Patrologie grecque

Saint Clément de Rome : première aux corinthiens - chapitre 3

Texte original (dans la patrologie de Migne) :

Πᾶσα δόξα καὶ πλατυσμὸς ἐδόθη ὑμῖν, καὶ ἐπετελέσθη τὸ γεγραμμένον· Ἔφαγεν καὶ ἔπιεν, καὶ ἐπλατύνθη, καὶ ἐπαχύνθη, καὶ ἀπελάκτισεν ὁ ἠγαπημένος. ἐκ τούτου ζῆλος καὶ φθόνος, καὶ ἔρις, καὶ στάσις, διωγμὸς καὶ ἀκαταστασία, πόλεμος καὶ αἰχμαλωσία οὕτως ἐπηγέρθησαν οἱ ἄτιμοι ἐπὶ τοὺς ἐντίμους, οἱ ἄδοξοι ἐπὶ τοὺς ἐνδόξους, οἱ ἄφρονες ἐπὶ τοὺς φρονίμους, οἱ νέοι ἐπὶ τοὺς πρεσβυτέρους. διὰ τοῦτο πόρρω ἄπεστιν ἡ δικαιοσύνη καὶ εἰρήνη, ἐν τῷ ἀπολιπεῖν ἕκαστον τὸν φόβον τοῦ θεοῦ καὶ ἐν τῇ πίστει αὐτοῦ ἀμβλυωπῆσαι, μηδὲ ἐν τοῖς νομίμοις τῶν προσταγμάτων αὐτοῦ πορεύεσθαι, μηδὲ πολιτεύεσθαι κατὰ τὸ καθῆκον τῷ Χριστῷ, ἀλλὰ ἕκαστον βαδίζειν κατὰ τὰς ἐπιθυμίας τῆς καρδίας αὐτοῦ τῆς πονηρᾶς, ζῆλον ἄδικον καὶ ἀσεβῆ ἀνειληφότας, δι᾿ οὗ καὶ θάνατος εἰσῆλθεν εἰς τὸν κόσμον.

Traduction fluide

La gloire et la croissance vous avait été offertés, et ainsi s’accomplit ce qui était écrit : « il a mangé et il a bu, il a été engraissé et il a frappé, l’aimé » (Dt 32,15). De là sont venus envie, jalousie, querelle, trahison, persécution et désordre, guerre et captivité, et c’est ainsi que « les déshonorés s’en sont pris aux respectés, les sans-gloire aux honorés, les stupides aux sages et les nouveaux aux anciens » (Is 3,5). Par cela se sont éloignées justice et paix, par l’abandon de la peur de Dieu, par l’obscurcissement du regard de la confiance (foi en Dieu). Les commandements de la loi ne sont pas beaucoup suivis, on ne vit plus la vie nécessaire selon le Christ, mais chacun va selon les désirs de son cœur pervers, reprenant en lui l’envie injuste et sacrilège, par laquelle, « la mort est entrée dans le monde » (Sg 2:24).




Commentaire/Analyse : la paix fertile et messianique





Le contexte est ici relativement évident à saisir : Clément, après avoir fait l’éloge de ce que fut la communauté de Corinthe (paragraphe précédent, analysé dans le post précédent sur cette lettre), décrit une réalité beaucoup moins élogieuse. Mais il n’énumère pas les reproches de façon hasardeuse, mais selon une méthode qui est classique chez les Pères de l’Eglise (et chez les rabbins) : le collier. Vous aurez remarqué une citation du Deutéronome, une citation d’Isaïe et une citation du livre de la Sagesse. J’ai mis les références pour que le phénomène soit plus évident, en utilisant des guillemets et des parenthèses pour préciser le livre, mais en consultant le grec vous constaterez qu’il n’y a pas de mise en avant particulière permettant de voir qu’il s’agit d’une citation. Clément ne précise pas qu’il cite l’Ecriture. Il fait donc appel ici à des ultra spécialistes de l’Ecriture. Ceci nous renseigne sur le niveau d’alors et la place si particulière de la mémorisation. Les chrétiens, correctement catéchisés, savaient qu’il s’agissait de citations. Le contexte leur revenait immédiatement.

Mais ce choix de Deutéronome, Isaïe et Sagesse ne doit rien au hasard non plus. Il s’agit, comme je le disais plus haut, d’un collier. Le principe en est le suivant : on prend un extrait de la Torah, un extrait des livres prophétiques et un extrait des livres sapientiels. C’est ce que réalise ici Clément. Le Deutéronome est dans la Torah, Isaïe est un livre prophétique et le livre de la Sagesse est évidemment sapientiel. C’est une façon de ramener toute l’Ecriture en une fois. Cela permet aussi de mieux comprendre ce que disait Jésus : « ne jettez pas vos perles aux porcs ». Il ne s’agissait pas des bijoux, mais bien des perles composant un collier biblique, c’est-à-dire des extraits de l’Ecriture. Cela veut dire : ne perdez pas votre temps à utiliser la Bible comme argumentaire à un discours avec des gens qui ne veulent rien comprendre. En envoyant justement un collier à Corinthe, Clément leur dit donc de façon très subtile : vous êtes tombés, mais je sais que vous pouvez vous relever.