Patrologie grecque

traduction de l’introduction patristique : premier chapitre du volume consacré à Saint Clément de Rome
Peu nombreuses nous sont parvenues les œuvres des auteurs des premiers siècles de l’Eglise ; Pourquoi Dieu aura permis à la plupart de disparaître ; et ce qui fut conservé par ces œuvres.

La plupart des œuvres des Pères des premiers siècles de l’Eglise sont disponibles dans diverses éditions dans notre bibliothèque à Lyon. Mais aucune n’est, ou certainement très peu, pourvue d’un véritable caractère d’antiquité qui puisse se démontrer avec une véracité et une authenticité de façon irréfutable. Nous produisons avec certitude sept lettres d’Ignace, évêque et martyr à Antioche, dont nous montrerons qu’elles sont loin d’être douteuses. Mais même celles-ci ne sont apparues en pleine lumière qu’après le huitième siècle. Mais, du premier siècle de l’Eglise, on peut également retenir la lettre de l’Apôtre Barnabé, ainsi que trois du pasteur d’Hermas (ou de son livre). Néanmoins, nous n’oublions pas ceux (et nous les comprenons), pour lesquels nous ne pouvons pas toujours produire des opinions fermes et solides. Ils ne veulent être convaincus que par les démonstrations les plus convaincantes. Toutefois, pour ceux qui étaient convaincus, il restait encore deux auteurs majeurs du premier siècle. Le premier, Clément de Rome, dont il ne reste pratiquement aucun écrit à part la première lettre, ainsi que la peut-être lettre suivante, les deux aux romains, dans notre bibliothèque de Lyon, qui ne sont pas endommagées par notre travail à cet endroit. On pourra trouver merveilleux, et même incroyable, que si peu d’œuvres des chrétiens du premier siècle nous soient parvenues. A cette époque, les auteurs étaient variés et publiaient des ouvrages modestes : lettres, traités ou autres types de travaux modestes. Pourquoi la providence divine, a-t-elle agi avec constance de façon à ce que des enseignements divins si précieux pour les humains disparaissent des voies de transmission ? Si tu te questionnes sur cette souffrance, qui doit faire écho en nous, il faut aussi que tu saisisses l’importance de ce qui nous est parvenu, car tous les traités exposés dans ce volume font partie du même siècle. Ce siècle est celui qui a vu le plus grand nombre sacrifié et XXX et XXX (en dehors de l’apôtre Jean à qui nous devons son Evangile et son Apocalypse). La providence de Dieu a décidé que l’Eglise naissante subirait les persécutions les plus sévères et brutales, et qu’en même temps, à partir des apôtres et du Christ - qui a assumé notre chair – elle produirait des disciples dans les siècles suivants. Ceux-ci furent abreuvés par les doctrines sacrées et dogmes chrétiens, qui proviennent du Christ en personne : par ces voies, les dogmes furent transmis oralement, de main en main. Ainsi des écrits inestimables nous enseignent comment la providence divine a voulu, en dehors des saints auteurs, qui pour la plupart ont vu leur précieux sang répandu, travailler avec le plus petit nombre de Pères de ce siècle, ceux qui seront les plus estimés et les plus méritants, et qui héritent de l’autorité du Christ par l’intimité avec les apôtres. Les écrits proches mais de provenance non vérifiée sont simplement mis de côté et seront étudiés dans des points suivants.

NB : XXXX sont des termes que je n'ai pu traduire (avis aux amateurs)

Commentaire/Analyse : le travail de la providence

La prestigieuse patrologie grecque de Migne commence par Saint Clément de Rome, évêque de Rome après le martyre de Pierre. Nous sommes dans le monde géographique latin, mais dans le monde linguistique grec. La patrologie latine commence bien plus tard dans une optique chronologique. La patrologie commence donc par une expression en grec. Les Evangiles nous sont parvenus en grec bien que nous sachions par la Tradition de l’Eglise et par les études linguistiques les plus récentes que le corpus primitif était en hébreu (ou en araméen). Ainsi, première confusion possible : confondre ce qui nous est parvenu avec ce qui fut. Tout le premier chapitre de la longue étude patristique qui précède l’étude des lettres de Saint Clément de Rome en tant que tel, est marquée par cette problématique : ce qui nous est parvenu. L’explication principale est donnée sous l’angle des persécutions. La providence est vue ici comme celle qui a fait ce tri mystérieux, et a choisi de façon ineffable ce qui nous est parvenu. Mais ceci est un prisme biaisé sur plusieurs plans. Premier écueil de taille, bien que le texte du patrologue de Migne en parle quelque peu : l’oralité. Pourquoi, au-delà des terribles persécutions qui ont frappé l’Eglise naissante, avons-nous si peu de textes qui subsistent ? Parce que l’oralité était prédominante à un point que des patrologues du 18ème siècle ont du mal à imaginer. Ainsi, les premiers chrétiens avaient très probablement accès à un enseignement basé sur des récitatifs mémorisés depuis le catéchuménat. Certains de ces récitatifs, au gré des besoins et des circonstances étaient mis par écrit. Pourquoi ? Difficile de conjecturer… support pratique de mémorisation : on utilise ceci pour fixer une version de référence lorsque la personne chargée de faire répéter fait défaut. Une persécution arrive et on veut laisser le témoignage d’un enseignement : ce cas de figure s’est déjà produit chez les Juifs et on peut considérer que ce ressort psychologique a pu jouer. Quel que fut le cas de figure, il est évident que l’écrit doit être vu comme un accident. Ainsi, quelques textes, accidentellement mis par écrit, et gardés précieusement par certaines communautés chrétiennes nous sont parvenus. Nous devrions plutôt le voir ainsi. Ensuite, l’on peut essayer de répondre à cette question qui taraude le patrologue de Migne : pourquoi la providence a choisi précisément de sauvegarder ces textes-là pour nous autres chrétiens aujourd’hui ? Et bien déjà parce que le nombre est une indication de ce que j’ai essayé d’expliquer plus haut. Ce nombre si modeste nous rappelle que notre religion vient de l’oral. C’est-à-dire que le texte est su par cœur. Il est intégré et très bien connu. Ceci est un message fort aux orthodoxes, qui souvent, connaissent mal les textes.

Répondons maintenant à la question : pourquoi ces textes-là ? Les lettres de Clément sont des textes semblables aux épîtres de Paul aux Corinthiens. Il y a des tensions à l’intérieur des églises naissantes et les grandes autorités spirituelles vont assumer leur tâche de berger : conduire au milieu des tribulations. L’épître de Barnabé est une polémique avec le judaïsme et sa pratique. La Didache pose une dimension canonique en se basant sur une autorité apostolique. Ignace d’Antioche expose le bien-fondé d’une structure naissante : l’épiscopat. Enfin le Pasteur d’Hermas apporte une dimension de guidance spirituelle. C’est-à-dire, que la providence a voulu nous faire parvenir un témoignage complet de ce que furent les églises guidées par les apôtres et leurs disciples : des communautés avec des fortes tensions internes et externes, tiraillées de façon très violente vis-à-vis du judaïsme d’avec qui la séparation se précise et se poursuit, guidées par les évêques qui assument l’autorité apostolique, et qui cheminent dans une spiritualité d’une immense exigence. Rendons grâce à Dieu de cette diversité : si nous n’avions eu que l’épître à Barnabé et la Didache, nous aurions une vision bien différente de ce que permettent d’affiner Clément ou le pasteur d’Hermas. Mais saisir ce que fût l’ekklesia de Jésus lors de son premier siècle demande d’étudier avec sérieux l’ensemble de cette modeste littérature chrétienne primitive. Il est délicat de dire que ce corpus permet d’avoir toutes les données pour comprendre cette ekklesia primitive, car, par définition, nous ne pouvons pas savoir ce que nous ignorons. Mais ce qui est sûr, c’est qu’en étudiant ce corpus dans une approche systématique, on peut bâtir un portrait-robot de cette ekklesia. Et lorsque le monde chrétien devient la norme et que l’écrit devient prédominant, nous savons que nous avons accès au corpus dans sa globalité, et aux sources qui décrivent l’Eglise dans sa plénitude. Or, de l’une à l’autre, il n’y a pas de coupure, pas de discontinuité, pas de retournement incompréhensible. Si l’on prend les données théologiques suivantes en compte, alors tout s’enchaîne harmonieusement : 1) la rupture avec le judaïsme fut lente et étalée sur plusieurs siècles (voir les travaux de Daniel Boyarin qui est la référence universitaire sur ce sujet), 2) le christianisme a une approche symbolique du monde qu’il met en œuvre dans sa liturgie eucharistique qui lui interdit toute contamination gnostique, 3) il s’adresse à un monde dominé par la culture hellénique qui est traversée par une fracture interne entre ce qui est issu d’Homère et ce qui est issu de Socrate. Il doit donc « baptiser » des éléments helléniques et en répudier d’autres. Ce sera le travail des Pères apologètes.