MISHNA

Traité Berakhot : première mishna : quand réciter le Shema Israël

original hébreu

מאימתיי קורין את שמע בערבין: משעה שהכוהנים נכנסין לאכול בתרומתן, עד סוף האשמורת הראשונה, דברי רבי אליעזר. וחכמים אומרין, עד חצות. רבן גמליאל אומר, עד שיעלה עמוד השחר.
מעשה שבאו בניו מבית המשתה, ואמרו לו, לא קרינו את שמע. אמר להם, אם לא עלה עמוד השחר, מותרין אתם לקרות

traduction très littérale

de quand lit-on Shema dans prière du soir : de heure que les prêtres entrent manger dans téroumah à eux jusqu'à fin de la veille la première. Paroles de Rabbi Eliezer. Et les Sages disent : jusqu'au milieu de la nuit. Et Rabban Gamaliel dit jusqu'à ce que se lèvera la page la aube. Il fit que vinrent ses fils de maison le banquet, et dirent à lui : ne disions pas Shema. Il dit à eux : si ne se lève pas page la aube, vous pouvez réciter

traduction fluide

à partir de quand peut-on réciter le Shema lors de la prière du soir ? à partir du moment où les prêtres rentrent pour manger leur Teroumah jusqu'à la fin de la première veille. Paroles de Rabbi Eliezer. Les sages disent : jusqu'au milieu de la nuit. Et Rabban Gamaliel dit : jusqu'à ce que l'aube soit levée. Ses fils revinrent d'un banquet. Ils lui dirent : nous n'avons pas récité le Shema. Il leur dit : si l'aube n'est pas levée, vous pouvez réciter.


Commentaire/Analyse

La Torah écrite commande de réciter le Shema Israël deux fois par jour dans ce verset Dt (6 :7) « tu les inculqueras à tes enfants, et tu en parleras quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras ». La première mishna du traité se pose la question pour le soir : à partir de quand, le soir, peut-on réciter le Shema ? Voici donc une mishna à la dynamique halakhique très classique : Dieu me commande de dire la prière « Shema Israël » soir et matin. Le soir, pour bien observer le commandement, et accomplir la volonté de mon créateur, quand dois-je réciter cette prière ? Voici la question que se posent les rabbins de la mishna. On notera que la mishna s’intéresse d’abord au commandement de réciter la nuit. Pourquoi ? Parce que dans la création du monde la nuit précède le jour, le soir précède le matin. Ainsi, un jour au sens biblique (un yom) c’est la succession du soir (erev) et du matin (boquer).

Le Shema Israël en soi est caractérisé par trois sections qu’on retrouve si l’on étudie la liturgie synagogale. La première est Dt (6 :4-9).
«Ecoute Israël ! l’Eternel notre Dieu, est le seul Dieu
Tu aimeras l’Eternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force.
Et ces commandements que je te donne aujourd’hui seront dans ton cœur.
Tu les inculqueras à tes enfants, et tu en parleras quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras.
Tu les lieras comme un signe sur tes mains, et ils seront comme des fronteaux entre tes yeux.
Tu les écriras sur les moteaux de ta maison et sur tes portes. »

La seconde est Dt (11 :13-21)
« Si vous obéissez à mes commandements que je vous prescris aujourd’hui, si vous aimez l’Eternel, votre Dieu, et si vous le servez de tout votre cœur et de toute votre âme,
Je donnerai à votre pays la pluie en son temps, la pluie de la première et de l’arrière-saison, et tu recueilleras ton blé, ton moût et ton huile ;
Je mettrais aussi dans tes champs de l’herbe pour ton bétail, et tu mangeras et tu te rassasieras.
Gardez-vous de laisser séduire votre cœur, de vous détourner, de servir d’autres dieux et de vous prosterner devant eux.
La colère de l’Eternel s’enflammerait alors contre vous ; il fermerait les cieux, et il n’y aurait point de pluie. La terre ne donnerait plus ses produits, et vous péririez promptement dans le bon pays que l’Eternel vous donne.
Mettez dans votre cœur et dans votre âme ces paroles que je vous dis. Vous les lierez comme un signe sur vos mains, et elles seront comme des frontons entre vos yeux.
Vous les enseignerez à vos enfants, et vous leur en parlerez quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras.
Tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes.
Et alors vos jours et les jours de vos enfants, dans le pays que l’Eternel a juré à vos pères de leur donner, seront aussi nombreux que les jours des cieux le seront au-dessus de la terre.»

La dernière est Nb 15 :37-41
« L’Eternel dit à Moïse
Parle aux enfants d’Israël, et dis-leur qu’ils se fassent, de génération en génération, une frange au bord de leurs vêtements, et qu’ils mettent un cordon bleu sur cette frange du bord de leurs vêtements.
Quand vous aurez cette frange, vous la regarderez, et vous vous souviendre de tous les commandements de l’Eternel pour les mettre en pratique, et vous ne suivrez pas les désirs de vos cœurs et de vos yeux pour vous laisser entraîner à l’infidélité.
Vous vous souviendrez ainsi de mes commandements, vous les mettrez en pratique, et vous serez saints pour votre Dieu.
Je suis l’Eternel, votre Dieu, qui vous ai fait sortir du pays d’Egypte pour être votre Dieu. Je suis l’Eternel, votre Dieu »

Cette mishna s’occupe des deux premières sections du Shema. Pourquoi ? Parce que seules les deux premières sections font mention du lever et du coucher de la personne qui récite. Le Shema du livre des Nombres est différent et sa jurisprudence diffère tout à fait logiquement. La traduction littérale rend par le verbe lire alors que la compréhension habituelle est celle d’une récitation. Ce verbe de l’hébreu mishnique veut indistinctement dire lire ou réciter, ce qui signifie qu’il n’y a ici aucune obligation de le lire depuis un rouleau de Torah réalisé par un scribe. On peut le « lire » de mémoire, en le récitant.

Que sont les Cohen ? Au-delà d’être un nom assez répandu (pas toujours Juif en raison des mariages en dehors du peuple Juif), du point de vue biblique, c’est le nom et l’ascendance du prêtre. Le récit de la Genèse montre comment Jacob a engendré tout le peuple élu via ses douze fils, chacun donnant naissance à une tribu. Dans ces douze tribus, on trouve celle de Lévi, dont le représentant le plus éminent dans l’histoire sera Moïse. A l’intérieur même de cette tribu vous avez un sous-ensemble issu de la lignée du frère ainé de Moïse, à savoir Aaron. Cette prêtrise est donc héréditaire et concerne les cohen (cohanim en hébreu). Les lévites (membres de la tribu de Lévi) ne sont donc pas tous prêtres, mais tous les cohanim sont par définition lévites. Les lévites sont la tribu sacerdotale, dédiée au service liturgique et religieux. Ceci montre que les prêtres ne sont pas les seuls titulaires du service liturgique. Dans l’Eglise, il y a tout un ordre sacerdotal qui est organisé autour du clergé mineur et majeur, et le prêtre est dans le clergé majeur, de la même façon, que le cohen est parmi les lévites. Les cohanim ont un ensemble de prérogatives religieuses et d’obligations qui vont avec en terme de halakha. De la même façon, tout naturellement, si un « simple » fidèle a la possibilité de divorcer (tout en gardant à l’esprit que c’est un acte exceptionnel et une pénitence), le prêtre ne le peut pas. L’Eglise a conservé cette balance subtile entre les « privilèges » liturgiques et les impossibilités canoniques qui les accompagnent tout naturellement. Parmi toutes les choses réservées aux cohanim, il y a le fait de pouvoir manger la terumah. Ceci entraîne tout naturellement la question suivante.

Qu’est-ce que la terumah ? Elle est intimement liée au fait que lors du partage de la terre sainte entre les tribus, la tribu de Lévi n’a reçu aucun territoire. Mais en échange, les onze autres tribus doivent donner une partie de leur récolte aux lévites. La torah écrite mentionne cette problématique dans le Lv 22 :1-7. Un cohen a le droit de manger ce prélèvement (la teruma donc) s’il est en état appelé tahor. Je préfère ne pas dire pur, car ce mot est mal compris et trop chargé de connotations tout à fait étrangères à l’état d’impureté. Un cohen en état tamé (disons impur pour simplifier même si c’est bien plus complexe que cela) doit réaliser un mikve (une immersion rituelle) et attendre la tombée de la nuit. Certains types de tumah (le substantif pour tamé, disons l’impureté ou ce qui vous rend tamé) nécessitent un sacrifice particulier pour redevenir tahor et pouvoir consommer la terouma. Ce processus de « purification » s’appelle tahara.

Dans la Torah orale, il y a toute une codification du don qui dépasse l’étude de notre mishna. Pour faire court, il y a en tout cinq prélèvements :
1) La teroumah : destiné uniquement au cohen et à sa famille. La Torah ne fixant pas la quantité, les rabbins ont décrétés 1/50ème de la récolte. Cette teroumah ne peut être consommé que par des personnes tahor (voir plus haut). Appelée parfois teroumah gdola pour la différencier de l’autre teroumah (voir point 3)
2) Le maasser richon (premier maasser) : il s’agit d’une dîme (soit un dixième) qui intervient après la teroumah. C’est donc 1/10 de 49/50ème (donc 49/500). Peut être consommé par un cohen ou un lévite ou même un israélite.
3) Teroumate-maasser (teroumah de la dîme) : prélevée sur le maasser richon. Représente la dîme du maaser, soit 1/10 de 49/500 soit 49/5000. Même obligation de consommation que la teroumah gdola.
4) Maasser cheni (second maasser) : il s’agit d’une dîme sur la récolte moins les trois premiers prélèvements.
5) Maasser ani : comme maasser cheni mais certaines années et pour les pauvres.
La mishna fait donc objectivement référence au moment où le prêtre peut consommer la teroumah gdolah. Ce moment est une discussion très technique où le consensus rabbinique s’est accordé sur l’émergence de trois étoiles de taille moyenne, de la même façon que pour délimiter le moment où nous entrons en Shabbat. Ce qui est donc étonnant est le rapport à priori inutile entre le moment du Shema et la Terumah. Pourquoi parler des kohanim habilités à manger la teroumah ? Pourquoi ne pas directement stipuler la décision rabbinique concernant les trois étoiles ? La problématique kohanim – teroumah a l’air d’être importée ici de façon un peu artificielle. Il s’agit ici, dans la compréhension technique halakhique des choses du fait que cette mishna adresse deux sujets en même temps. Il y a la problématique du Shema, avec la présence indispensable des trois étoiles de taille moyenne dans le ciel. Et en même temps elle nous indique de façon oblique que les cohanim dont la tumah requiert des sacrifices particuliers (voir Lv 14 :10-32 et 15 :14-15) peuvent néanmoins manger la terumah à la tombée de la nuit après leur mikve, bien qu’il leur soit en même temps interdit de manger certaines nourritures sacrificielles jusqu’à ce que les sacrifices appropriés aient été réalisés.

La fin de cette première moitié de première mishna est parfaite pour vous montrer la dynamique rabbinique. Rabbi Eliézer, un rabbin éminent de la tradition rabbinique, propose de résoudre l’ambiguïté du texte biblique par le début de la nuit, c’est-à-dire de façon nominale, le moment où la personne se couche. Les autres rabbins prendront une autre position. C’est ainsi que se forment les écoles. Lorsque la halakha est tranchée, on conserve néanmoins les avis éminents qui étaient sur une autre application. La nuit est traditionnellement séparée en trois veilles distinctes par les rabbins. Le texte du Deutéronome pouvant s’interpréter de plusieurs façons, Rabbi Eliezer prend une position qui est différente des autres rabbins et qui ne sera pas retenue. Nous verrons que c’est une forme de constante rabbinique qui pourra nous faire penser à un certain rabbi de Galilée.