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(3) Pour la première proposition, à savoir qu'il n'y a pas de substance finie (et que toute substance est infiniment parfaite en son genre), si quelqu'un voulait soutenir le contraire, nous lui demanderions : Cette substance est-elle limitée par elle-même, a-t-elle voulu elle-même être limitée, et non illimitée ? Ou bien est-elle limitée par sa cause, laquelle cause ou n'aurait pas voulu, ou n'aurait pas pu lui donner plus qu'elle n'a fait ?

(4) Le premier n'est pas vrai, car il est impossible qu'une substance ait voulu se limiter elle-même, et surtout une substance telle que nous avons dite, c'est-à-dire qui existerait par elle-même. Donc elle doit avoir été limitée par sa cause, qui est Dieu.

(5) Or, si c'est par sa cause, c'est donc que cette cause ou n'a pas pu, ou n'a pas voulu donner davantage ; mais si elle ne l’a pas pu, cela dépose contre sa puissance ; si elle n’a pas voulu, le pouvant, cela semble indiquer de la malveillance ; ce qui est impossible en Dieu, qui est toute bonté et toute plénitude[3].

[3] Dire que la chose est telle (c'est-à-dire finie), par la nature même, c'est ne rien dire, car une chose ne peut avoir de nature avant d'exister. Mais, direz-vous, on peut bien voir ce qui appartient à la nature d'une chose : Oui, quant à ce qui concerne l'existence, mais non quant à ce qui concerne l'essence. Et ici il y a une différence entre créer et engendrer. Créer, c'est poser une chose à la fois par l’existence et par l’essence ; engendrer c'est seulement faire qu'une chose naisse, quant à l'existence ; c'est pourquoi aujourd'hui, dans la nature, il n y a que génération, et non création. Si Dieu crée, il crée la nature de la chose avec la chose même. Il serait donc un Dieu jaloux, si, ayant la puissance, mais non la volonté, il eût créé la chose de telle sorte qu'elle ne fût pas en harmonie avec sa cause créatrice, ni en essence, ni en existence. Au reste pour ce que nous appelons ici créer, on ne peut pas dire proprement qu'un tel acte ait jamais eu lieu, et nous ne nous servons ici de cette distinction que pour montrer ce qu’on en peut dire.



Commentaire/Analyse

ces trois points et cette note reprennent quasiment à l’identique les idées du point 2 et de la note 2. Nous allons donc développer une autre faille importante du raisonnement de Spinoza selon la théologie orthodoxe : la liberté et la jalousie divine. Spinoza ne se demande pas en quoi être limité par sa cause peut être bon. C’est là une absence majeure de son raisonnement qui est le suivant : puisque Dieu est bon il ne peut pas m’avoir créé fini, donc je suis infini. Or, la question à se poser était : puisque Dieu est bon et qu’il m’a créé fini, que voit-Il de bon là-dedans ? Ce qui peut sembler au premier abord comme de la malveillance, en quoi est-ce de l’amour ? En ne se posant pas ces questions centrales, on voit que Spinoza a rejeté tragiquement son héritage juif, car ce que répond la théologie orthodoxe est absolument identique à ce qu’il a du étudier dans la yeshiva de son enfance, où il était d’ailleurs si brillant. Et son oubli, c’est la liberté. Dieu a créé l’homme fini et libre et lui a demandé d’exercer cette liberté. Il attend ce que Spinoza espère, mais Il l’attend dans un acte libre, gratuit et réfléchi de l’homme. Dieu respecte tellement la liberté humaine, qu’il le laisse libre de se damner. L’homme de Spinoza n’est pas libre dans sa relation à Dieu : il reçoit tout. Pour l’orthodoxie, Dieu a effectivement tout donné à l’homme, mais aussi la capacité de réfléchir et de choisir. Nous avons une vie pour réfléchir et pour choisir. Dieu a néanmoins fait beaucoup pour que ce choix s’oriente correctement. Et c’est comme cela qu’il faudra comprendre la jalousie divine. De la même façon que des parents responsables respecteront la liberté de leur enfant, si celui-ci s’engage dans une voie dangereuse, ils feront tout jalousement pour le remettre dans le droit chemin. En fait, il n’y a de liberté totale que dans l’union à Dieu.