Spinoza : court traité (chapitre 3) : Dieu cause universelle
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(1) Commençons à nous occuper de ces attributs de Dieu que nous avons appelés propres , et d'abord de Dieu, considéré comme cause de toutes choses. Nous avons déjà dit qu'une substance ne peut en produire une autre, et que Dieu est l'être dont on peut affirmer tous les attributs ; d'où il suit que toutes choses ne peuvent ni exister ni être conçues hors de Dieu ; c'est pourquoi nous disons que Dieu est cause de tout.
(2) Mais, comme on a l'habitude de diviser la cause efficiente en huit parties, voyons maintenant de combien de manières Dieu est cause.
1° Il est cause émanative ou opérante, et, en tant que l'action a lieu, cause efficiente ou active, ce qui est une seule et même chose, ces deux attributs rentrant l'un dans l'autre.
2° Il est cause immanente, non transitive, puisqu'il opère tout en soi, et rien en dehors, rien n'étant en dehors de lui.
3° Dieu est une cause libre, non naturelle, comme nous le montrerons lorsque nous traiterons de la question de savoir si Dieu peut omettre de faire ce qu'il fait ; et nous expliquerons à ce sujet en quoi consiste la vraie liberté.
4° Dieu est cause par soi, et non pas contingente, ce qui deviendra plus clair quand nous traiterons de la prédestination.
5° Dieu est cause principale de ses oeuvres, de celles qu’il a créées immédiatement, par exemple du mouvement dans la matière : auquel cas les causes secondes ne peuvent avoir aucune action, puisqu'elles ne se manifestent que dans les choses particulières, par exemple, lorsqu'un vent violent vient à dessécher la mer, et ainsi de toutes les choses particulières. Il ne peut pas y avoir eu une cause secondaire déterminante parce qu'il n'y a rien en dehors de lui qui puisse le contraindre à l'action. La cause initiale, ici, c'est sa perfection, par laquelle il est cause de lui-même et par conséquent de toutes choses.
6° Dieu est encore la seule cause première et initiale, comme il résulte de la précédente démonstration.
7° Dieu est aussi cause générale, mais en tant seulement qu'il produit une infinité d’œuvres variées ; en un autre sens, il ne pourrait être ainsi désigné, car il n'a besoin de rien pour produire des effets. [1]
8° Dieu est cause prochaine des choses infinies et immuables, que nous disons immédiatement créées par lui ; mais il est aussi cause dernière, et cela par rapport à toutes les choses particulières.
[1] Nous les appelons propres, parce que ce ne sont que des adjectifs qui ne peuvent être conçus sans leur substantif ; c'est-à-dire que Dieu, sans eux, ne pourrait pas être Dieu ; mais cependant il n'est pas Dieu par elles : car elles ne signifient rien de substantiel, c'est-à-dire ce par quoi seulement Dieu existe.
Commentaire/Analyse
En finissant ce chapitre de Spinoza on pourra considérer que Dieu est le maître d’un univers proche d’un théâtre de marionnettes. Il faut bien se focaliser sur le terme « cause » avant de se méprendre. Il faut ici voir le terme « cause » comme synonyme de « début », « origine » pour que cela soit totalement acceptable du point de vue théologique. Une des choses les plus difficiles à cerner est cette problématique de la liberté du monde en regard de la toute- puissance de Dieu. En quoi Dieu est-il tout puissant et bon si le monde est ce qu’il est ? C’est une question classique qui fait que l’on veut renoncer à voir un Dieu qui soit en même temps et tout-puissant et bon. Ou bien il est bon mais pas tout-puissant, ou bien tout-puissant mais pas bon.
Spinoza ne tombe pas dans cet écueil à la fois légitime mais tout de même un peu adolescent. Dieu est cause des choses. Disons qu’il est le metteur en scène qui positionne le décor. Il imagine les scènes. Certains diront que c’est sadique. Mais souvenons de ce proverbe plein de bon sens : “il n’y a pas d’amour. Il n’y a que des preuves d’amour ». Ainsi Dieu va nous permettre d’expérimenter, de témoigner, de réaliser des moments d’amour. Et plus la situation est périlleuse, plus elle est dangereuse, plus elle est extrême, plus l’amour est grand. Le verbe témoigner nous renvoie ici aux tréfonds de l’Eglise. Martyr signifie témoin. Ce n’est pas seulement celui qui souffre et perd sa vie. C’est celui qui souffre et perd sa vie pour rendre un témoignage de sa relation au divin et à autrui. Donc Dieu est cause des prémisses. Dieu est cause des situations à l’origine. De la même façon qu’il serait stupide d’incriminer le fabricant d’un couteau ayant servi à un meurtre, la « responsabilité » de Dieu en tant que cause s’arrête au moment où la scène de témoignage débute. La main sert-elle à frapper ou à caresser ? La bouche sert-elle à embrasser ou à blesser aux travers de paroles mauvaises ? L’autorité sert-elle à entraîner ou à dominer ?
Dieu donne la main, la bouche et l’autorité. Mais ensuite, il laisse la créature libre de les utiliser comme bon leur semble. C’est le prix de la liberté. Dieu est bon et tout puissant en même temps de par le fait qu’il a créé une créature libre. Il a renoncé Lui-même à l’exercice de sa toute-puissance de par la prédominance de sa bonté. Ainsi, comme le dit Spinoza, Dieu est cause de bien des façons, mais la réalisation des choses appartient à l’homme : finir le monde en participant au plan divin et en respectant ses lois et ses objectifs, OU ne rien témoigner de la finalité de ce monde et vivre une vie où le monde entier se réduit à soi-même. On peut blâmer Dieu pour l’état du monde si l’on est dans une réflexion inaboutie des choses. On peut surtout blâmer l’homme. Est-ce la faute de Dieu si nous finançons des programmes de recherche d’eau sur Mars alors que tout le monde sur terre n’a pas accès à de l’eau potable ? de quoi témoigne notre monde dans ceci ?