Quatrième fragment d'Anaximandre : le problème du contexte
Texte original grec du fragment (et traduction)
traduction littérale
Vers d'autre part à ce mouvement éternel être, dans lequel s'accomplit être devenu les cieux. La d'autre part terre être en l'air par rien prisonnière, restée d'autre part au travers de la semblable tous distance. le d'autre part apparence du rond, sphérique, colonne à pierre ressemblant. aux d'autre part des plans ô d'une part sommes sur, le d'autre part antithétique débute. Le d'autre part astre qui est devenu anneau de feu, séparé de selon le monde de feu, encerclé par de l’air. expirations et débuterait passages qui [XXX], selon qui sera montré le astres. par quoi et qui est bloqué des expirations les éclipses qui est devenu. La d'autre part lune à un moment d'une part accomplir montrer, à un moment d'autre part décroître d'à côté de la des passages bloquer la ouvrir. être d'autre part le anneau du soleil dix-sept fois plus grand * * * la lune, et le plus en haut d'une part être le soleil, * * * le plus bas d'autre part les des non volantes * * * étoiles anneaux. le d'autre part animaux qui est devenu < hors du fluide > [XXX] par du soleil. le d'autre part homme à autre animal devenu, c'est à dire au poisson, ressemblant selon commencements.
traduction possible
Il y eut un mouvement éternel dans lequel advint la naissance des cieux. La terre est en l’air, et rien ne l’emprisonne. Elle reste à cause de son égale distance de tout. Sa forme est ronde, sphérique, ressemblant à une colonne de pierre. Nous sommes sur un des plans, et un opposé débute sur l’autre côté. Les astres sont des anneaux de feu qui encerclent le monde dans l’air. Ils évacuent l’air par des tuyaux XXX ce qui les rend visibles. Les éclipses adviennent quand ces tuyaux se bloquent. La lune croit et décroit si ces tuyaux sont ouverts ou fermés. Le cercle du soleil est 17 fois plus grand que *** de la lune, et le plus haut est le soleil, *** et les étoiles fixes les plus basses. Les animaux sont XXX du liquide par le soleil. D’autre part, à l’origine, l’homme était semblable à un animal, précisément le poisson.
Commentaire/Analyse
Ce commentaire est virtuellement impossible à réaliser puisque nous n’avons pas le contexte exact. Il faut toujours se souvenir qu’avec les présocratiques, il ne s’agit que de fragments. Il n’y a rien de mieux qu’un fragment pour tirer une phrase de son contexte. Les *** dans le texte indique d’ailleurs, que le fragment lui-même est incomplet. Les XXX sont des termes que je n’ai pas réussi à traduire avec mon matériel personnel, mais ceci relève d’une autre problématique. Tentons néanmoins une analyse.
S’il s’agit d’un texte purement scientifique. Il y manque ce que nous appelons aujourd’hui la démarche scientifique, qui a une part d’observation, et une part d’expérimentation pour valider ou invalider la théorie qui semblait émerger de l’observation. Il s’agirait donc d’une science antique, qui était bien plus imparfaite que la notre aujourd’hui. Elle se baserait sur une théorie d’explication assez sommaire, censée répondre aux questions les plus immédiates. On voit assez rapidement en lisant le texte, que ceci semble être très peu probable. Au-delà de la vision assez naïve du fonctionnement des éclipses (on notera néanmoins une première compréhension du système de rotation des astres, mais avec un dispositif non hélio-centré), il y a trois fulgurances intéressantes dans ce texte : une articulation entre le temps et l’éternité, une notion sphérique de la terre, et enfin une origine aquatique de l’homme. C’est la relation entre le temps et l’éternité qui intéressera le plus le théologien.
La phrase qui exprime cette articulation est « Il y eut un mouvement éternel dans lequel advint la naissance des cieux » et est de nature antinomique : l’éternité du mouvement s’oppose à la naissance qui par définition est dans l’instantanéité. Ne disposant pas du contexte, il sera difficile d’élaborer quel était ce mouvement et comment advint cette naissance. Mais cette opposition , ou plutôt juxtaposition du temps et de l’éternité est le résumé de toute la problématique de la théologie : penser de façon simultanée le fini et l’infini.
La notion sphérique de la terre montre, si l’on est bien dans le registre scientifique, une certaine maturité, même si celle-ci est juxtaposée à cette idée de colonne, montrant l’incompréhension du phénomène gravitationnel, et se conjugue avec l’idée d’un disque plat. Plus étonnante est l’origine aquatique de l’homme, que rien ne peut laisser supposer par une observation superficielle. Cette origine aquatique est d’ailleurs elle-même non pas une vérité scientifique, mais une théorie bien établie, celle de l’évolution des espèces, qui par sa nature même ne saurait être une vérité scientifique, mais bel et bien une théorie, que l’expérimentation ne peut valider, car le temps long y est un élément déterminant. Il convient ici d’être dans une épistémologie sérieuse. On se retrouve donc avec ce fragment d’Anaximandre, face à des conjectures intéressantes : Darwin a-t-il été inspiré par une théorie antique ayant peu de crédibilité scientifique ? On pourra surtout y déceler une saine démarche de la part du philosophe étudié ici : prendre le monde comme enseignement. C’est la démarche à laquelle tout théologien est appelé. Le monde est un grand message divin. La gestation est une phase aquatique de la vie humaine. Tout commence dans le liquide. C’est peut-être ceci qui a inspiré Anaximandre.
On voit en tout cas que pour ce philosophe, le monde est un sujet d’observation pour tirer des vérités philosophiques, des connaissances scientifiques et des certitudes spirituelles. Même si les résultats sont incertains, la démarche d’Anaximandre est parfaite. Il nous faut donc comprendre, au-delà des erreurs et des bizarreries, le caractère supérieur de cette école de pensée, et son rôle absolument déterminant dans l’histoire du salut, ainsi que son lien plus important que l’on ne croit généralement, avec la révélation du Sinaï.