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De la providence de Dieu

(1) Le second attribut de Dieu, parmi ceux que nous appelons propres, est la providence, qui pour nous n'est autre chose que cet effort, par lequel toute la nature et toutes les choses particulières tendent à la conservation de l'être. Car il est évident que nulle chose ne tend par sa nature à sa propre destruction ; mais au contraire toutes choses ont en elles une tendance à se conserver et même à tendre vers le mieux.

(2) Conformément à cette définition, nous pouvons distinguer une providence générale et une providence particulière. La providence générale est celle par laquelle chaque chose est produite et conservée comme partie du tout, et la providence particulière est cet effort de chaque chose à se conserver elle-même, non comme partie du tout, mais en tant qu’elle peut être considérée elle-même comme un tout. Ce qui s'éclaircira par l'exemple suivant : l'acte par lequel il est pourvu à l'intérêt de tous les membres du corps humain dans son ensemble, est une sorte de providence générale ; l'effort, au contraire, par lequel chaque membre en particulier, considéré comme tout et non plus comme partie du corps, tend à se conserver et à se maintenir en bon état, est la providence particulière.


Commentaire/Analyse





La vision spinozienne de la providence est assez déroutante, lorsque l’on connaît la version chrétienne. Pour l’Eglise, la providence divine est une sorte de guidance divine invisible qui a une action de protection. Elle est donc extérieure à la personne, divine et conditionnée au plan divin. Spinoza en a une vision finalement intéressante et complémentaire, en rien problématique du point de vue de la théologie orthodoxe : elle est une sorte d’instinct placé par Dieu en vue de la conservation de la personne. Il fait une différence entre les providences générales et particulières dans leurs domaines d’action, mais sans en changer le caractère corporel. Pour Spinoza, Dieu agit via sa providence dans les corps.

La vision chrétienne est plus large et plus abstraite. La providence s’exerce également dans les domaines comme les ensembles de personnes : armée, nation, civilisation. Dans la vision chrétienne, c’est la providence qui guide les ensemble. Mais contrairement à ce que dit Spinoza, elle ne les guide pas systématiquement dans leur autoconservation. La providence divine n’a pas choisi les militaires égyptiens lorsqu’ils ont poursuivi les hébreux traversant la mer rouge.



En fait, la providence s’auto-limite en fonction du rapport du groupe à Dieu. Il y a les exemples fameux et nombreux de militaires dans des conflits qui se sont mis sous la protection divine par divers moyens (symboles sur les étendards, psaumes récités avant les assauts) et qui ont traversés ces conflits meurtriers sans aucune perte. Mais les nations par exemple naissent, grandissent et périssent, tout comme les civilisations. Et comme toute vie provient de Dieu, un groupe national ou civilisationnel qui ne serait pas relié à Dieu serait condamné à disparaître, malgré toute sa soif de vie. C’est donc sur ce point où nous nous distancerons de Spinoza pour aller sur un terrain davantage politique. Les deux ensembles immortels sont l’Israël selon la chair, rendu éternel par son alliance mosaïque du Sinaï, et l’Eglise, rendue éternelle par la quatrième et dernière alliance (les trois précédentes étant celles de Noé dans l’arc en ciel, Abraham dans la circoncision et Moïse dans la Torah). Ces deux ensembles sont reliés à Dieu et ne peuvent donc disparaître.

Mais les civilisations sont mortelles comme disait le poète. Que l’on songe un instant aux civilisations qu’ont rencontré les hébreux tout au long de l’histoire. Que reste-t-il des pharaons d’Egypte ? De Babylone ? De la Perse ? Des empires grecs ? de l’empire romain ? Et plus récemment pour l’Eglise : que reste-t-il des ottomans, ou encore du communisme. C’est ainsi, qu’il faut bien évidemment considérer la parenthèse libérale, démocratique et sous domination américaine, comme quelque chose non pas d’éternel, mais bien de transitoire. Lorsque l’on est à l’intérieur d’un bloc comme celui-là, il peut nous sembler fort et durable. Mais il suffit de se souvenir que sa survie dépend d’une union sérieuse avec Dieu pour savoir que tout est transitoire. Une vision théologique de ce genre ne peut que rendre inquiet sur le devenir de la France.