Patrologie grecque

 Saint Clément de Rome : première aux corinthiens - introduction partie 1

Texte original (dans la patrologie de Migne) :

Ἡ ἐκκλησία τοῦ θεοῦ ἡ παροικοῦσα Ῥώμην τῇ ἐκκλησίᾳ τοῦ θεοῦ τῇ παροικούσῃ Κόρινθον, κλητοῖς, ἡγιασμένοις ἐν θελήματι θεοῦ διὰ τοῦ κυρίου ἡμῶν Ἰησοῦ Χριστοῦ

Traduction littérale

La ekklesia de Dieu qui réside dans Rome à la ekkesia de Dieu qui réside dans Corinthe, à ceux appelés et qui ont été faits saints par la volonté de Dieu au travers de notre Seigneur Jésus Christ.

Traduction fluide

L'Église de Dieu qui est à Rome à l'Église de Dieu qui est à Corinthe, à ceux qui sont appelés et ont été faits saints de par la volonté de Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ.




Commentaire/Analyse : comprendre l’ekklesia

J’ai dédié ce premier post sur l’étude de la première lettre de Clément aux Corinthiens, à la toute première phrase, car elle recelle en elle-même un enseignement sur la façon dont l’Eglise primitive se voyait. Dans la traduction littérale j’ai gardé le mot grec, non pas qu’il ne se traduise pas par église, mais parce que le mot église est piégé pour nous autres modernes. Le second mot piégé est mon choix du verbe résider, qui retranscrit mal le verbe, en fait intraduisible. C’est un néologisme ecclésial chrétien bâti sur le verbe habiter, résider, mais avec le préfixe par. παροικοῦσα pourrait d’une certaine façon se traduire par un néologisme du type “paroissiser”. Je devrais ainsi écrire : l’ekklesia de Dieu qui paroissise à Rome.

Le verbe en lui-même montre que l’ekklesia contient une subtilité qu’il ne faut pas occulter. Une ekklesia est une communauté messianique composée de disciples de Jésus vu avec le titre de Christ, et qui réalise un acte liturgique de communion eucharistique. Chaque assemblée se rattache à un lieu. Ce mode de rattachement est subtil, et cela est rappelé par le verbe que j’ai rendu faiblement par résider. Ce mode de résidence et ce qui compose cette communauté messianique, renvoie à des questions ecclésiologiques dès le départ de la littérature patristique : si un fidèle appartient à l’ekklesia d’une ville, que se passe-t-il lorsqu’il va dans une autre ville ? A quelle ekklesia appartient-il ? Peut-on avoir plusieurs ekklesia qui résident (paroissisent) dans la même ville ? Ce que nous appelons Eglise aujourd’hui, comment le relier avec ces deux ekklesia ? l’Eglise est-elle la somme des ekklesia de toutes les villes ?

La réponse, inépuisable par ailleurs, est la suivante : l’Eglise est ce qui est manifesté dans chacune des ekklesia qui réalisent l’acte liturgique. Il est fondamental que les fidèles comprennent qu’il ne vont pas à l’église. En ce cas l’église est vue comme un bâtiment ou une institution. En fait, ils doivent comprendre et c’est crucial, qu’ils sont l’Eglise. L’Eglise n’est pas le lieu où nous entrons pour faire une liturgie (malheureusement le français a choisi ce mot là pour désigner le bâtiment) mais bien ce que deviennent tous ensemble les fidèles (et le clergé) lorsqu’ils réalisent l’acte liturgique. On pourra d’ailleurs discuter de savoir ce qu’il en est de l’ekklesia en dehors d’un acte liturgique… j’y reviendrai !

Jean Zizioulas résume tout ceci merveilleusement dans l’introduction de son livre “l’être ecclésial” :

L’Église n’est pas simplement une institution, mais bien un mode d’existence, une manière d’être. Le mystère de l’Eglise, même en sa dimension institutionnelle, est profondément lié à l’être de l’homme, à l’être du monde et à l’être même de Dieu. Grâce à cette liaison, si caractéristique de la pensée patristique, l’ecclésiologie revêt une importance certaine, non seulement pour la théologie dans son ensemble, mais encore pour les besoins existentiels de l’homme de toute époque.

Tout d’abord, l’être ecclésial est lié à l’être même de Dieu. Du fait que l’homme est membre de l’Eglise, il devient image de Dieu, donc il existe comme Dieu lui-même est, il acquiert la manière d’être de Dieu. Cette manière d’être n’est pas un comportement moral, c’est à dire quelque chose que l’homme accomplit. C’est une manière de relation avec le monde, avec l’autre et avec Dieu, un fait de communion, et c’est pourquoi elle ne peut pas être réalisée comme exploit individuel, mais seulement comme fait ecclésial.

On comprend les implications fondamentales de la Sainte Trinité pour le mode d’être ecclésial, et pour l’Eglise, image de Dieu sur terre. On voit maintenant que l’ekklesia dont parle Saint Clement est un mot, un concept, une réalité d’une signification très riche. Si je peux reformuler, riche de toutes ces explications, le début de l’entête de la lettre envoyée aux Corinthiens, je dirais : De la communauté messianique qui développe le mode d’existence image de la Sainte Trinité réunie en paroisse à Rome à la communauté messianique qui développe le mode d’existence image de la Sainte Trinité réunie en paroisse à Corinthe, à ceux qui sont appelés et sanctifiés par la volonté de Dieu, par le Christ Jésus.