MISHNA

Traité Berakhot : sixième mishna : comment prier pour valider le commandement ?

original hébreu

הָיָה קוֹרֵא בַתּוֹרָה, וְהִגִּיעַ זְמַן הַמִּקְרָא, אִם כִּוֵּן לִבּוֹ, יָצָא. וְאִם לָאו, לֹא יָצָא. בַּפְּרָקִים שׁוֹאֵל מִפְּנֵי הַכָּבוֹד וּמֵשִׁיב, וּבָאֶמְצַע שׁוֹאֵל מִפְּנֵי הַיִּרְאָה וּמֵשִׁיב, דִּבְרֵי רַבִּי מֵאִיר. רַבִּי יְהוּדָה אוֹמֵר, בָּאֶמְצַע שׁוֹאֵל מִפְּנֵי הַיִּרְאָה, וּמֵשִׁיב מִפְּנֵי הַכָּבוֹד, בַּפְּרָקִים שׁוֹאֵל מִפְּנֵי הַכָּבוֹד, וּמֵשִׁיב שָׁלוֹם לְכָל אָדָם

Traduction littérale

fut lecteur Torah, et arrivera temps de la proclamation (biblique), si direction de son coeur, il accomplit, sinon, il n'accomplit pas. dans les sections demande l'honneur et réponds, dans milieu demande contre peur et réponds contre honneur, et dans sections demande contre honneur et réponds shalom à tout homme, paroles de Rabbi Méir. Rabbi Yehouda dit, dans milieu demande contre peur et réponds contre honneur, et dans sections demande contre honneur et réponds shalom à tout homme.

Traduction proposée

Lorsque l'on récite la Torah (versets du Shema), lorsque vient le moment de la proclamation, si son coeur est dirigé (vers la prière) il a observé le commandement. Sinon, il ne l'a pas observé. Dans les sections (entre les textes du Shema), on peut saluer par respect et répondre également; dans le milieu d'une section on peut saluer par peur et répondre à quiconque; Paroles de Rabbi Méir. Rabbi Yehouda dit : au milieu d'une section on peut saluer par peur et répondre par respect, et dans le milieu on peut saluer par respect et répondre à quiconque.


Commentaire/Analyse



Cette mishna étudie l’attention, la concentration que l’on apporte dans une prière, ainsi que les problématiques qui encadrent les interruptions. Les disciplines artistiques le savent parfaitement : la concentration, l’intention, le focus que l’on apporte à l’exécution d’une performance sont essentielles. La prière, loin d’être un art, requiert également ce type de discipline. Mais comme les rabbins se demandaient les heures dans les mishna précédentes, ici, ils se demandent ce qui différencie une prière véritable, d’une récitation plate. Et comme le commandement divin requiert la prière, alors cette problématique devient de première importance. Le texte au niveau littéral parle de direction de cœur. Si le cœur est dirigé vers la prière, alors le commandement est acquitté (ici la récitation du Shema). Si le cœur n’était pas dirigé vers la prière, même si les paroles ont été dites, alors le commandement est considéré comme étant non rempli.

Rappelons rapidement le contexte (le dernier commentaire de mishna étant un peu vieux) : le juif pieux, dans la prière du matin, doit réciter le Shema Israël, ainsi que Dieu l’a ordonné dans la Torah. Les rabbins ont institué qu’il s’agit de la lecture du passage du Dt 6:4-9, Dt 11:13-21, et Nb 15:37-41. Ces trois passages sont lus à la suite, avec des prières rabbiniques intercalées (sur le même principe que les stichères dans la liturgie orthodoxe, les stichères étant des prières d’origine monastique qui séparent des versets de l’Écriture). Les amoraim qui commentent cette mishna dans le Talmud se posent la question de la direction du cœur. De quoi s’agit-il concrètement ? La réponse qu’ils donnent est : la volonté d’accomplir la volonté divine. D’autres commentateurs mettent l’emphase sur la correcte prononciation des voyelles de vocalisation massorétique. Les débats rabbiniques sur ce passage sont de ce genre : imaginons quelqu’un, qui a l’heure de la prière, lise les versets demandés par cette prière, mais pas avec l’intention de faire la prière, mais pour vérifier la correcte impression d’un support de prière. Le parchemin est juste achevé par le scribe, et un utilisateur soucieux et méticuleux lit les passages pour vérifier que tout est correct. Alors, comme il n’a pas lu pour accomplir le commandement, il n’est pas quitte de son obligation de lire le Shema. Autre exemple donné par les rabbins : lors de la fête de Rosh hashana, on doit souffler dans le Shofar (les fameuses « trompettes » mentionnées dans l’apocalypse de Jean, qui ont donc moins à voir avec les cuivres qui régalent les oreilles dans les orchestres de musique classique ou les formations de jazz). Si la personne souffle dans son Shofar pour voir si celui-ci fonctionne correctement, le commandement n’est pas acquitté. Il faut souffler dans le Shofar pour accomplir le commandement demandé.



Passons à la problématique des interruptions qu’aborde également la mishna. La problématique est double : quoi interrompre, et qui interrompt ? Quoi interrompre fait la différence entre les textes de la Torah (les 3 sections que j’ai mentionnées plus haut) et les prières d’origine rabbinique, n’ayant pas le même statut. La nature de l’interruption fait également la nuance entre les notions de peur et de respect. Le respect est essentiellement dû aux personnes que l’on se doit de respecter : un grand en Torah ou son père étant les deux exemples dans tous les commentaires rabbiniques. Pour ce qui concerne la peur, il s’agit généralement davantage d’un danger physique immédiat. On voit dans la mishna, que les grands rabbins de cette époque avaient chacun leur vue sur l’interruption.

Tout ceci n’est pas très spirituel au premier abord, surtout dans la partie concernant l’intention. Peut-on considérer comme une prière valide, le fait de vouloir prier, mais en ne mettant pas l’intention nécessaire ? C’est une question très compliquée, et finalement très personnelle. Il faut considérer cette mishna comme fixant le « minimum syndical » de la prière. Ce n’est qu’à partir de la Guemara 13B, dans une Baraita (développement rabbinique additionnel) que l’on entend parler pour la première fois de concentration, preuve que les rabbins ne sont pas des machines mais bien des êtres humains qui voient parfaitement la nuance entre une prière mécanique, froide, impersonnelle, et une prière brûlante, qui vous établit directement devant le trône divin. Le développement liturgique que l’on peut faire pour en venir à la pratique orthodoxe est le suivant : comment doit être un psaume lorsque sa lecture est réalisée à haute voix ? par exemple, dans les vêpres et dans les matines, il y a des psaumes qui sont lus par un lecteur, à haute voix. Il semble évident que ces psaumes lus à voix haute doivent non pas acquitter le besoin de prière du lecteur, mais bien se conformer à la structure de l’office. Leur lecture doit en fait être à une jonction très subtile : permettre la prière des fidèles assistant à l’office, et également réaliser la prière des fidèles assistant à l’office. Cette mishna répond également à cette problématique, par l’utilisation du mot cœur. Le lecteur doit scander le texte, c’est-à-dire traditionnellement, ne pas mettre d’émotion apparente (au contraire d’un acteur de théâtre qui mettrait énormément de nuances, de variation, de pauses), et le réciter en prenant un ton monocorde, et garder un rythme équivalent. Concluons. L’intérêt de cette mishna est de rappeler chaque personne à une évidence parfois oubliée : ma prière est-elle sérieuse ? ma prière est-elle suffisante ? Si aimer est un commandement, si prier est une invitation pressante de l’Apôtre, rien n’est dit sur l’intensité de cette prière. Il est un point commun entre prière et chant qui peut aider la progression : on progresse en chant à côté de quelqu’un qui chante bien. Essayez de prier à côté de quelqu’un qui est fort dans la prière. Vous verrez alors…