Montaigne (commentaire de la pensée 7) : la mort dans la théologie orthodoxe
Texte original de Montaigne
Nos actions sont à apprécier d’après nos intentions.
tiré du projet gutenberg ici : http://www.gutenberg.org/files/48529/48529-h/48529-h.htm
Il est trop tard de ne réparer ses torts qu'à sa mort, et odieux de remettre à ce moment de se venger.—J'ai vu, de mon temps, nombre de gens, auxquels leur conscience reprochant de s'être approprié le bien d'autrui, insérer dans leur testament des dispositions pour que restitution en soit faite après leur mort. Ce n'est pas se conduire honorablement, que d'ajourner ainsi une restitution qui devrait être immédiate et de réparer ses torts dans des conditions où il vous en coûte si peu. Ils auraient dû y ajouter de ce qui leur appartenait en propre; la réparation de leur faute eût été d'autant plus conforme à la justice et d'autant plus méritoire, que les sacrifices qu'ils se seraient ainsi imposés, auraient été plus lourds et plus pénibles; faire pénitence, demande d'aller au delà de la stricte réparation du dommage causé.—Ceux qui attendent d'être passés de vie à trépas pour, dans leurs dernières volontés, manifester vis-à-vis du prochain les mauvais sentiments qu'ils lui portent et qu'ils n'ont osé lui déclarer de leur vivant, font encore pis. Ils montrent qu'ils ont peu de souci de leur honneur, ne regardant pas à soulever contre leur mémoire l'irritation de ceux qu'ils offensent; ils font encore moins preuve de conscience, ne respectant pas la mort elle-même, en laissant leur malignité leur survivre et se prolonger au delà d'eux-mêmes; tels des juges prévaricateurs qui remettent à juger, alors qu'ils n'auront plus la cause en main. Autant qu'il sera en mon pouvoir, j'espère me garder de rien dire après ma mort, que je n'aie déjà dit ouvertement pendant ma vie.
—
Commentaire/Analyse
La mort est une donnée fondamentale de la théologie chrétienne. Un grand moraliste comme Montaigne ne pouvait pas ne pas consacrer une pensée à cette triste réalité humaine. Qu’est-ce que la mort ? Souvent, la mort est vue comme une punition ; Dieu, pour punir l’être humain rebelle, tel Jupiter châtiant Prométhée, le rend mortel. Ajoutez à cela le verset de saint Paul dans son épître aux Romains : le salaire du péché c’est la mort. τα γαρ οψωνια της αμαρτιας θανατος (Rm 6:23). Comment lire cette phrase de l’Apôtre ? Tu pèches ? Tu meurs !
Pour répondre, nous devrons alors nous pencher sur une autre réalité si proche de la mort : le péché. Et c’est là que le Christianisme est le moins compris, le plus travesti, trahi et parodié. Le Christianisme n’est pas une morale. C’est une éthique radicale de vie. Le péché n’est pas relatif à une faute morale, c’est une déconnexion du but véritable des choses, et l’utilisation d’une force vitale disponible dans un but qui n’est pas celui voulu originellement par Dieu. Dire du mal par exemple est un péché, car Dieu ne nous a pas donné l’aptitude de parler pour dire du mal. Il nous a donné la parole pour décrire Sa gloire, pour aimer. Ainsi, pêcher est se déconnecter de Dieu et faire quelque chose qui émane d’une volonté propre. Si je me déconnecte de Dieu qui est La source de vie, l’unique source de vie éternelle, que se produit-il ? Mécaniquement, je meurs. Si je débranche une lampe électrique de sa source d’énergie, disons la prise à laquelle elle est reliée, est-ce une punition de l’électricité ? J’avais disponible, en profusion une source de vie, et j’ai choisi de m’en détourner. Ce remplacement de source de vie indique que je prends un autre Dieu que Dieu. Et ce nouveau Dieu, c’est moi. La racine profonde de toute idolâtrie est en fait l’auto-idolâtrie.
Mais la mort est une chance. Pourquoi ? Parce que la mort empêche la séparation d’être éternelle. Cette séparation est déjà suffisamment tragique comme cela, pour ne pas y rajouter une notion d’éternité. La mort vient donc empêcher que cette séparation soit éternelle. En cela elle est, malgré toute la souffrance humaine qu’elle engendre, considérée comme une grâce que Dieu fait à l’homme. Il aurait ainsi pu dire : si tu te coupes de moi, je fais en sorte que tu ne puisses pas pour toujours. Je vais mettre en place un mécanisme pour que tu puisses dans ta vie, choisir de te relier à nouveau à moi. Mais comme je t’ai créé libre, et que je respecte ta liberté, je te laisse le choix de venir ou non à moi. Ainsi tu pourras à tout moment exercer ton libre-arbitre et choisir d’inscrire tes pensées, tes actes dans ce que j’ai voulu pour le monde, ou continuer ton chemin funeste, qui te mènes à la perdition. Tout le psaume un est à relire sous ce prisme.