Patristique : Cérinthe, le plus grand adversaire de Saint Jean ?
Patrologie grecque
traduction de l’introduction patristique : cinquième chapitre du volume de la Patrologie de Migne consacrée à Saint Clément de Rome
De haeresi Cerinthi
Cerinthus ab ipso apostolorum tempore novae haereseos parens, in Aegypto, inquit Theodoretus (32), plurimo tempore versatus, et in philosophicis scientiis eruditus, venit postea in Asiam, et discipulos suos de nomine suo appellavit. Cui concinit quidem Epiphanius, sed addit eos dictos fuisse Merinthianos : utrum vero, ait ille (33), Cerinthus ipse Merinthus alio nomine sit dictus, nescire me fateor, an praeter hunc alter eo nomine appellatus exstiterit, adjutor illius et socius, id quidem soli Deo compertum est.
Primum autem, teste Irenaeo (34), Cerinthus : Non a primo Deo factum esse mundum docuit, sed a virtute quadam separata, et distante ab ea principalitate, quae est super universa, et ignorante eo qui est super omnia Deo. Christum autem, auctore Theodoreto (35), duas in partes, seu personas a se invicem distinctas, dividebat ; Tradebatque Jesum secundum naturam ortum ex Joseph et Maria , temperantia autem, et justitia, et aliis virtutibus excelluisse. Vel ut ait Irenaeus (36) : Plus potuisse ab omnibus, et post baptismum descendisse in eum Christum ab ea principalitate, quae est super omnia, figura columbae, et tunc annuntiasse incognitum Patrem, et virtutes perfecisse ; in fine autem revolasse iterum Christum de Jesu, et Jesum passum esse et resurrexisse, Christum autem impassibilem perseverasse, existentem spiritalem. Contra tamen Epiphanius (37), ac post eum Augustinus (38) : Dicere, inquit, nihil est veritus passum quidem et crucifixum esse Christum, nondum tamen a mortuis excitandum. Unde merito quidem jure Cerinthianos secum invicem aperte pugnasse concludit.
Nec minus haeresis illa sibi ipsi in eo adversabatur, quod : Carne circumcidi oportere, verba sunt Augustini (39) : atque alia hujusmodi legis, nimirum Mosaicae, praecepta servari juberet. Nam eum a quo lex tradita sit, bonum negat esse, ait Epiphanius (40) : cujus tamen legi, tanquam bonae obtemperare videtur. Hinc etiam Cerinthiani, ut idem Epiphanius subdit (41) : Paulum penitus explodunt, propterea quod circumcisionem abdicavit. Philastrius vero arguit Cerinthum, quod et alios plures novi foederis libros repudiaverit : Apostolum Paulum non accipit, Judam proditorem honorat, Evangelium secundum Matthaeum solum accipit, tria Evangelia spernit, beatos martyres blasphemat. Neque tamen ab eo integrum Matthaei Evangelium acceptum fuisse auctor est Epiphanius (42) : Matthaei Evangelio non integro, sed ex parte duntaxat utuntur, nimirum propter genealogiam, quae ejus est carnis propria. Nec mirum ; quando quidem ea Christi genealogia omnes errores funditus evertebantur.
Caius autem apud Eusebium Cerintho errorem Chiliastarum tribuit (43) : Per revelationes a se, tanquam a magno Apostolo conscriptas, portenta quaedam, quasi ab angelis sibi ostensa commentus, nobis introducit, affirmans post resurrectionem regnum Christi in terris futurum, ac rursus homines Hierosolymis degentes, cupiditatibus et voluptati corporis obnoxios fore ; additque mille annorum spatium in nuptialibus festis transactum iri. Unde etiam Chiliastae, inquit Augustinus (44), sunt appellati. Id confirmat Eusebius hac Dionysii Alexandrini auctoritate : Aiunt eum, Cerinthum, librum composuisse, indito Joannis nomine, dum auctoritatem figmentis suis ex Joannis nomine mutuari vellet. Sed de hoc ridiculo Cerinthi commento alibi dabitur fusius disputandi locus.
Visum est nonnullis eos, qui viventes baptismo non fuerunt abluti, post mortem ad iis haereticis sacramento illo fuisse initiatos. Verum cum ii solo Epiphanii, quem de aliis potius haereticis ibidem loqui plures existimant, testimonio innitantur, id isti vel negant omnino, vel penitus incertum esse contendunt.
Quanto horrori Cerinthus Joanni evangelistae fuerit, discimus ex Irenaeo (45), qui ab aliis se accepisse testatur, Joannem, cum lavandi causa balneum Ephesi esset ingressus, viso intus Cerintho, mox illorum ex balneo profugisse, atque in haec prorupisse verba : Fugiamus hinc, ne forte balneum corruat, in quo est Cerinthus veritatis inimicus. Epiphanius igitur, qui haec Ebioni tribuit, memoria procul dubio lapsus est. Neque tamen ad expugnandam Cerinthi haeresim ibi stetit divinus plane Joannis ardor et studium. Ille enim, ut tradit Hieronymus (46) : Scripsit evangelium, rogatus ab Asiae episcopis, adversus Cerinthum, aliosque haereticos. Epiphanius (47) autem arbitratur Jacobum aliosque apostolos adversus eumdem haeresiarcham litteras in haec verba Antiochiam direxisse : Quoniam cognovimus quosdam a nobis ad vos esse profectos, etc. Nullus quoque dubitat Petrum et Paulum, eodem penitus evertendi erroris amore succensos, contra ipsum inito certamine, haeresim ejus confutasse et profligasse. His Theodoretus adjungit Caium, Dyonisium Alexandrinum, Justinum martyrem, Irenaeum atque Origenem. Porro autem cum non alios qui contra Cerinthum pugnaverint, commemoret vir ille doctissimus, hinc non leve ducitur argumentum haeresim illam, circa Origenis tempora exstinctam, nullos amplius habuisse fautores. Certum tamen est praecipuos Cerinthi errores ab aliis postea adoptatos fuisse haereticis, qui nova sectis suis, ut dicemus, nomina imposuerunt.
32 : Lib II Haeret. Fabul cap 3.
33 : Haeres. 28
34 : Lib I adv Haeres. Cap 25.
35 : Loc cit
36 : Loc. Cit.
37 : De Haeres. § 8
38 : Loc cit § 6
39 : De Haeres cap. 8
40 : Loc cit.
41 : Lib. De Haeres.
42 : Loc. Cit. § 5
43 : Lib. III hist cap 28 vid. Theodor. Loc. Cit. Et eumdem Euseb. Lib. VII hist cap 25.
44 : loc. Cit.
45 : Euseb lib III histor. Cap 28 et lib IV cap 14, et ipse Irenus lib 3 adv Haeres. Cap 3 et Theod lib II.
46 : de Script. Eccles., in Joan.
47 : Haeres. 28 § 2
Traduction proposée :
De l’hérésie de Cérinthe
Cérinthe, qui remonte à l’époque des Apôtres, père des nouveaux hérétiques selon Théodoret (32), ayant l’expérience sur un temps long, érudit dans les sciences philosophiques, venu ensuite en Asie, il appela ses disciples par son nom. En cela Épiphane est d’accord mais ajoute ces paroles à propos de Mérinthe : en vérité, dit celui-ci (33), j’admets ignorer si Cérinthe est en fait l’autre nom de Mérinthe, ou bien un autre que lui aura existé sous ce nom, ou bien cela fut son assistant et associé, Dieu seul le sait.
En premier témoin, Irénée (34), sur Cerinthe : il enseigna que ce n'est pas le premier Dieu qui a fait le monde, mais une Puissance séparée par une distance considérable de la Suprême Puissance qui est au dessus de toutes choses et ignorant le Dieu qui est au-dessus de tout. Or le Christ, chez Theodoret (35), se divisait en deux parties, d’où venaient alternativement des personnes distinctes ; et Jésus abandonnait sa seconde nature issue de Joseph et Marie, mais élevait la tempérance, la justice et les autres vertus. Ou comme le dit Irénée (36) : Après le baptême, le Christ, venant d'auprès de la Suprême Puissance qui est au-dessus de toutes choses, est descendu sur Jésus sous la forme d'une colombe ; c'est alors que ce Christ a annoncé le Père inconnu et accompli des miracles ; puis, à la fin, il s'est de nouveau envolé de Jésus : Jésus a souffert et est ressuscité, mais le Christ est demeuré impassible, du fait qu'il était pneumatique. Néanmoins, suivant Épiphane (37), et aussi d’après Augustin (38) le citant à ce propos : rien n’est vrai dans la voie et certes le Christ a été crucifié, mais il n’est pas revenu des morts. D’où nous concluons que les cérinthiens méritent vraiment d’être combattus.
Ce n’est pas non plus une petite hérésie que celle-là : ils recommandaient la circoncision – ces paroles sont d’Augustin (39) - et l'observation d'autres préceptes de la loi Mosaïque pareils à celui-là. Car dit Épiphane, il est bon de refuser, selon la provenance de la dispense, si on voit qu’il est bon d’obéir à la loi. Toujours sur les mêmes cérinthiens, comme le dit Épiphane (41) : Paul est rejeté chez eux, précisément parce qu’il a refusé la circoncision. Philastrius montre vraiment Cérinthe, qui a répudié plusieurs livres du nouveau canon : il n’accepte pas Paul, honore le produit de Judas, accepte seulement l’Évangile selon Matthieu, se sépare de trois Évangiles, blasphème les bienheureux martyrs. Néanmoins, d’après Épiphane (42) ils n’acceptent pas l’intégralité de l’Évangile de Matthieu : ce n’est pas en entier, mais sans les parties généalogiques et charnelles qu’ils l’utilisent. Pas de miracles. Car par la généalogie du Christ, toutes leurs erreurs étaient renversées.
Mais Caius, d’après Eusèbe (43), a permis les erreurs chiliastes de Cérinthe : par ses révélations, pour ainsi dire reçues du grand apôtre, certaines mentionnées comme provenant des anges, il nous introduit à un royaume du Christ sur terre qui adviendra après sa future résurrection, à l’opposé des hommes de Jérusalem aux désirs et aux plaisirs corporels coupables; Il ajoute un temps de noces de mille ans. Augustin dit (44), ils sont également appelés chiliastes. Eusèbe le confirme sous l’autorité de Dionysus d’Alexandrie : ils disent de lui, Cérinthe, il a arrangé le livre, remplaçant Jean par son nom, et ne voulut emprunter le nom d’aucune autre autorité. Le point le plus débattu dans certains lieux, sera à propos du ridicule de cette fiction de Cérinthe. Il apparaît quelques cas d’hérétiques, qui vivants ne furent pas purifiés par le baptême, auxquels le sacrement fut donné après leur mort. Il est vrai que seul Épiphane témoigne de ceci, et se repose sur ce que les hérétiques témoignent déclarer, ce qui rend la chose incertaine.
Quelle horreur Cérinthe aura été pour l’Évangéliste Jean est rapporté par Irénée (45), qui en a reçu le témoignage de Jean, étant allé aux bains à Éphèse, aperçut Cérinthe à l'intérieur ; il bondit alors hors des thermes sans s'être baigné, en s'écriant : « Sauvons-nous, de peur que les thermes ne s'écroulent, car à l'intérieur se trouve Cérinthe, l'ennemi de la vérité !». En conséquence, Épiphane, considère peu douteux le souvenir, que ceci permit les ébionites. Et l’hérésie de Cérinthe demeura divinement distincte de l’ardeur et de l’enseignement de Jean. Celui-ci, comme le précise Jérôme (46) : il écrivit son évangile à destination des évêques d’Asie, pour lutter contre l’hérésie de Cérinthe. Épiphane (47) juge Jacques, un des apôtres, écrivit à la même époque des lettres contre l’hérésiarque à Antioche : depuis que nous avons appris que tu t’es avancé auprès de quelques uns des nôtres, etc. Aucun doute n’est possible concernant Pierre et Paul, et leur amour enflammé pour renverser l’erreur, contre laquelle ils ont lutté, jusqu’à ce que celle-ci soit conquise et supprimée. Ici Théodoret ajoute Caius, Dionysius d’Alexandrie, Justin Martyr, Irénée et Origène. De là, ceux qui ont combattu Cérinthe, se souviennent d’un homme très éduqué, mais dont la finesse nourrissait son hérésie, qui avait disparu à l’époque d’Origène, car aucun ne l’avait protégée. Cérinthe demeure néanmoins particulier par son choix d’hérésies, et son nom s’imposent parmi les nouvelles sectes.
32 : Lib II Haeret. Fabul cap 3.
33 : Haeres. 28
34 : Lib I adv Haeres. Cap 25.
35 : Loc cit
36 : Loc. Cit.
37 : De Haeres. § 8
38 : Loc cit § 6
39 : De Haeres cap. 8
40 : Loc cit.
41 : Lib. De Haeres.
42 : Loc. Cit. § 5
43 : Lib. III hist cap 28 vid. Theodor. Loc. Cit. Et eumdem Euseb. Lib. VII hist cap 25.
44 : loc. Cit.
45 : Euseb lib III histor. Cap 28 et lib IV cap 14, et ipse Irenus lib 3 adv Haeres. Cap 3 et Theod lib II.
46 : de Script. Eccles., in Joan.
47 : Haeres. 28 § 2
Commentaire/Analyse :
Ce nouveau chapitre de la patrologie de Migne est consacré à Cérinthe. C’est un hérétique des premiers temps de l’Église, qui est finalement très peu connu, en dehors des cercles de spécialistes de la théologie ou de l’histoire de l’Église. Et pourtant, quelle personne importante !!!! Grâce à un passage rapporté par Jérôme, nous apprenons, que Saint Jean écrivit son Évangile pour réfuter Cérinthe. Imagine-t-on la Bible ou le Christianisme sans l’Évangile selon Saint Jean ??? On a presque envie de remercier Cérinthe d’avoir suscité une telle réaction chez Jean…
Ceci nous montre à quel point la lecture des Pères est enrichissante, et pas seulement spirituellement. Elle nous apprend des trésors de détails et de faits qui nous éclairent, bien plus merveilleusement que ne pourrait le faire finalement notre propre imagination. Quelle joie par exemple, de découvrir d’autres paroles, d’autres faits, d’autres gestes du Christ ou des apôtres par les Pères. Ainsi, cette anecdote de Saint Jean qui quitte les bains d’Éphèse parce que Cérinthe s’y trouve. Quelle gifle envoyée à tous les apôtres de la tolérance et de la bien-pensance !!! on ne côtoie pas les hérétiques. On les combat par la joute spirituelle et intellectuelle. On défend le troupeau. Tel l’apôtre Jacques qui participe également par des lettres (que nous n’avons pas, malheureusement).
Dressons rapidement un portrait de Cérinthe, via les éléments patristiques agrégés ici : il s’appelle peut-être aussi Mérinthe (Augustin penche pour cette possibilité) et c’est clairement un homme qui n’arrive pas à digérer le judaïsme et la loi mosaïque. Ce qui est fascinant, est qu’il s’agit d’une sorte d’anti-marcion, ou un marcion juif , si l’on veut. En effet, là où Marcion rejette tout du judaïsme et ne garde que Paul et l’évangile de Luc, en sélectionnant les passages les moins « juifs », Cérinthe, de son côté fait l’inverse. Il garde la loi, et donc rejette Paul. Il garde Matthieu et rejette le reste. Comme Marcion, il trie les Écritures pour ne garder que ce qui appuie sa théologie. Les Pères ne nous renseignent pas pour savoir s’il était juif, ce qui est étonnant. Cela semble néanmoins probable. Seul un juif, ou un converti pourrait à se point défendre la loi mosaïque comme élément de salut. Je laisse de côté le bla bla bla gnostique de sa théologie peu passionnante. On notera des tendances millénaristes de Cérinthe, référencé comme chiliaste par les Pères. Un chiliaste est un croyant en la doctrine suivante : après le jugement universel, des élus vont jouir d’une félicité durant mille ans. Cérinthe a intégré des éléments liés à la résurrection du Christ, non encore advenue pour lui. Un conglomérat d’idées et de thèses assez peu évangéliques au final… Un élément qui semble tout à fait fascinant, est l’affrontement Jean – Cérinthe. Un affrontement tellement particulier, que Cérinthe s’est même attribué l’Évangile de Jean, ce qui a causé son ridicule et peut-être sa perte. La mention néanmoins, de la disparation de son hérésie seulement à l’époque d’Origène prouve quelque chose : les hérésies doivent parfois être combattues pendant des siècles…