Etude canonique du concile pan-orthodoxe de 2016 en Crète

Texte officiel : l’autonomie et la manière de la proclamer

Le saint et grand Concile de l’Église orthodoxe s’est penché sur le thème de « l’autonomie et la manière de la proclamer ». Après avoir débattu le texte que la V Conférence panorthodoxe préconciliaire (Chambésy, 10-17 octobre 2015) lui a soumis, il l’a approuvé moyennant quelques amendements mineurs, comme suit.

Les questions du texte examinées par le Concile concernent : a) la notion, le contenu et les divers schémas de l’institution de l’autonomie ; b) les conditions préalables qu’une Église locale doit remplir pour demander son autonomie à l’Église autocéphale dont elle relève ; c) la compétence exclusive de l’Église autocéphale d’engager et d’achever la procédure d’octroi de l’autonomie à une partie de sa juridiction canonique, des Églises autonomes n’étant pas créées dans l’espace géographique de la Diaspora orthodoxe ; d) les conséquences de cet acte ecclésial sur les relations de l’Église proclamée autonome tant avec l’Église autocéphale à laquelle elle a sa référence qu’avec les autres Églises orthodoxes autocéphales.

1. L’institution de l’Autonomie exprime de manière canonique le statut d’indépendance relative ou partielle d’une partie ecclésiale précise par rapport à la juridiction canonique de l’Église autocéphale à laquelle elle a sa référence canonique.

a. Au cours de l’application de cette institution dans la praxis ecclésiale, des degrés de dépendance ont été formés concernant les relations de l’Église autonome avec l’Église autocéphale à laquelle elle a sa référence.
b. L’élection du Primat de l’Église autonome est approuvée ou opérée par l’organe ecclésiastique compétent de l’Église autocéphale dont le Primat est commémoré par le Primat de l’Église autonome et auquel ce dernier a sa référence canonique.
c. Dans le fonctionnement de l’institution de l’autonomie il existe divers schémas d’application dans la praxis ecclésiale qui sont déterminés par l’étendue de dépendance de l’Église autonome vis-à-vis de l’Église autocéphale.
d. Dans certains schémas, le degré de dépendance de l’Église autonome se manifeste aussi par la participation de son Primat au Synode de l’Église autocéphale.

2. La compétence canonique pour engager et achever la procédure d’octroi de l’autonomie à une partie de sa juridiction canonique appartient à l’Église autocéphale à laquelle l’Église proclamée autonome a sa référence. Ainsi:

a. L’Église locale demandant son autonomie, si elle remplit les conditions requises ecclésiales, canoniques et pastorales, soumet la demande dans ce sens à l’Église autocéphale à laquelle elle a sa référence, expliquant les motifs graves dictant la soumission de sa demande.
b. L’Église autocéphale, à la réception de la demande, évalue en Synode les conditions préalables et les motifs de soumission de la demande et elle décide d’octroyer ou non l’autonomie. En cas de décision positive, elle promulgue le Tome relatif qui fixe les limites géographiques et les relations de l’Église autonome avec l’Église autocéphale à laquelle elle a sa référence, conformément aux critères établis de la tradition ecclésiale.
c. Le Primat de l’Église autocéphale communique au Patriarcat oecuménique et aux autres Églises orthodoxes autocéphales la proclamation de l’Église autonome.
d. L’Église autonome s’exprime par le truchement de l’Église autocéphale dont elle a reçu l’autonomie dans ses relations interorthodoxes, interchrétiennes et interreligieuses.
e. Chaque Église autocéphale ne peut octroyer le statut d’autonomie que dans les limites de sa circonscription territoriale canonique. Dans le domaine de la Diaspora orthodoxe, des Églises autonomes ne sont créées qu’après consensus panorthodoxe, obtenu par le Patriarcat oecuménique selon la pratique panorthodoxe en vigueur.
f. Dans des cas d’octroi du statut d’autonomie à la même circonscription géographique ecclésiale par deux Églises autocéphales, engendrant dès lors une contestation de l’autonomie de part et d’autre, les parties impliquées s’adressent conjointement ou séparément au Patriarche oecuménique afin que celui-ci trouve la solution canonique à la question selon la pratique panorthodoxe en vigueur.

3. Les conséquences pour l’Église autonome et ses relations avec l’Église autocéphale résultant de la proclamation de l’autonomie sont les suivantes:

a. Le Primat de l’Église autonome ne commémore que le nom du Primat de l’Église autocéphale.
b. Le nom du Primat de l’Église autonome n’est pas inscrit dans les Diptyques.
c. L’Église autonome reçoit la sainte myrrhe de l’Église autocéphale.
d. Les évêques de l’Église autonome sont élus, installés et jugés par son organe ecclésiastique compétent. En cas d’incapacité certaine de l’Église autonome en la matière, celle-ci est assistée par l’Église autocéphale à laquelle elle a sa référence.


Commentaire/Analyse




Le but de ce blog est, je le répète, de faire de la théologie, et non de l’actualité. Mais s’il avait été tenu à l’époque d’un concile œcuménique, il aurait parlé de l’actualité théologique brûlante d’alors. Ici, ce qui fait l’actualité, ce n’est pas ce concile commenté en tant que tel (car il reste au moment où j’écris, un concile mineur, à la réception incertaine, au contenu parfois maladroit, qui ne grandit pas ceux qui y ont participé, tenu sans des patriarcats incontournables pour l’Église orthodoxe aujourd’hui, tels qu’Antioche ou Moscou) mais l’actualité est un différent grave entre Constantinople et Moscou. Ou plutôt entre Constantinople et l’humilité. Entre Constantinople et la raison, l’histoire, le bon sens. Non pas que Moscou incarne toujours l’humilité, la raison, l’histoire et le bon sens. Pas toujours. Mais aujourd’hui, oui.

Quelle est la situation ? Le territoire politique appelé Ukraine connaît aujourd’hui trois juridictions qui se prétendent orthodoxes : le patriarcat de Moscou (« l’Église ukrainienne orthodoxe »), une première église schismatique qui se prétend autocéphale (« l’Église ukrainienne orthodoxe autocéphale »), et enfin une nouvelle entité ad hoc qui veut l’autocéphalie : « Patriarcat de Kiev ». Nous avons ici la convergence de plusieurs maladies orthodoxes actuelles : l’intrusion du politique dans le religieux, du national dans le spirituel. Qui s’intéresse un peu à l’actualité connaît les événements en Ukraine, et comment un putsch financé par l’occident a voulu sortir l’Ukraine de l’orbite russe. Ce putsch a été vendu aux opinions publiques comme une révolution colorée, un mouvement jeune et sympa de libération face à un pouvoir vieillissant et corrompu. Le besoin de l’Allemagne en main d’œuvre bon marché et l’extension ad nauseum de l’OTAN sont des circonstances beaucoup moins romantiques et beaucoup plus froides.

Il est donc stupéfiant, dans ce contexte très particulier, de voir le patriarche de Constantinople supporter une inacceptable demande d’autocéphalie, au sein même d’un territoire qui dépend canoniquement du patriarcat de Moscou. Quelle tristesse de voir Constantinople, suivre un agenda géopolitique occidental, pour s’opposer au patriarcat russe. Car derrière, le but visé n’est absolument pas religieux. Il s’agit simplement d’isoler davantage encore la Russie, en frappant fort avec le symbole que représente Kiev dans l’histoire politique et religieuse russe. Ainsi, le patriarche œcuménique, n’a pas utilisé sa faiblesse (petit îlot grec et chrétien au sein d’une immense Turquie musulmane) pour témoigner avec ascèse du Christ, mais a pris peur au sein de cette faiblesse et s’est probablement plié à des réalités bassement matérielles, économiques et diplomatiques qui nous échappent pour le moment. En effet, il faudrait être dans l’entourage du patriarche pour savoir ce qui se joue réellement. Mais, du point de vue théologique, cela n’a finalement que peu d’importance. Il s’est probablement joué le même genre de situation intenable au moment de la démission du patriarche de Rome, Benoît XVI, côté latin. Benoît a au moins eu l’élégance de démissionner, ce qui a attiré l’attention sur une situation assez unique.

Pas besoin ici d’avoir fait des années et des années de droit canon pour savoir qui est dans le vrai et qui ne l’est pas. Tout est, pour une fois, affreusement simple et clair. Constantinople, dans un excès qui me surprend même, se transforme tout d’un coup en un ensemble atteint de la même maladie de primauté que Rome en son temps. Être atteint soi-même de la turpitude de ce que l’on a dénoncé soi-même depuis près de 1000 ans est finalement assez cocasse. Constantinople aujourd’hui, comme jadis Rome, se croit donc autorisée à s’immiscer dans les affaires d’une autre juridiction. Le fait de se nommer « patriarcat œcuménique » est donc monté à la tête de certains, comme quoi il suffira d’un titre et d’un peu de temps pour que l’inévitable tentation se transforme en péché. La prétention de ce patriarche à convoquer un Concile était déjà somme toute un peu extravagante. Mais l’on pourra constater en lisant ce que dit le concile sur la façon d’accorder l’autocéphalie, que Constantinople, en Ukraine, ne respecte même pas les décisions qui y furent adoptées.

Pour finir, on pourrait se dire que Constantinople était un reliquat du passé, d’une époque byzantine achevée aujourd’hui, et que la modernité orthodoxe passe par Moscou. C’est en grande partie vrai. En grande partie parce que depuis le début du vingtième siècle, il y a un développement inquiétant de la théologie à Constantinople, concernant la primauté. Cette théologie a des accents romains bien connus. Mais il y a deux choses à garder à l’esprit néanmoins. Premièrement le passé glorieux. Saint Jean Chrysostome ou saint Grégoire de Nazianze furent patriarche de Constantinople. C’est-à-dire deux des trois hiérarques de l’Orthodoxie. Mais l’hérétique Nestorius fut aussi patriarche de Constantinople. Ce ne serait donc pas la première fois que se succèdent splendeur et misère sur le trône de Constantinople. Et il y a la Sainte Montagne, le Mont Athos, qui dépend de Constantinople. Il faut, maintenant, dans les rangs même de Constantinople, des voix qui s’élèvent. Des voix qui comprennent que l’on ne peut pas confondre obéissance et hérésie. Que l’on ne peut pas confondre fidélité et aveuglement. Car la folie d’un patriarche ne peut pas parler pour tout un patriarcat. On pourrait noircir des pages et des pages pour dire tout ce qui ne va pas à Moscou. On pourrait noircir des pages et des pages sur tout ce que Constantinople a fait de bien pour l’Église. Mais aujourd’hui, il s’agit simplement de la folie aveugle d’un patriarche qui va causer de profondes blessures dans l’Église. Peut-on encore éviter un schisme durable ?