MISHNA

Traité Berakhot : fin de la première mishna : quand réciter le Shema Israël le matin ?

original hébreu

ולא זו בלבד, אלא כל שאמרו חכמים עד חצות, מצותן עד שיעלה עמוד השחר. הקטר חלבים ואברים, מצותן עד שיעלה עמוד השחר; כל הנאכלים ליום אחד, מצותן עד שיעלה עמוד השחר אם כן, למה אמרו חכמים עד חצות--אלא כדי להרחיק את האדם מן העבירה

traduction fluide

A partir de quand récite-t-on le Shema le matin ? lorsqu’on sait reconnaître entre le tekhlet et le blanc ; Rabbi Eliezer dit entre le tekhlet et le poireau (vert) jusqu’au point du jour. Rabbi Yehoshua dit : jusqu’à la troisième heure, selon l’habitude des fils du roi de se lever à la troisième heure. Le lecteur de cette sorte ne cause pas de perte, comme homme qui est lecteur de la Torah.


Commentaire/Analyse



Après le Shema du soir, vient naturellement le Shema du matin. Quand le réciter pour être conforme au commandement divin ? Et aussi, que nous enseigne la nécessaire réflexion qui accompagne ce questionnement du Juif pieux ? Les réponses des Tannaïms demandent ici une connaissance plus globale de la pratique du Judaïsme en ce qui concerne les tzitzit. Il s’agit des petites franges de tissu qui pendent aux quatre coins de certains vêtements portés par les hommes. C’est ce qui est présenté comme « franges » dans les Evangiles, dans le passage de la femme hémorroïsse : “Et voici, une femme atteinte d’une perte de sang depuis douze ans s’approcha par derrière, et toucha le bord de son vêtement. Car elle disait en elle-même: Si je puis seulement toucher son vêtement, je serai guérie. Jésus se retourna, et dit, en la voyant: Prends courage, ma fille, ta foi t’a guérie. Et cette femme fut guérie à l’heure même.” (Mt 9:20-22). Elle a en fait touché les tzitzits du Christ. Ces tsitsit sont d’aspect particulier, et avaient à cette époque un des fils qui avait une couleur différente des autres qui étaient simplement blancs : le tekhlet. Cette couleur est disputée parmi les rabbins : selon certains c’est une forme de bleu, pour d’autre une forme de vert. En tous les cas, ce que cela indique, est qu’il faut pouvoir distinguer cette couleur non blanche, et cela fait donc référence à un niveau de luminosité déjà suffisement important.



Rabbi Eliezer demande lui quelque chose de plus compliqué : pouvoir distinguer entre cette couleur particulière et une variante du vert, ce qui est plus compliqué qu’avec le blanc. Les spécialistes s’accordent à dire que Rabbi Eliezer voyait le tekhlet comme une variante de vert, ce qui signifie qu’il demande à ce que cela soit fait par rapport à un plus grand degré de lumière. La Torah a pourtant déclaré qu’il fallait le faire au lever. Le verset exact est : “Tu les inculqueras à tes enfants, et tu en parleras quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras.” (Dt 6:7) C’est là qu’il faut saisir la dynamique rabbinique dans la compréhension de ce qui est rabbinique et de ce qui est littéral. Certains passages sont littéraux, d’autres des indications plus globales, d’autres allégoriques, etc. Ici, les Tannaïm semblent d’accord pour dire que la Torah parle de façon généraliste du matin, mais pas spécifiquement du moment où l’on se lève, comme si le Shema devait être la première chose accomplie le matin. L’énoncé de Rabbi Eliezer semble d’ailleurs contradictoire en lui-même : « jusqu’au point du jour » signifie quand le jour se lève, mais le moment dont il parle au niveau de la distinction des couleurs peut venir après le moment où le jour se lève. Comment lire Rabbi Eliezer ? Il donne la borne inférieure de temps et la borne supérieure de temps. Le moment idéal selon lui est à partir du moment où l’on y voit assez pour distinguer ces deux couleurs proches, et jusqu’au moment où le jour est levé.

Pour ce qui est la halakha de Rabbi Yehoshua, il faut connaître la façon de compter juive : la journée est divisée en 12 périodes appelées heures. Lorsqu’on fait référence à la journée, il s’agit bien de la période où il fait jour. Ainsi, selon les saisons, ces heures peuvent durer plus ou moins, et ne sont absolument pas des périodes égales à soixante minutes comme pour nous autres modernes. Ainsi, la troisième heure fait ici référence au début (ou à la fin selon les écoles) de la troisième des douze périodes divisant la durée de « jour », au sens éclairé par le soleil. Dans la notion relative à la littéralité de l’interprétation, et l’utilisation parfois d’outils permettant de ne plus faire référence à la littéralité, on voit que les Tannaïms, de façon unanimes voyait la nuit de la Torah comme la totalité de la nuit, tandis que le jour, ne fait pas référence à la totalité de la période éclairée du jour. Le débat des rabbins ici est : quelle limite, quelle portion de la partie éclairée de la journée ? Rabbi Yehoshua invite les gens à sortir de la majorité des usages, et faire comme les gens les plus importants de la société : à se lever tôt, et ne pas perdre de temps pour accomplir la volonté divine, comme d’autres se lèvent tôt pour accomplir les charges politiques, diplomatiques, militaires, etc.



La dernière mention de Rabbi Yehoshua indique très probablement que l’homme qui vit selon cette discipline est apte à pouvoir lire la Torah. La lecture de la Torah demande le plus possible de ne pas être hypocrite avec Elle. Elle exige une vie qui soit le plus possible en adéquation avec ce qu’elle dit, professe, exige, appelle, enseigne. Seul le Christ a été sans faute vis-à-vis de la Torah, mais la Torah a bien entendu été lue avant Lui, pendant Lui, et après Lui par d’autres, moins dignes que Lui. Ce qu’indique Rabbi Yehoshua est que la lecture de la Torah s’accompagne d’une vie selon la Torah.

Quels enseignements pour nous chrétiens relatifs à cette mishna ? on voit que les Sages de la Mishna vivaient selon le rythme de la nature, adaptant la lecture de la Torah aux cycles cosmiques. Notre façon fixe de vivre, avec nos découpages fixes de la journée, indépendamment des saisons, indique notre rupture avec la nature, avec le monde qui nous entoure. Nous devrions nous désoler de voir les vêpres ou les matines se dérouler à heure fixe. Nous devrions nous désoler de chanter « lumière joyeuse » des vêpres, quelle que soit l’importance de la luminosité. L’innovation consistant même à changer d’heure (idée désastreuse venue de France) en fonction de l’hiver ou de l’été est dictée par des impératifs d’économie d’énergie. Cette mishna nous invite à économiser l’orgueil et à vivre selon ce que nous envoie le soleil.