ésotérisme chrétien : préambule

L’exotérisme

Ce mot vient de la proposition grecque εξ (prononciation : ex) qui en français signifie en dehors, au-delà.
Dans l’enseignement exotérique, Dieu est considéré comme extérieur à l’homme, au-delà du monde spatio-temporel.
C’est l’enseignement de base de toutes les religions. Cet enseignement est destiné au plus grand nombre.
Il s’agit d’un enseignement préliminaire indispensable. Tout chemin initiatique commence nécessairement par une perception exotérique du monde divin.
A ceux qui commencent à suivre sa voie, Jésus apprend à prier : « Notre Père qui êtes aux cieux ».


L’ésotérisme

Ce mot a été inventé au XVIIIème siècle et désignent alors les adeptes de l’alchimie, de l’hermétisme et autres sciences occultes.
Dès l’origine, le mot ésotérisme désigne l’enseignement réservé, à l’intérieur d’un groupe, d’une école, à des disciples choisis.
Beaucoup d’ecclésiastiques considèrent, non sans quelque raison, que l’ésotérisme est né par orgueil, par désir de se réserver un pouvoir, par volonté de tenir cachés des secrets dans la masse ferait un mauvais usage (cahier n4 de l’abbaye de Boscodon).
Il faut cependant distinguer, en tenant compte de l’étymologie, la signification précise de ce mot du contexte qui l’a vu naître.
En grec ες (prononciation es), est une proposition qui signifie dans, à l’intérieur.
Εσω, εισω (prononciation eso), à la fois adverbe et préposition signifie « à l’intérieur », « au-dedans ».
Εις c’est aussi le nombre un.
Dieu est UN (même en trois personnes). Jésus et le Père sont UN.
Lorsque Paul écrit « ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi) (Ga 2,20) il tient un langage ésotérique. Le Christ, UN avec le Père, vit (à l’intérieur) de LUI. Le Christ (UN avec le Père) et Paul sont UN.
Au cours de la messe, quand le prêtre dit : « par Lui, avec Lui et en Lui » (per ipsum, et cum ipso, et in ipso), il tient un langage ésotérique.
Le musulman qui proclame : « Allahu Akbar », »Dieu est le plus grand » tient un langage exotérique.
La mystique musulman qui proclame : « La Ila Illa Allah », « Il n’y a de Dieu que Dieu », dans la mesure où il sous entend « il n’est rien d’autre que Dieu », tient un langage ésotérique.
Nul ne peut contester que Jésus, et par voir de conséquence, Paul, ont réservé à leurs disciples les plus avancés sur la Voie, l’enseignement de la spiritualité ésotérique.
L’enseignement de l’ésotérisme n’est ni compréhensible, ni destiné au plus grand nombre. L’ésotérisme est réservé uniquement à ceux qui, comme les mystiques, sont déjà familiers de la spiritualité.
L’initiation, et l’enseignement ésotérique qui en découle, ne peuvent se faire que par degré, en pratiquant la spiritualité sous la conduite d’un maître suffisamment expérimenté.
Ne sont amenés à franchir une nouvelle étape que les adeptes ayant atteint l’expérience suffisante, reconnue par des maîtres capables d’en juger pour avoir eux-mêmes atteint ou dépassé ce niveau.
Pour risquer une analogie avec l’étude et la pratique d’un instrument de musique, il ne suffit pas de comprendre comment fonctionne un violon pour être capable d’en jouer harmonieusement. Il ne nous viendrait pas à l’idée, non plus, qu’un professeur de violon ne sache pas jouer de l’instrument qu’il enseigne. Lorsqu’un élève parvient à atteindre le niveau de son maître, celui-ci le dirigera, afin de lui permettre de progresser vers un maître de niveau supérieur au sien, et ainsi de suite. Il arrivera un moment où, s’il est particulièrement talentueux, l’élève ne pourra plus progresser que sous la conduite d’un authentique virtuose. Cela ne sera qu’à la suite de cette dernière étape, après de nombreuses années de pratique, que cet élève sera capable, s’il a suffisamment de talent (voir la parabole des talents), de devenir virtuose lui-même. A partir de ce moment, il progressera seul, car se sera sa propre sensibilité, et non celle d’un maître, qu’il exprimera en communion parfaite avec son instrument.
Seul un maître peut faire éclore ou évoluer le talent d’un élève. Un professeur ne pourra jamais que l’instruire.
Pour devenir virtuose, à l’instar de la progression initiatique, il faut passer progressivement par toutes les étapes : élève, artiste, artiste particulièrement doué, et enfin virtuose.
Si les éminents personnages que sont les musicologues, les imprésarios, ou les directeurs de salle de concerts, s’expriment sur la façon de jouer d’un instrument qu’ils ne pratiquent pas, ils parlent de ce qu’ils imaginent, de ce qu’ils croient.
Lorsque le plus humble des violonistes tient un discours sur le violon, il parle de ce qu’il connaît, de ce qu’il sait. Il ne se prend pas pour un virtuose, il sait ce qui l’en sépare. Pourtant, le virtuose et lui se comprennent mieux que le musicologue le plus érudit ne pourra jamais les comprendre s’il ne pratique pas.
Saint Paul est probablement le dernier témoin de ce christianisme primitif.
Depuis l’origine du christianisme que nous connaissons, les catéchistes, les théologiens et les exégètes, ainsi que le clergé en général (il y a des exceptions), ne sont pas des maîtres, mais des professeurs.
Conscients de n’avoir pas encore atteint le terme de la voie, Paul écrivait : « Non, frères, je ne crois pas avoir atteint le terme, je ne sais qu’une chose : oubliant ce qui est en arrière, tendu tout enter vers ce qui est en avant, je cours droit au but pour obtenir le prix, qui est l’appel céleste de Dieu, dans le Christ Jésus » (Phi 3 :13-14).
L’enseignement réservé aux néophytes ne peut pas être le même que celui destiné aux disciples les plus avancés sur la voie. Il serait mal compris et serait une source de dégâts plutôt que de progrès.
Paul applique ce principe lorsqu’il écrit aux disciples corinthiens : « Je n’ai pas pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels, comme à des petits enfants dans le Christ. Je vous ai donné du lait à boire, non de la nourriture solide, car vous n’en étiez pas encore capables ; mais même maintenant, vous n’êtes pas encore capables car vous êtes encore charnels. » (I Co 3:1-2).
La voie enseignée par Jésus n’est pas un savoir qui s’apprend, mais une co-naissance par expérimentation. Celle-ci nécessite une longue pratique, un vrai désir, du courage, et de l’intelligence.


Commentaire/Analyse





Nous voici arrivés à un moment important. Nous allons pouvoir examiner cette fameuse différence entre ésotérisme et exotérisme. C’est là tout le ressort des sociétés initiatiques comme la franc-maçonnerie. « venez recevoir le cœur véritable de la religion, réservée à un petit nombre, une élite » susurre-t-elle à l’oreille des croyants. Elle parle indubitablement à l’orgueil. A la sottise aussi. Car il faut pour la personne valider le fait qu’il existe bien un enseignement intérieur, secret, élitiste, ésotérique. Il est très difficile de dire que quelque chose de cette nature n’existe pas. Le ressort des partisans de cette théorie ont beau jeu d’affirmer que ceux qui s’y opposent le font par sectarisme, par peur, par ignorance. Je demande à ce que l’on reçoive ceci plutôt comme l’examen froid de la vérité. La confusion vient du distinguo entre « ésotérisme » et « enseignement avancé à l’intérieur du domaine religieux ». Et ce n’est qu’en avançant toujours plus avant dans l’enseignement classique de la religion que l’on s’aperçoit qu’il n’y a pas d’enseignement ésotérique. Tout est là. Tout est clair. Rien n’est caché. Mais cela demande beaucoup de travail. Il faut apprendre des langues étrangères : latin, grec, hébreu, syriaque pour le corpus des textes anciens. Ensuite il faut être solide en histoire pour savoir tout recontextualiser. Il faut également connaître l’allemand et l’anglais, langue dans laquelle se trouvent l’essentiel des études académiques et universitaires. Enfin, pour ce qui n’est pas traduit et qui concerne l’orthodoxie actuelle, le russe et le roumain sont difficilement contournables. Tout ceci au service d’une étude rigoureuse, combinée à une véritable vie liturgique vous dévoile cette simple et froide vérité : il n’y a pas d’enseignement ésotérique. Il y a juste des choses plus complexes que d’autres. Lire le livre d’Ezekiel est complexe. Les épîtres pauliniennes sont complexes. La théologie johannique est complexe. Les écrits patristiques sont très complexes. La lecture de Saint Maxime le Confesseur ou de Saint Grégoire Palamas n’a parfois rien à envier aux pages les plus arides d’un Emmanuel Kant. Et quand vous êtes arrivés assez loin sur cette route là, et que vous vous êtes frottés à des textes mystiques comme l’échelle sainte de Saint Jean Climaque, ou les description des hiérarchies angéliques de Saint Denis l’aréopagite, vous vous demandez ce qu’il peut bien y avoir de plus élevé, secret, caché et ésotérique. Mais pour ceci vous allez être obligé de croire sur parole les partisans du « il n’y a pas de christianisme ésotérique, c’est une arnaque, un bobard ». Mais c’est le même acte de foi un peu gratuit que pour celui qui vous dit « vient recevoir l’enseignement secret, caché dans la Bible, que le curé de ton village ne connaît pas ». Alors comment choisir ?

On peut se rapporter à ce à quoi travaillent les maçons. Le problème est que cela est secret. Ce qui ne permet pas de juger. Cela permet surtout de cacher l’indigence intellectuelle de ce qui est dispensé chez ces adroits vendeurs de contes de fées… Cela devrait vous mettre la puce à l’oreille… Mais continuons à produire des éléments. Ils n’ont pas valeur de preuve en eux-même, mais ils peuvent emporter votre doute du bon côté. L’auteur déclare ici que lorsque Jésus apprend à prier aux gens il leur enseigne l’extériorité de Dieu, ce qui correspond bien au début du processus. Et il leur dit « Notre Père qui êtes aux Cieux ». Ce qui sous-entend que ceci est le lait des enfants, mais que la nourriture solide attend le franc-maçon en loge. Le problème est que si l’expression « Notre Père qui êtes aux Cieux » est populaire, elle n’en est pas moins fausse. Et du haut de son immense savoir ésotérique, celui qui contemple de haut les docteurs de l’Église les plus éminents, ne traduit pas correctement la première phrase du « Notre Père ». Et ceci est finalement très révélateur. L’exotérique étant l’amuse gueule, il est rapidement délaissé pour la suite, et n’est pas étudié plus avant. On reprend l’expression usuelle, sans se poser plus de question. Or, pour les tenants de la version « officielle », qui rejettent l’ésotérisme comme étant une supercherie, cette prière de Jésus est centrale. Elle est la courte prière qui est vue par Lui comme étant une prière de perfection. C’est Dieu qui apprend à l’homme à prier. Elle va donc être étudiée, disséquée comme il se doit. Et si l’on est un minimum attentif au grec, Dieu n’est pas vouvoyé mais tutoyé. Pour être précis, le verbe “être” est sous entendu dans la première phrase (il n’y a ni “es” ni “êtes”), mais on parle ensuite de “ton” royaume, de “ta” volonté et de “ton” règne. Il est donc évident que le Christ invite à tutoyer. Toutes les prières orthodoxes tutoient Dieu. Et ceci peut sembler un détail, mais c’est en fait très riche du point de vue spirituel, et théologique. Cela change la nature de la relation à Dieu. Nous n’avons pas la position du ministre face au Roi, mais celle du petit enfant face au Père. L’auteur passe à côté de cette subtilité, parce qu’il néglige ce qui lui est donné. La grande différence entre l’ésotérisme et l’exotérisme peut être vue sur ce simple détail. Dans la démarche ésotérique, vous négligez la Bible la tradition de l’Église pour vous focaliser sur un enseignement alternatif vu comme plus important, plus essentiel. Dans la démarche exotérique vous restez sur la Bible, les Pères et toute la tradition et vous comprenez en étudiant la gnose, que la maçonnerie n’est rien d’autre qu’une gnose moderne. Cette étude de la gnose survient inévitablement lorsque l’on étudie les hérésies de l’histoire de l’Église. Ainsi, ce que le maçon ne sait pas et ne peut pas savoir, est qu’il perpétue de vieilles hérésies, condamnées depuis des lustres. Il est comme celui qui croit détenir un nouveau savoir médical, mais qui transmet des infections en ne se lavant pas les mains.



Je voudrais terminer en commentant la métaphore de l’instrument de musique. Elle est insultante pour tous les croyants et fidèles, et met bien en lumière l’orgueil et la bêtise maçonnique. Le discours en filigrane est : le musicologue parle de musique tandis que le violoniste joue. Le musicologue est l’image de celui qui reste à l’exotérisme. Le maçon, lui, joue véritablement. Il est dans la vraie spiritualité. Ce qui est bien avec l’instrument de musique, c’est qu’il énonce immédiatement la vérité du fait de savoir si l’on sait en jouer, ou pas. Mais pour la spiritualité, c’est différent. On peut mentir, faire semblant. Ainsi, rien n’est démontré. Il ne suffit pourtant pas de montrer qu’il y a celui qui fait et celui qui parle sur celui qui fait pour prouver que l’on est dans l’action. Ce n’est pas parce qu’il y a des critiques de films et des metteurs en scène que la maçonnerie est vraie. Une petite élite auto-proclamée, qui travaille dans le secret et qui n’a jamais rien produit de notable dans le domaine des idées, peut-elle raisonnablement inspirer confiance ?