Franc-maçonnerie : ésotérisme chrétien : avant propos (suite 11) : mystique et souffrance
ésotérisme chrétien : préambule
Depuis des siècles, la seule voie accessible aux chrétiens est la voie mystique. Cette voie n’est pas empirique, car l’itinéraire en est tracé dans l’Évangile. Cependant le croyant chrétien ne dispose d’aucune autre assistance que celle des textes de l’Évangile, de sa foi, de son amour, de sa bonne volonté. Faute de maîtres authentiques, le chrétien doit agir en do it yourself. Cela ne va pas sans risques. Bien des mystiques chrétiens sont la proie de grandes souffrances tant physiques que morales. Lorsqu’un mystique chrétien parvient au mariage mystique (l’état de fusion au Christ) ce n’est que pendant un bref instant, au-delà duquel les souffrances reprennent de plus belle, quelquefois pendant plusieurs années, avant que ne survienne à nouveau un court instant de béatitude.
Certes, le mystique chrétien est heureux de participer ainsi aux souffrances du Christ. Il considère ces souffrances comme un cadeau de Dieu qui lui permet ainsi de coopérer à l’œuvre salvatrice de son Fils bien-aimé.
Je ne crois pas que ce soit aussi simple. Sans contester aucunement la sainteté ni le très haut niveau spirituel de nos mystiques, je crois qu’à ce niveau de spiritualité la prière atteint le maximum d’efficacité où chacun obtient ce qu’il souhaite, c’est une loi inéluctable. S’ils souhaitent souffrir, ils souffrent. Cela ne prouve pas que la souffrance soit salvatrice. D’autant plus que l’autosuggestion psychosomatique est incontestable. En effet, certains portent les stigmates de Jésus crucifié dans le creux des mains, d’autres aux poignets, selon qu’ils pensent que les clous du Christ ont été planté ici ou là. Si c’est le Christ qui communiquait ses stigmates, il placerait les plaies où il les a subies.
D’autres mystiques ressentent concrètement, dans leur corps, les conséquences douloureuses de l’imagerie pieuse qui alimente leur foi. Certains sentent leur cœur être transpercé comme celui de Marie. « prenez mon cœur tout prêt du votre », «rendez mon cœur semblable au vôtre »… sont des phrases de cantiques bien connues des catholiques d’avant Vatican II. Un tel concept de spiritualité pourrait bien être à l’origine des souffrances d’Anne-Marie Emmerich et de celles de sainte Marguerite-Marie Alacoque. Ces deux moniales eurent à souffrir physiquement de l’arrachement de leur cœur et de son remplacement par celui du Christ. Raymond de Capoue affirme que sainte Catherine de Sienne ayant demandé et obtenu la même grâce en aurait gardé la cicatrice.
Sainte Catherine de Gênes, comme sœur Marie de Sainte-Thérèse, une mystique flamande, pour avoir voulu « brûler d’amour » pour le Christ, ressentait des brûlures atroces au point de devoir se cacher pour crier, et d’en garder les cicatrices. Mère Catherine Aurélie, une québecoise, et sainte Gemma Galvani, décédée en 1903, ressentaient une telle brûlure à la poitrine, qu’une tierce personne était incapable d’y laisser longtemps la main posée. Sainte Gemma Galvani gardait parfois la trace d’une plaie comme si une plaque de fer rougi avait été appliquée à l’endroit de la brûlure. A la bienheureuse Crescence Höss, il fallait appliquer des compresses d’eau fraîche. Saint Philippe de Néri avait le cœur comme en proie à un incendie. (Tous ces témoignages dans : Père François Brune, pour que l’homme devienne Dieu, Horizons spirituels).
Il m’est avis que les théologiens portent une lourde responsabilité dans les souffrances de nos mystiques, et qu’un guide expérimenté leur aurait permis d’atteindre le terme de la voie d’une manière plus durable, tout en leur évitant ces méfaits.
Un autre risque réel d’égarement est de se laisser emporter par un désir malsain, inconsciemment érotique. Je pense notamment à la joie éprouvée par certains saint ou saintes en embrassant les plaies des malades lépreux sous prétexte, que selon l’Évangile, ils sont le Christ.
Jésus n’a jamais demandé cela à ses disciples. Ce n’est pas la voie que le maître a enseignée. Fautes de guides avertis et ayant réellement connaissance de la bonne voie, nos mystiques ne peuvent éviter de s’engager dans des routes dangereuses.
L’Ange en enseignant à Gitta qu’elle doit dispenser la force qu’elle reçoit affirme : « il n’est pas besoin de pénitents ni d’ascètes, ils n’ont pas de prix à Ses yeux ». (Dialogue avec l’Ange, entretien 19).
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Commentaire/Analyse
L’auteur témoigne d’une autre voie possible. C’est une supercherie. Une tromperie grossière. Le Christ est le seul chemin vers le Père. Ce chemin consiste à acquérir les charismes de l’Esprit-Saint. Cette acquisition, elle est multiple, et correspond aux talents, aux potentialités de la vie, et aux circonstances qui vont être vécues. Chaque moment de la vie doit être vu comme une opportunité d’acquérir « davantage » l’Esprit-Saint. L’auteur joue traîtreusement de cette ambiguïté. L’attaque ici contre le Christianisme est violente. Si on résume le propos de ce théologien gnostico-bouddhiste, la voie mystique qui a été proposée aux chrétiens depuis deux millénaires est une voie qui s’expérimente par une grande difficulté, au prix de grands sacrifices. Corollaire (qui est réservé au prochain chapitre) : il existe une autre voie, beaucoup plus agréable que l’auteur va gentillement nous présenter ensuite : la voie initiatique. Mais revenons à la voie mystique. Est-il vrai de dire que cette voie est la seule dans l’acquisition de l’Esprit Saint ? Est-il vrai de dire qu’elle s’accompagne toujours de souffrances, parfois dans le registre de l’insupportable ?
Je vais être obligé ici de rentrer dans des notions fondamentales pour débroussailler ce qui sert de pensée à notre auguste docteur en bouddhisme chrétien. Tout le but de la vie chrétienne est résumé dans cette formulation colossale de Saint Pierre : « la participation à la nature divine ». Si on doit résumer toute la pensée patristique, c’est-à-dire tout l’enseignement des Pères sur le Christ, il s’agit de « Dieu s’est fait homme pour que l’homme se fasse Dieu ». Ceci est raccourci foudroyant pour expliquer le pourquoi de l’Incarnation, la destination de l’homme dans le plan de la création. Le but de l’homme n’est pas le confort ici-bas : c’est la vie divine dans le monde futur. Ce qu’offre le Christ est la divinisation, ou theosis : devenir Dieu par grâce. Pour cela, il y a deux formes d’union au Christ, qui ne sont possibles que dans Son Église, Son Corps mystique : le mariage ou le monachisme. Même si les Pères étaient dans une majorité écrasante tous moines, ils ont exalté le mariage comme étant une voie tout aussi mystérieuse et profonde que le monachisme.
Une des composantes essentielles qu’on trouve aussi bien dans le mariage que dans le monachisme est le renoncement à sa volonté propre et la prise en compte de la volonté d’un autre qui va devenir une école de renoncement à l’égo : l’époux (ou l’épouse selon) ou le moine (ou la moniale) responsable du monastère (appelé higoumène). Ce renoncement à l’égo est une grande souffrance psychologique et spirituelle car l’égo ne se laisse pas faire comme ça. Il est tenace, et pendant des années. Ce chemin ne peut donc pas s’envisager sans souffrances. Mais l’auteur parle ici de souffrances physiques.
De par se culture francophone, l’auteur confond christianisme et catholicisme romain. Ce n’est pas la seule confusion de son panthéon mental, mais c’est une des principales. Et il est vrai que le catholicisme a développé des formes très doloristes parfois. Et ceci de façon parfaitement inutile. Il parle des stigmates du Christ. Nous savons par le Saint Suaire que le Christ a été crucifié au niveau des poignets. Que dire alors des stigmates dans les paumes ? Difficile à dire. Il me semble qu’on peut parler de condescendance divine qui s’habille dans les connaissances vacillantes dont dispose sa créature faisant ce chemin de souffrances avec Lui.
Mais s’il la pose de façon stupide et maladroite, l’auteur pose une bonne question : doit-on souffrir (en plus de la souffrance de la mort de l’égo) pour se rapprocher du Christ ? Contrairement aux autres courants spirituels, il y a une dimension ultra violente dans le récit fondateur chrétien : la Passion du Christ. Le Christ lui-même témoigne qu’il y a une libération qui ne s’acquiert que par la souffrance. Le livre de Job pose dans le canon biblique la question abyssale du pourquoi de la souffrance. Le Christ lui-même dans les béatitudes demande la joie dans les souffrances liées aux persécutions. Il est dommage que l’auteur, spécialiste mondialement connu à Chartres de Matthieu, oublie ce passage pourtant ô combien éclairant. Dans les quatre évangiles, il y a un discours eschatologique lié à la souffrance que tout disciple peut avoir à traverser s’il est amené à connaître les temps de la fin. C’est-à-dire que si la souffrance n’est pas à demander, elle doit être intégrée dans la théologie de chaque chrétien. Ceci n’est pas une mystique chrétienne. C’est juste le christianisme. Tout du christianisme. L’auteur en bon gnostique new age a décidé de prendre toute la théologie chrétienne, de mettre ça dans une petite pilule et d’en tirer bonheur et confort. Mais est-ce que la vérité apporte bonheur et confort ? dans un monde déchu qui ne veut pas de Dieu ? C’est un des marqueurs de votre rectitude. L’Église authentique est persécutée. Elle l’est parfois à l’intérieur lorsque la hiérarchie ecclésiastique est usurpatrice ou corrompue. Elle l’est par le monde. Car le monde n’a pas voulu de cette lumière.
“En Lui (le Verbe) était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue” (Jn 1:4-5)
Mais la souffrance n’est pas une fin, c’est un moyen. Le Vendredi ne s’explique que par Dimanche. C’est pour cela que dans l’Orthodoxie et sa sublime tradition iconographique, il n’y a pas beaucoup de Christ en croix. Il y est plutôt enseignant, thérapeute ou pantocrator. Et lorsqu’il est en Croix, il ne l’est jamais de façon occidentale dans les courants baroques ou issus de la renaissance : un réalisme physique lié à Sa souffrance. Cette souffrance intense, l’Orthodoxie la garde pour sa liturgie, dans la Semaine Sainte et les offices du jeudi et du vendredi qui sont de biens meilleures évocations et explications de cette souffrance.
“ Alors Jésus leur dit: O hommes sans intelligence, et dont le coeur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes !
Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses, et qu’il entrât dans sa gloire?
Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait.” (Luc 24:25-27)