Théologie Dogmatique - Macaire Boulgakov

Introduction - Tome 1

« Vous êtes édifiés sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, en Jésus-Christ, qui est lui—même la principale pierre d’angle » (Eph II :20)

« Afin que vous sachiez comment vous devez vous conduire dans la maison de Dieu, qui est l’Église du Dieu vivant, la colonne et le soutien de la vérité » (1 Tim III :15)

« Mes biens-aimés, ne croyez pas à tout esprit ; mais éprouvez si les esprits sont de Dieu » (1 Jn IV :1)

Introduction

La plus grande des acquisitions, c’est la science des dogmes (Saint Cyrille de Jérusalem – Catéch. IV 2)

1 Obligation de la Théologie dogmatique orthodoxe

La Théologie dogmatique orthodoxe, envisagée comme science, doit exposer les dogmes du christianisme dans un ordre systématique, avec toute la plénitude, toute la clarté, toute la solidité possible, et cela seulement dans l’esprit de l’Église orthodoxe (A)

2 Idée des dogmes chrétiens, comme objet de la Théologie dogmatique orthodoxe

Sous le nom de dogmes chrétiens, on comprend ces vérités révélées que l’Église enseigne aux hommes, comme étant les principes certains et invariables de la foi qui nous sauve. Tout dogme suppose, par conséquent, trois traits indispensables.

1) : Le dogme est une vérité révélée (veritas revelata) : c’est-à-dire qu’il se trouve dans l’Écriture Sainte, ou dans la tradition sacrée, ou dans l’une et l’autre ; car il n’y a point d’autres sources pour la religion chrétienne, et une doctrine qui n’est pas renfermée dans ces sources ne peut être un dogme chrétien. C’est en ce sens là que les vérités apportées sur la terre par notre Sauveur Jésus-Christ sont appelées dogmes(B), dans la parole même de Dieu, et que l’on rencontre chez les plus anciens pasteurs de l’Église ces expressions : dogmes divins (C), dogmes chrétiens (D), dogmes du Seigneur (E), dogmes évangéliques, dogmes apostoliques (F) ; Que même toute la doctrine chrétienne, est désignée par eux, sous le nom de dogmes (G), que les Évangélistes et les Apôtres sont appelés les docteurs du dogme (H), et les chrétiens orthodoxes, les gardiens du dogme (I). Ce premier trait distingue tout le dogme chrétien de tous les dogmes, et en général de toutes les vérités qui n’appartiennent pas point au christianisme, savoir, des dogmes et des vérités de toute autre religion (J) ; des dogmes dans le sens philosophique (K), dans le sens politique (L), etc. ; dés vérités, qui, bien que chrétiennes, ne se trouvent point dans la relation divine, comme la plupart des vérités historiques, par exemple, concernant la vie et les écrits de tel ou tel Père de l’Église ; les vérités relatives au rite et au canon, fixant le service divin et la discipline. Toutes ces vérités, par cela seul, qu’elles ne se trouvent point dans la révélation divine, ne peuvent quelle que soit leur importance, être nommées des dogmes chrétiens.

2) : Le dogme est une vérité enseignée par l’Église. En effet, quoique tous les dogmes chrétiens en général soient renfermés dans la révélation divine, il se peut que le fidèle, venant à les y puiser directement, ne comprenne pas tel ou tel d’entre eux, ou l’entende à contre-sens, ou même qu’en l’entendant comme il faut, il n’ait pas la ferme conviction que l’intelligence qu’il en a est tout à fait juste (M) ; au lieu que l’Église a été instituée par le Seigneur, entre autres, comme le dépositaire et l’interprète de sa révélation pour tout le monde, comme la colonne et le soutien de la vérité (I Tim 3 :14), et qu’à cet effet elle est gardée par le Saint-Esprit, de manière à ne pouvoir ni errer, ni tromper les hommes, ni se tromper elle-même (N). Ainsi, pour être pleinement persuadés que nous devons reconnaître comme des dogmes les vérités révélées connues, et les comprendre dans tel sens et non point dans tel autre, il nous faut nécessairement entendre ces vérités et leur définition de la bouche même de l’Église du Christ, sans doute, de l’Église véritable, orthodoxe.

(A) Voir l’introduction à la Théologie dogmatique, §131, 132, 160,162, 177 et 178.
(B) Quand il est dit par exemple du Sauveur : qu’il a aboli par ses dogmes (δογμασι) la loi ancienne chargée de préceptes (Eph II :15) ou qu’il a effacé par ses dogmes
(δογμασι) la cédule qui s’élevait contre nous (Col II :14) saint Chrysostome, Théodoret, saint Théophylacte et quelques autres docteurs, en expliquant ces passages, comprennent sous la dénomination de dogmes proprement la doctrine évangélique.
(C) δογματα θεια (Theodoret Epist. Ad Johan. Antioch.); - θεου (Orig. in Matth. T. XII n. 23); Clem. Alex. Strom. III 2; VI, 15.)
(D) τα ιησου χριστου δογματα (Ignat. Ad Magnes. , XIII ; Martyr. S. Justin., n. IV; Basil. In psalm. XLIV, n. 4.)
(E) σπουδαζετε βεβαιωθηναι εν τοις δογμασι του κυριου. (Ignat. Ad Ephes., § 13)
(F) δογματα των ευαγγελιων (Athanas. In Matth., serm IX); αποστολικα. (Theodoret. Histor. Eccles. 1,2,7)
(G) …τους καθαπερ νομισμα το δογμα το θειον παραχαραττοντας περιενεγκατε (Synes. Epist. V.) “ordinavit eos et instruxit ad praedicationem dogmatis ac doctrinae suae » (Lactant. De Mort. Persecut., n. II Conf. S. Basil. Hexaem. Orat VI.)
(H) διδασκαλοι του δογματος (Apud Origen. Contra Cels. Lib III)
(I) οι του δογματος (Apud Euseb. Hist. Eccles. Lib VII cap 30)
(J)  on dit par exemple δογματα ελληνικα (Sozom. Hist. Eccles. Lib V, cap 16)
(K) … « de suis decretis, quae philosophi vocant dogmata » (Cicer. Quaest. Academ. IV, 9). Voila pourquoi St Isidore de Péluse nomme Socrate των αττικων δογματων νομοθετην (Lib I, Epist. 2 Ophelio Grammatico)
(L) Dans la Sainte Ecriture, on appelle quelquefois dogmes, les édits de César u de l’empereur (Luc II,1 ; Act XVII,17 ; Dan II 13) ; les édits du roi (Esth III 9) soit des assemblées du peuple faisant acte de pouvoir administratif (II Mac X 8 ; XV 36)
(M) Voy. Introduction à la Théologie dogmatique A. M § 127 ; Saint Petersbourg 1847.
(N) Voy. la lettre des patriarches de l'Eglise catholique d'Orient sur la foi orthodoxe, art 2 et 12, et l'introduction citée §§ 131-140





Commentaire/Analyse





Ce court texte est tiré de l’introduction de la théologie dogmatique de Macaire Boulgakov. On y voit, cela semble difficile à nier, une connaissance biblique et patristique de nature quasi-encyclopédique. J’espère que Dieu me donnera le courage de continuer à étudier et commenter cette dogmatique, qui est, à ce jour la meilleure que j’ai pu compulser. Mais au-delà de sa qualité propre et objective, je voudrais produire un commentaire relatif à Georges Florovsky et à l’enseignement que j’ai reçu à l’institut de théologie orthodoxe Saint-Serge à Paris.

Dans son ouvrage majeur, les voies de la théologie russe, Georges Florovsky écrit : « Mais Macaire n’était, lui, en rien un personnage tragique : il restait indifférent à toute problématique théologique ; tout simplement, il y restait complètement insensible. Par goût personnel, Macaire était un séculier, qui restait complètement étranger à la « vie spirituelle ». Dans les années 1840 et 1850, il avait soutenu le régime de Protasov ; dans les années 1870 il sera l’un des leaders des réformes libérales (voir ses fameuses propositions de réforme des tribunaux ecclésiastiques à la Commission de 1873). Il y a quelque chose de bureaucratique dans son style d’écriture et d’exposition. Sa théologie dogmatique pêchait précisément par faiblesse du « sens de l’Église ». Il s’occupait des textes, non des évidences ou des vérités. De là vient que son style soit aussi dépourvu de vie et d’inspiration ; de là vient aussi qu’il n’ait pas su emporter la conviction : on n’y peut trouver que des réponses sans questions – mais personne ne peut répondre à une question qui n’a pas encore été posée. D’aucuns y verront peut-être une vertu. »

Tous ceux qui ont lu les voies de la théologie russe, ont pu constater à quel point il s’agissait d’un jeu de massacre. Florovsky n’est pas acerbe uniquement avec Macaire Boulgakov, mais avec tout ce que la Russie a produit au niveau théologique. Il expose le pourquoi de cette distanciation nécessaire : la grande captivité, « la captivité babylonienne ». Par cette expression, Florovsky explique que la théologie russe était prisonnière des catégories catholiques romaines. Il a fallu attendre la fameuse école de Paris, l’institut de théologie Saint-Serge, l’émigration russe fuyant le coup d’état bolchevique, et le retour à la patristique pour retrouver une orthodoxie véritable. J’ai appris et intégré cette version de l’histoire religieuse de la Russie et de l’Église orthodoxe au sens large, en étudiant précisément dans cet institut il y a 10 ans maintenant.

Lorsque vous lisez la grande dogmatique de Macaire Boulgakov, vous comprenez à quel point tout ceci est faux. Le même genre d’escroquerie historique est à l’œuvre avec le moyen-âge et la renaissance. Les défenseurs de la renaissance (et le terme en soi est déjà tout un programme) n’ont eu de cesse que de critiquer le moyen-âge pour exalter la renaissance en vis-à-vis. Le moyen-âge, époque superstitieuse et arriérée, brutale et meurtrière, par rapport à une renaissance qui exalte l’art, les sciences, la médecine, etc. Et pourtant, il vous suffit d’admirer une cathédrale du moyen-âge pour vérifier la fausseté de toute cette construction historique et intellectuelle. De même, il suffit de lire Macaire Boulgakov pour voir à quel point « le retour aux Pères » prêché par Florovsky était un boniment, puisqu’on ne peut revenir à ce qu’on n’a jamais quitté.

Le réquisitoire de Florovsky, en plus d’être faux, est particulièrement malhonnête. Il l’attaque sur ses opinions politiques. Ses références biographiques montrent quelqu’un partisan du tsarisme, conservateur et antilibéral. Cela me semble absolument cohérent avec le fait d’être orthodoxe, à fortiori pour un métropolite russe du 19ème siècle, et même dans l’absolu. Mais les opinions politiques, si elles peuvent peser sur certaines conceptions de la personne, n’entre à priori pas en compte avec la théologie. Il reproche au Métropolite Macaire son style « bureaucratique ». Effectivement, sur le plan stylistique, il est difficile de faire du Chateaubriand dans de la dogmatique. L’argument est même stupide. La dogmatique n’est pas un exercice stylistique, ou littéraire. Les arguments de fin : manque de sens de l’Église, réponses à des questions non posées sont presque délirants. En fait, dans cette dogmatique, soi-disant captive de la théologie romaine, il est au final facile de trouver ce qu’on reproche à Macaire : il a une approche systématique, presque scolastique, et donc la forme peut sembler romaine. Mais, c’est là où cette approche est véritablement stupide du point de vue théologique : être orthodoxe ça n’est pas ne pas être catholique en toute chose. Ce n’est pas parce que Macaire produit un travail aussi bien structuré qu’un dominicain ou un jésuite, qu’il bascule dans le catholicisme. Certains ont cette vision étriquée et fausse de la dogmatique orthodoxe : elle doit être mystique, non systématique, désordonnée, orientale (au sens méprisant du terme). Et ainsi, on nous présente, et Florovsky participe de cela dans son dédain de l’œuvre du Métropolite Macaire, une orthodoxie qui ne pourra être, que ce que les autres ne sont pas. Une des patates chaudes de la théologie est aujourd’hui le péché originel et sa relation au baptême (ou l’inverse si vous préférez). Les protestants et les catholiques en parlent librement. Ainsi, nos orthodoxes par opposition proclament haut et fort qu’il n’y a pas de péché originel (ou si peu), et ont vidé de toute substance le rituel du baptême. Ils osent même appeler hérésie ces évidences bibliques et patristiques et créent donc nécessairement une néo-orthodoxie totalement hors-sol et non traditionnelle. Ils croient découvrir dans cette différence, ce qui fait l’essence profonde de l’orthodoxie. Or, l’essence profonde de l’orthodoxie, c’est la parfaite doctrine, qui irrigue la vie la plus droite possible.

Conclusion. Georges Florovsky nous incite à regarder très librement les figures théologiques du passé, pour en voir les contaminations extérieures. Je réponds très favorablement à cet appel. A ce moment de mon parcours et de mes recherches personnelles, je pense que s’il y a eu une captivité, c’est celle de ces émigrés russes, qui ont cherché dans l’histoire religieuse russe, les racines de la révolution bolchevique. Ils ont commencé à traquer comme des commissaires politiques staliniens tout ce qu’ils estimaient être en dehors d’une orthodoxie véritablement patristique. La lecture de la dogmatique de Macaire Boulgakov nous montre que cette chasse aux sorcières, comme toute chasse aux sorcières, a été excessive, inutile et trompeuse. Ils ont recréé une orthodoxie fantasmatique. Il parait de plus en plus évident, que l’orthodoxie véritable se trouve bel et bien dans celle qu’ils ont faussement imaginée comme étant captive.