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De l'opinion, de la foi et de la connaissance (suite)

(1) Nous traiterons maintenant des effets des différentes espèces de connaissances dont nous avons parlé dans notre précédent chapitre, et, pour introduction, nous rappellerons encore une fois ce que c'est que l'opinion, la foi vraie et la vraie science.

(2) Nous appelons opinion le premier mode de connaissance, parce qu'il est sujet à l'erreur et qu'il ne se rencontre jamais dans un objet dont nous sommes certains, mais seulement dans ceux que nous connaissons par conjecture et par la parole d'autrui.

Nous appelons le second la foi vraie, parce que les choses aperçues seulement par la raison ne sont pas vues en elles-mêmes, et qu'il ne se produit dans notre esprit qu'une persuasion que les choses sont ainsi et ne sont pas autrement.

Enfin nous appelons claire connaissance celle que nous obtenons, non par une conviction fondée sur le raisonnement, mais par le sentiment et la jouissance de la chose elle-même.

(3) Après ces préliminaires, venons aux effets de ces notions.

Nous dirons donc que de la première naissent toutes les passions contraires à la droite raison ; de la seconde, toutes les passions bonnes ; de la troisième, le vrai et pur amour, avec toutes ses ramifications.

(4) De telle sorte que la première cause de toutes les passions est dans la connaissance, car nous jugeons impossible que personne, sans avoir connu ou conçu quelque objet par l'un des modes précédents, puisse être touché d'amour, ou de désir, ou de quelque autre mode de volition.





Commentaire/Analyse




Souvent, par le fait d’une éducation chrétienne partielle ou déficiente, on imagine que le concept de passion, est un concept exclusivement négatif. Mais il n’en est rien en terme théologique. Il se peut que la connotation littéraire liée aux œuvres romantiques ait conduit à confondre la passion amoureuse de la littérature, qui décrit alors un amour destructeur, reprenant souvent la métaphore du feu qui consume tout, avec la notion de passion au sens théologique.

Spinoza, qui vécut avant que le romantisme n’émerge comme courant artistique n’est donc pas pollué par cette fausse approche. Il sait parfaitement, et là-dessus le chrétien devra le suivre, qu’il n’y a pas que des passions mauvaises. Les passions sont, et c’est tout. Et ensuite, elles sont bonnes ou mauvaises. Il en est de même du désir. Le désir est. Ce n’est qu’ensuite qu’il est bon ou mauvais. L’homme est une créature de désirs, de passions. Spinoza, ainsi que toute la pensée patristique et philocalique est persuadé que l’homme est un être de désir et de passion, mais que ces désirs et ces passions ne trouvent pas forcément leur source au même endroit, et c’est ce qui les rend bons ou mauvais. On voit ici une finesse de jugement et de connaissance anthropologique qui montre la grande différence (je n’ose même pas préciser la grande, l’écrasante supériorité de l’Orthodoxie et même du Spinozisme) d’avec le bouddhisme.

Cette spiritualité extrême orientale (car appeler ceci religion est bon pour un philologue allemand déchristianisé ou pour un orientaliste séduit par la gnose) a bien compris qu’il y avait un problème avec le désir et que celui-ci venait souvent se présenter de façon opposée à la paix et à la liberté. Mais cette spiritualité n’a pas compris qu’éteindre le désir n’avait pas de sens. Cette attitude est une capitulation grossière et maladroite. Le désir ne doit pas être détruit. Il doit être orienté. L’homme est fait pour désirer. Mais sa raison et sa foi peuvent guider cette faculté d’une grande force vers des natures différentes de désir.

Saint Maxime le confesseur, écrit dans sa troisième centurie sur l’amour, au point 64 : “celui qui désire des choses terrestres désire soit la nourriture, ou des choses qui vont satisfaire son appétit sexuel, ou son besoin de célébrité, ou de richesse, ou des choses de cet ordre. A moins que l’intellect ne trouve quelque chose de plus noble sur lequel il puisse transférer son désir, il ne sera jamais persuadé de mépriser totalement ces choses . La connaissance de Dieu et des choses divines sont incomparablement plus nobles que ces choses terrestres”.

On voit donc, pour ce pilier de la théologie orthodoxe, que le désir n’est pas fait pour être anéanti, mais bien pour être orienté. Saint Maxime est l’un des plus ascétique dans ses conseils et demandes. Et nombreux sont les textes où il demande à supprimer les désirs sensuels. Mais ces textes sont toujours à lire à la lumière de ce qu’il explique de façon plus globale dans cette centurie. Plutôt que ces désirs sensuels, orienter les désirs vers des choses plus élevées.