MISHNA

Introduction : continuité mosaïque, succession apostolique.

Le traité le plus connu de la Mishna, le pirké avot (qu’on traduira par maximes des pères) contient principalement des maximes et sentences du domaine sapientiel (cad liées à la sagesse). C’est un des rares traités à ne pas avoir de considérations halakhiques pures et dures, et peut-être le plus agréable pour rentrer la littérature rabbinique qui est surtout très technique (comment quoi et quand pour bien observer un commandement ?).

La première mishna du traité avot est la suivante « Moïse a reçu la Torah du Sinaï, et l’a transmise à Josué, Josué aux anciens et les anciens aux prophètes, et les prophètes l’ont transmise aux hommes de la grande assemblée » (Av 1 :1). Cette mishna illustre bien ce qu’est la Torah orale et sa dynamique historique et théologique. On se rend bien compte que Dieu n’a pas dit ce bout de texte à Moïse et qu’il fut couché par écrit ensuite. Ce texte a été composé par quelqu’un d’anonyme qui rétrospectivement, relit et relie toute l’histoire d’Israël à une notion fondamentale de continuité et de transmission. Certains Juifs pensent et professent aujourd’hui que toute la mishna et tous les talmuds et tous les écrits rabbiniques ont été donnés à Moïse dans la Torah orale. Ceci illustre une forme de pensée magique et une forme de décadence d’une partie du monde rabbinique actuel mais qui n’est pas le sujet. Ce qui a été donné à Moïse en tant que Torah orale, c’est la possibilité et les techniques pour élaborer toute la mishna, tous les talmuds, toutes les déductions en matière de halakha, etc. La mishna est le texte le plus proche de cette fameuse torah orale, mais elle n’est pas ce que Moïse a reçu. Elle en est le premier produit, ou d’une certaine façon le premier commentaire. De la même façon, le Deutéronome peut être lu comme un commentaire des quatre premiers livres. Nous sommes ici au-delà du hasard. Commentaire = reformulation = explication = actualisation. Toute la dynamique est là.

Lorsque les Tannaim (rabbins de la mishna) affirment cette chaîne Moïse => Josué => Anciens => Prophètes => Hommes de la grande assemblée ils ne débattent même pas de la notion d’autorité et de transmission, mais bien de qui l’a incarnée au cours de l’histoire, depuis la révélation mosaïque. Ainsi se trouve tout naturellement la réponse à la question que feignent de se poser les tenants de la méthode historico-critique : d’où viennent les évêques ? Au « pas d’évêque » du NT succède « tout est organisé autour de l’évêque » de Saint Ignace d’Antioche dans la littérature chrétienne primitive. La mishna témoigne ici que tout ce qui est relié à une révélation divine est toujours confié à des personnes qui en détiennent l’autorité car ils l’ont reçue et qui la transmettent, car telle est leur tâche.

Le christianisme orthodoxe et le christianisme romain sont les deux seuls à avoir conservé et à conserver encore aujourd’hui une succession apostolique. C’est-à-dire que tout évêque est fait évêque par un évêque qui lui-même a été fait par un évêque et ainsi de suite jusqu’à un apôtre. Tout ce qui se présente comme chrétien mais qui ne peut se revendiquer d’une succession apostolique, serait-il même paré de vertus spirituelles, n’est qu’une aimable plaisanterie. On voit avec les catholiques romains, que cela ne suffit pas à garantir l’orthodoxie de la doctrine, et c’est donc une condition nécessaire mais non pas suffisante pour garantir la fidélité avec l’enseignement du Christ. Cette première mishna que je commenterai en détail plus tard donne néanmoins une réponse qui devrait interroger nos frères catholiques. En dehors de Moïse et de Josué qui sont des personnages exceptionnels de l’histoire sainte par leur envergure spirituelle et leurs charismes divers (prophétie entre autre) et qui sont à l’origine de celle-ci, nous avons les anciens, les prophètes et les hommes de la grande assemblée. C’est-à-dire que nous avons des ensembles de gens. Nous n’avons pas de personne qui seule dirige quoi que ce soit. Ce privilège n’a été revendiqué que par le Christ, qui en tant que Messie et comme Dieu pouvait évidemment se le permettre. Mais l’on constate aisément, que le fonctionnement synodal de l’orthodoxie est éminemment traditionnel et la continuité parfaite de ce qu’exprime le pirke avot sur la chaîne de transmission. Le fonctionnement pyramidal du monde romain est une rupture de tradition qu’il convient de constater et de méditer. La notion du premier est une notion théologique complexe et dangereuse. Que Constantinople, Moscou et Chypre ne l’oublient pas…