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(1) Après avoir démontré que Dieu est, nous avons à nous demander ce que Dieu est. Nous disons que c'est un être dont on peut tout affirmer, c'est-à-dire un nombre infini d'attributs[1], dont chacun dans son espèce est infiniment parfait.

1. La raison en est que, le rien ne pouvant avoir aucune propriété, le tout doit avoir toutes les propriétés ; et comme le rien n'a pas d'attributs, parce qu’il n'est rien, le quelque chose a des propriétés, parce qu'il est quelque chose ; et, en conséquence, plus un être est quelque chose, plus il doit avoir de propriétés. Par conséquent, Dieu, qui est le plus parfait, l’infini, le Tout, doit donc avoir d’infinies, de parfaites propriétés, et même toutes les propriétés.


Commentaire/Analyse

Spinoza utilise un raisonnement logique pour énoncer quelque chose de problématique. Ce problème se retrouve d’ailleurs dans sa démonstration logique. Qu’est-ce qui est problématique ? Il dit : Dieu est un être dont on peut tout affirmer. Ceci est l’énoncé problématique. On pourrait déjà utiliser un raisonnement “spinoziste” pour l’invalider. Si on peut tout affirmer sur Dieu, on peut également affirmer qu’il a pour attribut d’être incompréhensible. Sans cet attribut, Dieu est pensable, compréhensible, et donc l’humain est l’être qui peut penser Dieu. Or, s’il est incompréhensible, il y a des choses qui nous échappent, sinon cet attribut est sans effet. Et si des choses nous échappent, l’énoncé de Spinoza s’auto-invalide.

Qu’est-ce qui est problématique dans son raisonnement logique en support (note 1) : il se base sur le néant pour asseoir son raisonnement. Or, le néant, est un objet problématique par essence : si on caractérise le néant, alors ce n’est plus le néant. On ne peut pas penser le néant, car dire du néant que c’est un concept, c’est déjà en faire autre chose que du néant. Spinoza utilise le néant comme opposé au tout. Autre problème : nous ne pouvons pas penser l’infini. Le tout est impensable pour un esprit humain. On manipule donc ici deux choses qui finalement nous échappent, qui ne sont pas à notre portée : le néant et le tout. La base sur laquelle est assise la réflexion de Spinoza pour affirmer que Dieu est celui qui possède tous les attributs est donc non recevable.

Il a néanmoins comme toujours, une bonne intuition (qu’il n’utilise malheureusement pas correctement) : Dieu est celui qui a tous les attributs, chacun étant infiniment parfait. Sur cette base, Spinoza aurait dû voir que son raisonnement avait une faille. En effet, l’on peut dire, de façon très théorique de Dieu, qu’Il regroupe toutes les perfections en lui. Ceci, par rapport à la distance entre Lui et nous, nous empêche d’en dire quoi que ce soit. Ce regroupement de toutes les perfections doit être accompagné de précautions théoriques pour rappeler combien l’apophatique (ce que je ne peux pas dire) est plus important que le cataphatique (ce que je peux dire).