Mishna traité Berakhot : mishna 1 (part 2/2) : première rencontre avec les pharisiens
MISHNA
Traité Berakhot : première mishna : quand réciter le Shema Israël
מאימתיי קורין את שמע בערבין: משעה שהכוהנים נכנסין לאכול בתרומתן, עד סוף האשמורת הראשונה, דברי רבי אליעזר. וחכמים אומרין, עד חצות. רבן גמליאל אומר, עד שיעלה עמוד השחר.
מעשה שבאו בניו מבית המשתה, ואמרו לו, לא קרינו את שמע. אמר להם, אם לא עלה עמוד השחר, מותרין אתם לקרות
traduction très littérale
de quand lit-on Shema dans prière du soir : de heure que les prêtres entrent manger dans téroumah à eux jusqu'à fin de la veille la première. Paroles de Rabbi Eliezer. Et les Sages disent : jusqu'au milieu de la nuit. Et Rabban Gamaliel dit jusqu'à ce que se lèvera la page la aube. Il fit que vinrent ses fils de maison le banquet, et dirent à lui : ne disions pas Shema. Il dit à eux : si ne se lève pas page la aube, vous pouvez réciter
traduction fluide
à partir de quand peut-on réciter le Shema lors de la prière du soir ? à partir du moment où les prêtres rentrent pour manger leur Teroumah jusqu'à la fin de la première veille. Paroles de Rabbi Eliezer. Les sages disent : jusqu'au milieu de la nuit. Et Rabban Gamaliel dit : jusqu'à ce que l'aube soit levée. Ses fils revinrent d'un banquet. Ils lui dirent : nous n'avons pas récité le Shema. Il leur dit : si l'aube n'est pas levée, vous pouvez réciter.
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Commentaire/Analyse
L’expression בית המשתה indique un banquet, et d’après certains exégètes cela renvoie à un mariage, ou au minimum un endroit où l’on boit du vin. Le vin a probablement aidé à ce que les fils de Raban Gamaliel aient dépassé la limite fixée par les sages pour réciter le Shema du soir. La discussion est donc : pouvons-nous encore le faire ? Pour rappel, les rabbins se prononçaient ainsi : Eliezer pour la première veille comme limite, les sages jusqu’à minuit (dans le sens moitié de la nuit), et enfin Gamaliel toute la nuit (jusqu’à la levée de l’aube). On peut imaginer que les fils de Gamaliel sont dans une problématique vis-à-vis des sages mais aussi vis-à-vis de leur père. Leur cas est : nous avons franchi la limite fixée par les sages, mais pouvons-nous encore observer comme le proposait notre père ? En ce cas, le commandement fixé par les sages est une assurance d’observance exacte de la Torah, qui elle demande la nuit, lorsqu’on se couche. Finalement, la position de Gamaliel est une reformulation de la Torah, tandis que la position des sages était une forme de précaution : si l’on observe au maximum à la moitié de la nuit, l’on est sûr d’avoir observé ce que demande la Torah. Mais si on récite après la moitié de la nuit, on n’a pas transgressé la Torah. On a simplement transgressé le commandement des sages.
C’est le sens de la réponse de Gamaliel. La position des sages est ce qu’on appelle dans la littérature rabbinique une haie autour de la Torah. Une protection. Il s’agit de mettre en place un ensemble de pratiques pour assurer la pratique correcte demandée par Dieu. Par exemple, l’entrée en Shabbat est à la tombée de la nuit de samedi, donc vendredi soir pour nous autres modernes. Pour être sûrs de ne pas manquer l’entrée de Shabbat, les rabbins ont mis en place une pratique d’entrée en Shabbat vendredi après-midi. C’est ce principe-là qui est rappelé par Gamaliel : les commandements rabbiniques ne sont pas intangibles comme ceux de Dieu. Ils aident à mieux pratiquer, mais s’il arrive qu’on ne puisse pas, il n’y a pas de conséquence grave. Si le commandement demandé par Dieu est encore réalisable, alors tout est pour le mieux. Nous verrons le développement de Gamaliel dans les suites de cette première mishna, mais je souhaiterais attirer l’attention du lecteur sur les points communs avec la tradition chrétienne, ici essentiellement scripturaires.
La toute première mishna du premier traité porte sur le cas concret d’une bénédiction lors d’une consommation liée à du vin, possiblement lors d’un mariage. Elle expose une
dialectique entre les traditions humaines et les commandements divins. La toute première activité publique du Christ est son miracle lié au vin lors des Noces de Cana.
Immédiatement ensuite dans l’Evangile de Jean, il chasse les marchands du Temple. Ce qui expose aussi une dialectique entre les traditions humaines qui peuvent entrer en
contradiction avec les commandements divins.
Dans cette première mishna, le cas est quelque peu différent : le commandement rabbinique vient aider. Dans le NT on a souvent des commandements humains qui viennent en
contradiction. Mais Gamaliel rappelle ce que Jésus rappelle : le but final de tout ceci est d’observer ce qu’a demandé Dieu. On notera avec intérêt, que dans Jean, ce qui suit
immédiatement l’épisode des marchands du Temple, est l’entretien avec Nicodème, présenté comme un pharisien. Il s’agit donc d’un membre éminent de cette école qui crée des
commandements supplémentaires pour s’assurer d’une observance « orthodoxe ». Et on voit que Jésus veut l’amener sur un autre plan. Parfois le lecteur chrétien a l’impression que
Jésus est venu abolir toutes ces choses inutiles sur un plan spirituel. Il n’en est rien. Une phrase doit rester gravée en l’esprit de chacun sur ces problématiques :
Mt 5:17 “μη νομισητε οτι ηλθον καταλυσαι τον νομον η τους προφητας ουκ ηλθον καταλυσαι αλλα πληρωσαι”
(Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir).
Le Christ n’abolit rien, et ses apôtres non plus, Paul y compris. Jésus est plutôt dans la dynamique suivante : le plus important est de naître en esprit. Mais cela ne change rien au fait qu’il faille également réciter le Shema comme l’a ordonné Dieu à Moïse. Je précise que ceci concerne les Juifs. Toute la dialectique à saisir auprès de Paul est qu’il proscrit, à juste titre, la pratique pour les gentils. Mais la Loi n’est techniquement, halakhiquement, pas abolie pour les Juifs. Simplement, la naissance en esprit passe avant tout, et elle concerne Juifs et Gentils. Les Juifs ont néanmoins le devoir de réciter également le Shema. Dieu attend des Shema récités par des Juifs nés de nouveau, comme l’explique Jésus à Nicodème. On peut donc penser que sur le point halakhique de la mishna, Jésus aurait tranché comme Gamaliel : on fait ce que Dieu a demandé. Point final. Pas d’innovation. Jésus était très traditionnel. On le voit comme un rabbin très novateur. C’est en réalité un des moins novateurs qui soit. Il a mis les choses dans le bon ordre. C’est novateur lorsque tout est à l’envers. Mais il n’a fait que mettre les choses à l’endroit.
Si Jésus met les choses à l’endroit, est-ce que cette attitude pharisienne qui consiste à mettre des commandements en plus est mettre les choses à l’envers ? Potentiellement oui. Et donc, corollaire : potentiellement non. Première chose : ne pas se méprendre sur les pharisiens. Si l’on prend le récit évangélique pour une opposition binaire bien/mal où le mal serait incarné par plusieurs forces dont les pharisiens feraient partie, on a une lecture d’une profonde sottise, qui n’est pas à la hauteur du texte (qui nous contemple d’en haut quoi qu’il arrive). Le pharisien est une notion complexe dans le NT. Paul est fier d’être pharisien, et cette fierté demeure après son chemin de Damas. C’est également une notion complexe dans le judaïsme rabbinique qui définit, dans un passage talmudique, plusieurs types et dont seulement un seul est valable, les autres étant porteurs d’une hypocrisie sans borne qui ne sera pas sans nous rappeler quelques passages évangéliques. Nous dirons donc pour nous hisser au niveau de la subtilité évangélique : les pharisiens en règle générale organisent une pratique qui ajoute des commandements humains pour encadrer la pratique demandée par Dieu et veillent à ne pas prendre de risque. Les canons qui interdisent la promiscuité entre hommes et femmes dans le monde patristique entrent exactement dans ce cadre-là. Dieu n’a rien contre la promiscuité, mais par contre il n’aime pas du tout l’adultère et les relations non encadrées par un mariage. Or, nul besoin d’être un grand sociologue pour savoir qu’une proximité prolongée entre un homme et une femme peut déclencher certains mécanismes émotionnels et psychologiques qu’il sera ensuite très très durs de dompter. L’attitude pharisienne globale procède de la même idée. Le problème est lorsque la pratique pharisienne en vient à totalement occulter le véritable but derrière. Le pire étant la non connaissance du commandement divin au profit du seul commandement humain. On voit que la première mishna de Berakhot évite ce piège, car la position de Gamaliel et l’anecdote du banquet de mariage de ses fils vient rappeler très précisément cette dynamique : le but de tout c’est le commandement divin, et il doit être connu tout autant que la législation humaine qui l’encadre pour s’assurer de son observance stricte. Il ne faut jamais perdre de vue que les mauvais pharisiens des évangiles le sont pour tout le monde : les Juifs aussi bien que les Chrétiens.