Spinoza : court traité (chapitre 2 point 11) : le temps et l'infini
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Commentaire/Analyse
Dieu, nous dit Spinoza, a déjà tout créé, et rien de nouveau n’adviendra. Le problème ici est par rapport à la notion de temps. Dans l’éternité divine, tout ce qui est plus ou moins temporel, est inapplicable. Dans l’éternité, tout être est déjà né, a vécu et est déjà mort. Si Spinoza se place sur le plan éternel, hors du temps, il a raison. Mais si, ce qui est le plus probable, il parle depuis le monde temporel fini, il a tort. Pour la théologie orthodoxe, il y a des choses qui ne sont pas encore advenues et qui sont pourtant prévues. Dans une vision étriquée du prophétisme, c’est cela que réalise le prophète : il parle pour apporter une notion éternelle dans le non éternel. Le prophète est le vecteur d’une chose ineffable quand on y pense : il permet à la parole divine éternelle d’être entendue et reçue dans le monde non éternel. Ainsi, lorsque Spinoza dit « ce qui n’est pas encore ne peut jamais être » il joue avec le feu. Tout ce qui est n’a pas été de toute éternité. Tout vient en son temps, de par l’ineffable volonté divine. On peut tout voir comme le résultat d’un processus antérieur, mais en ce cas, tout advient de façon déterministe, comme le résultat d’un processus. Mais cela revient au même : le processus qui fait tout advenir a été voulu par Dieu. La science actuelle, et ses observations permettent d’invalider le quatrième point de Spinoza. La matière n’a pas toujours été, mais est le résultat d’un processus. Ainsi les atomes qui nous constituent, n’étaient pas encore créés au moment de la singularité qu’on appelle big bang. Dans le monde créé, Spinoza a tort. Il a fallu des milliards d’années pour que la matière disponible selon les éléments du tableau de Mendeleiev advienne. En tant que Juif, Spinoza a oublié quelque chose de central dans la vision de l’univers comme création : il a un but, il va quelque part. Ainsi, la volonté divine est simple au sens philosophique (dans le sens qu’elle n’est pas composée, ou influencée) mais infiniment complexe à cerner. Mais l’être du monde est le reflet de cette volonté divine, et le monde advient en permanence : Dieu donne l’être à ce qu’Il veut en permanence, et pas uniquement dans l’acte primordial de la création. Les Pères ne disent-ils pas que le Christ baptisé dans le Jourdain recrée le monde ? Ainsi la compréhension théologique de ce qu’exprime la liturgie vient en contradiction aussi sur ce point avec Spinoza : tout ce qui n’est pas encore ne peut jamais être. Dieu donne l’être, sans être soumis à rien, sinon Sa décision souveraine initiale de respecter la liberté humaine.