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(12) De tout cela il suit que l'on peut affirmer de la nature tout dans tout, en d'autres termes que la nature est composée d'attributs infinis, dont chacun est infiniment parfait en son genre : ce qui répond de tout point à la définition de Dieu.

(13) A ce que nous venons de dire, à savoir que rien n'existe dans l'entendement infini de Dieu qui ne soit formellement dans la nature, voici ce que quelques-uns essaient d'opposer : Si Dieu a tout créé, il ne pourrait plus rien créer ; mais que Dieu ne puisse plus rien créer, est contraire à l'idée de sa toute-puissance. Donc, –

(14) Nous accordons d'une part qu'en effet Dieu ne peut plus rien créer ; et de l'autre que si Dieu ne pouvait pas créer tout ce qui est susceptible d'être créé, cela contredirait sa toute-puissance. Mais nous n'accordons pas qu'il soit contraire à sa toute-puissance de ne pouvoir créer ce qui est contradictoire ; comme si l’on disait qu'il a tout créé, et qu'il pourrait encore créer quelque chose. Certainement, c'est une plus grande perfection en Dieu d'avoir créé tout ce qui est dans son intellect infini, que de ne l’avoir pas créé, ou de ne pouvoir le créer jamais.

(15) Pourquoi d'ailleurs tant insister ? Ne pourrait-on pas argumenter de même pour l'omniscience de Dieu, en disant : Si Dieu sait tout, il ne peut donc plus rien savoir ; mais que Dieu ne puisse pas savoir davantage, cela est contraire à la perfection divine. Donc, si Dieu sait tout dans son entendement infini, et si, en raison de sa perfection infinie, il ne peut plus rien savoir au delà, pourquoi ne pourrions-nous pas dire de même que tout ce qu'il a dans l'entendement, il l’a produit et fait, de telle sorte que cela existe ou existera formellement dans la nature ?

(16) Puisque donc nous savons que tout est égal dans l'entendement divin, et qu'il n'y a pas de motif pour qu'il ait créé une chose plutôt qu'une autre, ni même pour qu’il ait tout créé à la fois dans un seul moment du temps, voyons si nous ne pourrions pas nous servir à notre tour contre nos adversaires des armes dont ils usent contre nous, en argumentant de la manière suivante : Si Dieu ne peut jamais créer, sans qu’il lui reste encore plus à créer, il ne peut jamais créer en fait ce qu'il peut créer. Mais qu'il ne puisse pas créer ce qu'il peut créer, est contradictoire. Donc, –



Commentaire/Analyse

Spinoza est cohérent dans son système. On peut lui reconnaître cela. Le point 12 énonce clairement ce qui constitue le panthéisme. Dans les trois monothéismes, le christianisme, et je parle ici pour son orthodoxie, se différencie quelque peu dans ce qui la sépare du spinozisme. Chez Spinoza la nature est Dieu. Dans le monothéisme, Dieu est le tout autre absolument transcendant, et la nature est du domaine du créé. Mais pour l’orthodoxie, bien que ce tout autre ne soit absolument pas remis en cause, nous avons l’incarnation, ce qui est la rencontre ineffable du crée et de l’incréé. Cette barrière infranchissable du tout autre n’est plus. Le judaïsme et l’islam postulent bien évidemment une relation, inutile de le nier. Ce que postule l’orthodoxie c’est l’union mystique entre le crée et l’incréé. Et ceci n’est pas un privilège du Christ. Son incarnation a rendu possible cette union mystique que l’orthodoxie appelle déification ou divinisation. C’est-à-dire que l’homme devient Dieu. Nous touchons ici à quelque chose de très subtil. Il ne s’agit de devenir Dieu à la place de Dieu, ce qui serait parfaitement absurde. Il s’agit de participer à la nature divine. Devenir Dieu par adoption, par grâce. Ainsi, cette erreur de Spinoza, touche de façon incomplète et erronée à quelque chose de profond : le monde n’est pas divin, mais il peut se réunir au divin et participer de la glorieuse et grandiose vie divine. Cette coupure n’est pas irrémédiable. Je laisse de côté l’analyse des points suivants exposés dans le traité de Spinoza, car ce sont des développements logiques basés sur les postulats antérieurs dont j’ai déjà parlé. Je n’ai pas à commenter le génie logique de Spinoza, chacun peut le constater aisément.