l’utilisation des matériaux rabbiniques dans la théologie chrétienne : exemple du kal wakhomer.

Dans les trois présentations de la Mishna, j’ai déjà expliqué les différentes catégories de textes de la tradition rabbinique, et je n’y reviens donc pas. La préface au travail de Lightfoot amène aussi des informations intéressantes dans ce domaine et elle mérite donc d’être lue avec attention. J’ai beaucoup parlé des outils herméneutiques, c’est-à-dire des outils d’interprétation. C’est pour l’instant probablement vague pour ceux qui ne connaissent pas ce fonctionnement si particulier. Lorsque j’aurai présenté ces outils dans leur totalité, ils comprendront aisément pourquoi Dieu a décidé de s’exprimer en hébreu, cette langue étant incroyablement propice à l’herméneutique.

Ces outils sont multiples, mais partent tous d’un principe unique. Imaginez un ébéniste. Il doit travailler le bois. Mais pour le travailler, il va pouvoir utiliser selon les circonstances le marteau, la scie, la colle, le vernis, la peinture, etc. Il ne suffit pas d’appliquer bêtement et mécaniquement un outil sur le bois, pour obtenir un résultat qui aura une valeur quelconque. Imaginez, de la même façon, que l’allégorie, la lecture morale, l’approche eschatologique soient ces outils. On ne peut pas non plus, indistinctement utiliser n’importe quel outil d’interprétation dans n’importe quelle situation. C’est ce qui distingue les géants de la patristique ou de la tradition rabbinique vis-à-vis des hérétiques qui ont toujours eu comme point commun d’être des exégètes médiocres.

Les outils patristiques ne se conçoivent qu’à partir du Christ. Ils se basent principalement sur des problématiques liés à l’identification de figures néo-testamentaires dans le contexte vétéro-testamentaire. Mais dire qu’ils ne se conçoivent qu’à partir du Christ, est-ce dire qu’ils sont intégralement nouveaux, ou bien l’actualisation d’outils plus anciens à cause du Christ ? Pour répondre à cette question, il faut connaître ces outils plus anciens et voir comment les Pères travaillent les textes. Pour déterminer ceci, au prix d’une longue étude, il faudra obligatoirement étudier minutieusement ces outils plus anciens. Dans le monde rabbinique postérieur au Christ, ces outils ont été catégorisés par divers rabbins. Tout n’est pas homogène. Reste aussi le doute de leur apparition post-chrétienne. Elle est hautement improbable. Les rabbins eux-mêmes ne cessent de vanter leur caractère traditionnel.

Je vais donner un exemple de ces outils, peut-être le plus connu, dont l’intérêt est qu’il est présent dans le NT, et est utilisé par le Christ ou par Saint Paul dans l’appui de leurs démonstrations. Il s’agit du kal wakhomer (prononcer kal varomèr). Ce type d’outil herméneutique est connu dans le monde occidental sous le nom de raisonnement « à fortiori ». Si déjà « la proposition logique A » alors combien plus « la proposition logique B ». Pour que le raisonnement soit valide il faut bien évidemment que A et B soient liés. A doit être une sorte de B en minimal. Le kal wakhomer se traduit par lourd et léger, ou simple et compliqué. Si déjà je ne peux pas soulever 25 kgs, combien plus je ne peux pas soulever 25 tonnes. Exemple de kal wakhomer du Christ, dans le sermon sur la montagne : Mt 6:26 : “Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils n’amassent rien dans des greniers; et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux?”. La proposition sur les oiseaux est mon A. C’est mon léger. Dieu prend soin des oiseaux. B concerne les hommes. C’est mon lourd. Puisque les hommes sont plus importants que les oiseaux aux yeux de Dieu, si déjà il s’occupe des oiseaux, combien plus il s’occupe des hommes. Le kal wakhomer part d’une considération logique, ou théologiquement logique (c’est ce que fait le Christ ici). En effet d’un point de vue logique, rien n’indique que Dieu s’occupe davantage des oiseaux que des hommes. Pour accepter ceci il faut partir du principe que l’on a ici à faire au Dieu de l’Ecriture. Et avec toutes les leçons que nous enseigne l’Ancien Testament, alors oui, je sais, que Dieu s’occupe davantage des hommes que des oiseaux. L’outil d’interprétation ne s’arrête pas là. Le Christ en tire une conclusion sur l’inquiétude inutile dans nos vies. L’herméneutique est reliée à la vie concrète. Le texte est disponible mais ne peut me donner des comportements, des conseils, des voies, que si je le soumets à l’herméneutique. Mais soumettre le texte à l’herméneutique comme le fait le Christ, demande une approche qui est tout à fait traditionnelle. C’est pourquoi l’étude de travaux comme ceux de Lightfoot (ou Strack et Billerbeck) sont indispensables. Cela nous permet aussi, d’une certaine façon, de redécouvrir les Pères de l’Eglise.