les deux généalogies du Christ

Plusieurs approches du texte biblique et de sa cohérence sont possibles. La première sera de juger le texte selon une cohérence externe : par exemple, je lis le récit de la création dans le premier chapitre de la Genèse, et je le compare à ce que m’apprend la science moderne, principalement physique. Généralement, cette approche de la cohérence est peu empathique avec le texte biblique, et servira à conforter une démarche liée à l’athéisme. Ensuite, je peux vouloir chercher une cohérence interne. En faisant fi de la vraisemblance du texte du point de vue scientifique, je me demande si le texte est cohérent avec lui-même. Par exemple, si on me dit des choses contradictoires dans deux textes qui portent sur le même sujet, j’ai un problème de cohérence interne. Cette démarche peut aller en support de la première démarche, pour apporter un argument définitif : le texte n’est pas scientifique, et en plus il est absurde du simple point de vue logique. Elle sera le plus souvent formulée par des gens qui veulent apporter des contradictions très argumentées, précises et qui se veulent définitives. Ensuite, vous avez les croyants, non instruits des choses bibliques, qui vont constater ces contradictions mais qui vont choisir de les ignorer, ne sachant comment se déterminer vis-à-vis d’elles. Cela pourra être vu de deux façons : le respect de la « foi du charbonnier », une foi simple, basée sur des choses au final non rationnelles. On croit, et c’est tout. Et si, au final, cette foi est solide, rien ne pourra jamais la déboulonner. Mais est-ce suffisant ? Non. Et c’est là, la deuxième façon d’aborder cette problématique de cohérence interne. Il faudra bien saisir ce qu’est l’Ecriture pour sortir de cet immobilisme qui a sa beauté, mais qui n’est pas de ce à quoi nous sommes appelés. Car l’Ecriture, c’est la pensée de Dieu. C’est la parole de Dieu, adressée aux hommes. Et souvent elle est adressée sous la forme d’une énigme. Enigme de Dieu, énigme de l’Ecriture. La question renverse alors toute la problématique. Je ne pars du texte pour déduire des choses sur Dieu. Ceci mène à l’athéisme ou tout du moins au protestantisme, qui n’est jamais que l’antichambre de l’athéisme. Je pars de Dieu pour aller vers Son texte. Puisque j’ai la certitude absolue (qu’on peut d’ailleurs bâtir rationnellement, je m’y essaierai dans un autre post) que ce texte émane de Dieu, alors je me retrouve devant la quasi obligation de résoudre ce mystère : pourquoi Dieu, dans son omniscience me donne comme parole directrice de vie, des paroles qui violent les lois de la science qu’il a Lui-même édictées, et qui plus est me donne des paroles qui sont contradictoires entre elles ?

Dieu ici réalise un vibrant appel à l’étude, à la réflexion, à la confrontation d’idées et d’opinions. La question des deux généalogies du Christ est un des plus fameux problèmes de cohérence interne. En effet, le Christ a, si je prends au sérieux l’Evangile de Matthieu et l’Evangile de Luc, non pas deux, mais quatre grands-pères. Bien qu’il soit le Messie, Dieu incarné, le rédempteur, et tout ce que vous voudrez qui soit théologiquement acceptable, il n’est pas possible qu’il ait quatre grands-pères. Il doit en avoir deux. Comme tout le monde. Autre problème de cohérence interne, peut-être le plus fameux chez les spécialistes du Nouveau Testament : les deux dates de la Cène du Christ. Dans tous les Evangiles, Jésus meurt la veille du Shabbat, donc jeudi soir/vendredi matin. Dans les synoptiques (façon de regrouper Matthieu, Marc et Luc) ce jeudi soir/vendredi matin tombe le 15 nisan (date du calendrier Juif). Chez Jean, ce jeudi soir/vendredi matin tombe le 14 nisan. La conséquence de ceci est immense, car il y a une contradiction sur la date même de la mort du Christ. Il meurt vendredi dans les synoptiques, tandis que chez Jean, il meurt un jour avant, le jeudi. De la même façon, le Christ peut être tout ce qu’en dit l’orthodoxie, il n’en est pas moins mort un certain jour, et il n’est pas mort deux fois. Je ne résoudrais pas ces deux énigmes de cohérence interne ici dans ce post, car tout au plus j’ai une théorie plausible pour chacune, que j’exposerai plus tard dans des post dédiés. L’important ici, est de vous faire saisir la dynamique du texte. Il est loin d’être parfait. Il ne peut être idolâtré pour sa structure, son style, etc. Il est bourré de fautes d’orthographe, de fautes de grammaire. C’est flagrant au niveau de la Torah dans les tous premiers textes. Mais ceci a été intégré dans le travail d’étude. Le prisme est devenu le suivant : puisque Dieu me donne un texte, et que Dieu l’inspire avec des fautes, que signifient ces fautes ? C’est le même processus que celui des anomalies de cohérence interne, mais en plus réduit. Ceci a tellement été intégré en milieu Juif, que dans les écoles rabbiniques de l’antiquité, l’enseignement commençait dans le fait de rechercher les fautes, les anomalies, les bizarreries. Et chacune était alors étudiée sous l’angle d’une révélation théologique. Prenons le premier verset de la Genèse : le verbe est au singulier (bara pour créa) et le Nom de Dieu est un nom pluriel (fin du mot en im qui est la marque du pluriel). Les Pères ont souvent commenté cette « faute » comme indication trinitaire. Ainsi, il faut aborder tout texte, en considérant les règles herméneutiques suivantes :

1 : Il n’y a pas de faute non intentionnelle dans le texte biblique.

2 : Toute faute est intentionnelle et cache un message, un enseignement, une révélation théologique.

Revenons à la double généalogie. Il est évident, que pour l’Eglise primitive, dont il faut bien comprendre qu’elle n’hérite pas du texte, mais bien qu’elle le produit, cette double généalogie ne constitue pas un problème. Elle constitue un enseignement, une théologie, une occasion de compréhension plus avancée sur le mystère christique. C’est à nous, pauvres modernes, de monter dans les cimes de la théologie qu’ont produit les disciples du Christ. Nous ne pouvons pas douter du texte. Nous ne pouvons douter que du lecteur.