique, une véritable mission, sinon comme le disait le regretté Père Placide, dans 50 ans, l’orthodoxie en France aura disparu. Et ce n’est pas une alliance de compromis avec les catholiques romains qui permettra la survie. C’est au contraire une orthodoxie intransigeante sur sa dogmatique, sur sa liturgie, sur sa mission, sur son histoire qui pourra répondre au commandement du Christ. La tâche est immense, mais exaltante.

Voici les priorités, telles qu’elles m’apparaissent :

Étudier et populariser le chant byzantin : l’abandon des musiques médiocres issues de traditions slaves mal digérées (l’exemple navrant de Maxime Kovalevsly est révélateur de cela) est vital. Il faut qu’un local pénétrant dans une église n’entende pas un chant composé pour quatre voix dont seulement deux sont exécutés par manque de personnel, et dont l’éthos est final assez proche de la médiocrité liturgique romaine issue de Vatican II.
Catéchiser en profondeur : tout le monde doit devenir apôtre. La théologie ne doit pas rester un monde de spécialiste. Chaque orthodoxe doit pourvoir être un relais de l’Église, à son travail, dans sa famille, chez ses amis, etc.