Lightfoot (traduction et commentaire du chapitre 5) : Aquila, réponse juive à la Septante.
Aquila, réponse juive à la Septante
The sea of Sodom ים המלח
The bounds of Judea, on both sides, are the sea; the western bound is the Mediterranean, -- the eastern, the Dead sea, or the sea of Sodom. This the Jewish writers every where call ים המלח, which you may not so properly interpret here, "the salt sea," as "the bituminous sea." In which sense מלח סדומית word for word, "Sodom's salt," but properly "Sodom's bitumen," doth very frequently occur among them. The use of it was in the holy incense. They mingled מלח סדומית 'bitumen,' כפת הירדן 'the amber of Jordan,' and מעלת עשר [an herb known to few], with the spices that made that incense. 'ασφλττιτις λιμνη απεχει των ιεροσολυμιτων ορων σταδιους τ' "The lake Asphaltitis is distant from Jerusalem three hundred furlongs": -- about eight-and-thirty miles.
ταυτης της λιμνης μηκος μεν ογδοηκοντα και πεντακοσιοι σταδιοι "It is extended in length five hundred and eighty furlongs"; seventy-two miles. -- ευρος δε πεντηκοντα και εκατον "In breadth a hundred and fifty furlongs"; eighteen miles.
Pliny speaks thus of it: "In length it is more than a hundred miles: in its greatest breadth, it makes five-and-twenty, -- in its least, six." What agreement is there between these two? I suppose Josephus does not comprehend within his measure the tongue of the sea, of which mention is made, Joshua 15:2 -- and defines the breadth, as it was generally every where diffused. Concerning its distance from Jerusalem, Solinus also speaks: "In a long retreat from Jerusalem (saith he) a sad bay openeth itself; which that it was struck from heaven, the ground, black and dissolved into ashes, testifies. There were two towns there, one named Sodom, the other Gomorrha." But that distance was not directly southward, but by a very long declination eastward.
The Talmudists devote "to the sea of Sodom," לים המלח any thing, that is destined to rejection and cursing, and that by no means is to be used.
יוליך הנייה לים המלח "Let him devote the use of such a thing to the bituminous sea." "Let the price of an oblation for sin, the owner whereof is dead, depart לים המלח into the salt sea."
עקילס הגר "The proselyte Aquila divided the inheritance with his brother a Gentile, and devoted the use and benefit of it to the salt sea. Of three doctors one saith, That he devoted the moneys of idolatry into the salt sea." Hence is that allusion, Revelation 20:14, "And death and hell were cast into the lake of fire."
It doth not please me, that Sodom, in the maps, is placed in the northern bounds of the Asphaltites; when it seems rather to be placed in the southern extremity of it. For,
I. The bounds of the land are thus defined by Moses, Genesis 10:19: "The borders of the Canaanites were from Sidon" (on the north) "unto Gaza" (on the south), "as thou goest forward, or until thou comest to Sodom." Are not the bounds here bent from Gaza to the farthest term opposite to it on the east?
II. Josephus, in the description of the Asphaltites, which we quoted a little above, hath these words: "The length of it is five hundred and eighty furlongs : καθο δη μεχρι ζοαρων της αραβιας εκτεινεται and it is stretched out as far as Zoar of Arabia." Note, that the farthest coast of the extension of it southward, is to Zoar. But now Zoar was not far distant from Sodom, when Lot, with his company, got thither before the rising of the sun, Genesis 19:23. "It is written (say the Gemarists), 'The sun was risen upon the earth, when Lot entered into Sodom.' -- Now Sodom was four miles from Zoar."
The maps show you Zoar and Lot's Cave in Judea, at the northern coast almost of the Asphaltites: -- by what authority, I do not apprehend. The Talmudists, indeed, do mention a certain Zoar, which they also call, "The City of Palms." -- "There is a story (say they) of some Levites, who travelled to Zoar, the city of palms: and one of them fell sick, whom they brought to an inn, and there he died." But I should sooner believe, that there were two Zoars, than I should believe, that the father of the Moabites were not conceived and born near Zoar of the land of Moab. See Isaiah 15:5.
Concerning the age of Sodom, when it perished, see the places in the margin, and weigh them well.
traduction
La mer de Sodome ים המלח
Les limites de la Judée, des deux côtés, sont la mer ; la côte occidentale est la méditerranée, -- l’orientale, la mer morte, ou encore mer de Sodome. Les écrivains juifs l’appellent partout ים המלח, ce qu’on ne peut pas vraiment interpréter ici, « la mer de sel », ou « la mer de bitume ». En ce sens מלח סדומית mot à mot, « sel de Sodome », mais en réalité « bitume de Sodome », apparaît beaucoup parmi eux. Son utilisation était dans le saint encens. Ils ont mélangés מלח סדומית ‘bitume’, כפת הירדן ‘ambre du Jourdain’, et מעלת עשר [une herbe connue de très peu], avec les épices qui constituaient l’encens. 'ασφλττιτις λιμνη απεχει των ιεροσολυμιτων ορων σταδιους τ' « Le lac Asphaltitis est à une distance de 300 furlongs de Jérusalem » : -- environ 38 miles (61 kms environ)
ταυτης της λιμνης μηκος μεν ογδοηκοντα και πεντακοσιοι σταδιοι « sa longueur s’étend sur 580 furlongs » ; 72 miles (115 kms). -- ευρος δε πεντηκοντα και εκατον « en largeur, 150 furlongs » ; 18 miles. (28 kms)
Puis Pline parle de cela : « en longueur cela est davantage que 150 miles (241 kms) : dans sa plus grande largueur cela fait vingt-cinq, et dans sa moindre six ». Quel accord y a-t-il entre ces deux ? Je suppose que Josèphe ne compte pas dans sa mesure la langue de mer, dont il est fait mention en Jos 15:2 – et qui définit la largeur, et qui a été rapportée partout. Concernant sa distance de Jérusalem, Solinus parle ainsi : « Dans une longue retraite de Jérusalem (disait-il) une baie triste, ouverte sur elle-même ; le sol qui avait été frappé par le ciel, noir et réduit en cendres en témoigne. Là se trouvaient deux villes, l’une nommée Sodome et l’autre Gommohre. ». Mais cette distance n’était directement orientée vers le sud, mais par une longue inclinaison vers l’est.
Les talmudistes nomment “mer de Sodome”, לים המלח chaque chose qui est destinée au rejet et à la malédiction, et cela ne sert à rien d’autre qu’à cela.
יוליך הנייה לים המלח « consacrons lui l’utilisation d’une chose telle que la mer de bitume ». « que le prix d’une offrande pour le péché, dont le propriétaire est mort, soit jetée לים המלח dans la mer de sel ».
עקילס הגר “le prosélyte Aquila divisa l’héritage avec son frère, un gentil, et consacra son bénéfice et utilisation dans la mer de sel. Parmi trois docteurs, l’un dit qu’il jeta l’argent de l’idolâtrie dans la mer de sel ». A cela il est fait allusion dans Apo 20:14, « et la mort et l’enfer furent jetées dans le lac de feu ».
Il ne me plaît pas que, sur les cartes, Sodome soit placée dans les limites septentrionales des Asphaltites ; Car il semblerait qu’elle soit davantage placée dans son extrémité sud, parce que,
I. les limites de la terre sont définies de la sorte par Moïse, Gn 10 :19 : « les frontières des cananéens étaient de Sidon (au nord) jusque Gaza (au sud), « jusqu’à ce qu’on arrive jusque Sodome ». Les limites définies ici ne vont-elles pas de Gaza jusqu’au point le plus opposé à l’est ?
II Josèphe, dans la description des Asphaltites, que je cite un peu plus bas, a ces mots « sa longueur est de 580 furlongs : καθο δη μεχρι ζοαρων της αραβιας εκτεινεται et cela s’étend jusqu’à Zoar en Arabie. ». Il faut noter que la côte la plus éloignée au sud est justement Zoar. Mais Zoar n’est pas très éloignée de Sodome, car Lot et ceux qui l’accompagnaient, y parvinrent avant le lever du soleil, Gn 19:23. « il est écrit (disent les guémaristes), ‘le soleil était levé sur la terre, lorsque Lot entra dans Sodom’ – Sodome était à quatre miles de Zoar. » (6.5 kms).
Les cartes montrent Zoar et la grotte de Lot en Judée, sur la côte nord des Asphaltites : -- je ne sais via quelle autorité. Les talmudistes, en effet, mentionnent une certaine Zoar, qu’ils appellent aussi « cité des palmiers ». – « il y a une histoire (disent-ils) de certains Lévites, qui voyageaient depuis Zoar, la cité des palmiers : l’un d’entre eux tomba malade, et ils l’emmenèrent dans une auberge, et ici il mourut ». Mais je devrais plutôt croire qu’il y a deux Zoars, plutôt que de croire que le père des Moabites fut conçu près de Zoar dans le pays de Moab. Voir Isaïe 15:5.
Concernant l’époque de Sodome, lorsqu’elle fut détruite, voyez les lieux aux frontières, et mesurez les bien.
Commentaire/Analyse
Le passage du grec à l’hébreu a été une problématique importante dans le monde juif. En effet, le rapport au grec est antinomique. Le grec est à la fois la langue universelle à l’époque (un peu l’équivalent de l’anglais aujourd’hui) : il est rare de trouver quelqu’un qui ne sache pas parler grec, si on considère le monde antique de notre histoire ; La Chine et l’Inde sont un peu absents de cette histoire. Il a donc semblé naturel aux autorités spirituelles juives de rendre le trésor des Écritures disponible au monde hellénophone. De plus il existait un judaïsme hellénophone. Certains chercheurs vont jusqu’à penser que les premières communautés chrétiennes viennent de ces communautés juives hellénophones. Paul est un digne représentant de cette potentialité, même si sa double culture en fait quelqu’un de difficile à classer.
D’un autre côté, le grec est la langue d’un concurrent terrible sur le plan spirituel pour le peuple élu. Certains livres bibliques se font l’écho d’une lutte terrible entre la culture grecque et la culture juive : les macchabées, par exemple. Il y a donc un phénomène de fascination-répulsion. La Septante, et son histoire illustrent parfaitement cette ambivalence juive…
Historiquement, la traduction des Septantes (LXX) est commandée par le Pharaon Ptolémée II pour plusieurs raisons : les Juifs d’Alexandrie forment les deux tiers de la population, et il est important pour le souverain de posséder un exemplaire compréhensible pour lui du code de loi religieuse auxquels sont soumis les habitants de sa ville. L’importance documentaire documentaire pour Alexandrie et sa fameuse bibliothèque sont également à prendre en compte. La tradition rapporte que six rédacteurs de chaque tribu d’Israël ont participé à la rédaction, ce qui donne un total de soixante-douze rédacteurs. Flavius Josèphe dans ses écrits historiques parle lui de soixante-dix, nombre qui rentrera dans l’histoire, et donnera le nom Septante. Le nombre des traducteurs avait frappé l’imagination, puisque la tradition rapporte un fait pour le moins extraordinaire : chaque traducteur avait traduit de façon séparée, et tous avaient traduits de façon identique, ce qui donnait à leur traduction un caractère inspiré.
Il est important de bien comprendre la notion de traduction à l’œuvre ici. Les juifs ne sont pas des philologues. Les juifs sont avant toute chose des interpréteurs de l’Écriture. Car, sous l’angle philologique, la LXX est plutôt médiocre. Il y a beaucoup de libertés prises avec le texte hébreu. Mais le but n’était pas la traduction, mais bien l’interprétation, et il apparaît évident au vu de cela de considérer la LXX comme un Targoum, et non pas comme une « traduction ». Prenons un exemple pour illustrer le fait. Dans le texte hébreu, Dieu à la fin du processus du création se retire du monde. Et il institue ainsi le Shabbat. Dans le texte de la LXX, il se retire le sixième jour. Même pour le plus mauvais traducteur qu’on puisse imaginer, le fait de remplacer sept par six, dans un moment aussi central de la vie juive (le Shabbat) est inconcevable. Ainsi, la modification est non pas une erreur (seul un philologue allemand appartenant au protestantisme libéral peut être assez naïf pour croire à cette théorie), mais bel et bien une volonté. La question est alors de se demander pourquoi les 72 rabbins ont trouvé un consensus sur ce point ? Et c’est là que l’on peut saisir la dynamique du Targoum. Un Targoum réalise surtout une interprétation, davantage qu’un traduction. La langue de l’interprétation si elle est différente de la langue originelle, donne l’illusion de la traduction. Mais c’est l’interprétation qu’il faut voir. Pourquoi le sixième jour ? Parce que les rabbins ont légiféré de rentrer en Shabbat avant le septième jour, afin de ne pas prendre le risque de le profaner. Ainsi, l’entrée se fait dans le sixième jour. Voici la dynamique du Targoum. La LXX est donc et avant tout un Targoum de langue grecque. C’est le Targoum qui va devenir le texte de référence dans le monde grec. Et il va ainsi devenir le texte de référence dans le monde chrétien. A ce point qu’il sera le texte grec des Pères.
Comment réagiront les rabbins à cette domination de la LXX ? Par une contre traduction, Aquila. Aquila se veut une traduction davantage philologique, et sera reconnue comme une traduction de qualité par Jérôme et Origène, les deux Pères de l’Église connaissant le grec et l’hébreu et pouvant juger de la qualité du travail. Aquila donne donc une traduction fidèle du texte, tandis que la LXX donne une interprétation du texte, reflétant les traditions juives du troisième siècle avant le Christ. Que révèlent ces traditions ? Que l’attente messianique grandit en Israël. La LXX en est l’ineffable témoin.