Le sacrement de l’Assemblée

« lorsque vous vous réunissez en Eglise » (I Cor 11:18)
Or la sainteté de l’Eglise n’est pas la nôtre, c’est celle du Christ qui « a aimé l’Eglise » et qui « s’est livré pour elle afin de la sanctifier… afin qu’elle soit sainte et immaculée » (Eph V :25-27). Et la sainteté des saints n’est que la réalisation épiphanique de la sanctification, de la sainteté que chacun de nous a reçue au baptême ; et nous sommes tous appelés à croître en elle. Mais nous ne pourrions le faire si nous ne la possédions déjà comme don de Dieu, comme Sa présence en nous par le Saint Esprit.

Voilà pourquoi, dans l’ancien temps, tous les chrétiens étaient appelés saints et pourquoi « l’assemblée en Eglise est notre ministère et notre premier devoir. Nous sommes consacrés à l’assemblée et elle nous est propre, tant que nous ne nous en séparons pas nous-mêmes. Dans l’ancien temps, celui qui ne participait pas à l’assemblée eucharistique sans raison valable était excommunié, s’étant lui-même coupé de l’unité organique du Corps du Christ, manifesté par la liturgie. Répétons-le : l’Eucharistie n’est pas « l’un des sacrements », un office parmi d’autres ; elle est la manifestation et l’accomplissement de l’Eglise en puissance, sainteté et plénitude. Et c’est seulement en y prenant part que nous pouvons croître en sainteté et accomplir tout ce qui nous est enjoint… L’Eglise rassemblée dans l’Eucharistie, quand bien même elle serait limitée à « deux ou trois », est la figure et l’actualisation du Corps du Christ. Et la seule raison pour laquelle ceux qui sont assemblés peuvent communier, c’est-à-dire devenir participants du Corps et du Sang du Christ, c’est qu’ils Le manifestent par leur assemblée. Jamais personne n’aurait pu communier, jamais personne n’en aurait été digne ni n’aurait possédé une sainteté « suffisante », si cela n’avait été donné et confié à l’Eglise, à l’assemblée, dans ce mystère de l’unité où, composant le Corps du Christ, nous pouvons impunément appeler Dieu Père et participer, communier à la Vie divine.

L’on comprend dès lors à quel point la pratique actuelle, qui consiste à entrer « individuellement » dans le temple, à n’importe quel moment de la Liturgie, est contraire à la nature de celle-ci. Celui qui tient à conserver ainsi son « individualité » et sa « liberté » n’a pas trouvé le mystère de l’Eglise, il ne participe pas au sacrement de l’assemblée, à ce miracle de la réunification de la nature humaine, pulvérisée et pécheresse, dans l’unité théantropique de Jésus-Christ.



Commentaire/Analyse

Le terme épiphanique mérite plus qu’une définition de dictionnaire. Il s’agit de ce point de vue, d’un mot qui vient du grec ἐπιφαίνω qui illustre bien le génie de cette langue. Car il s’agit en fait de ἐπι et de φαίνω . De la même façon en français, nous avons sur, jouer, et sur+jouer donne surjouer avec son sens propre. ἐπιφαίνω signifie donc, d’après le Bailly, faire paraître, montrer. Mais au sens théologique, c’est surtout le sens de manifestation au-delà de la nature. Le terme seul convoie une bonne partie de la théologie chrétienne : il y a la réalité, dominée par des lois naturelles, ce que la théologie a catégorisée comme loi naturelle. Son origine est divine, comme tout dans l’univers, et est une forme de révélation car elle donne des enseignements lorsqu’on se donne la peine de regarder le monde sous un angle théologique, et elle est une garantie de notre liberté à cause de son caractère prédictif et immuable : le soleil se lèvera demain, comme aujourd’hui, et comme hier. Je base ma vie sur un ensemble de certitudes tirées de la loi naturelle voulue par Dieu. Ça, c’est le φαίνω. Et puis il y a le ἐπι. Nous avons ici la révélation supranaturelle, pour paraphraser le Père Staniloae, c’est-à-dire ce qui est divin mais au-delà de la nature. C’est le moment où Dieu Lui-même, de façon ineffable, choisit de violer ses propres lois naturelles pour réaliser quelque chose de totalement inattendu et inexplicable. C’est le cas des miracles par exemples. Ce qui est très intéressant ici, c’est l’utilisation du terme épiphanique pour la réalisation de sainteté des saints en tant que processus ecclésial.



Ce que veut dire le Père Alexandre est donc la chose suivante : la sainteté des saints est en dehors des règles de la nature. Elle est du domaine de l’invisible, de la spiritualité pure. On notera avec intérêt que le Père Alexandre se réfère à la définition liturgique primitive du saint : celui qui participe à l’assemblée eucharistique. C’est une source sainteté que l’on oublie souvent. L’image d’épinal du saint dans l’inconscient orthodoxe, est celui qui reste en prières devant son icône, et qui arrive à briser sa volonté propre pour ne devenir qu’un humble serviteur du Christ. Ceci n’est pas faux, mais a un caractère individuel qu’il convient de relativiser. C’est là tout l’apport du Père Alexandre dans cet extrait de son livre. Le saint est saint par la sainteté qu’il manifeste mais également par celle qu’il reçoit de l’Eglise, et les deux ne font qu’une. En fait, le saint manifeste la sainteté de l’Eglise. Il y a donc une synergie entre ce qui dépasse le saint et ce qui dépend du saint. Recourons à une métaphore scolaire : un élève aux résultats brillants va devoir la qualité de ses résultats à son propre travail mais aussi à la qualité de ses maîtres, et à l’organisation mise en place dans son école.



Pour finir il sera bon de rappeler ce qu’est la sainteté : concept théologique classique et pourtant pas toujours compris. Comme tout, cela vient de l’hébreu, et ici le terme qadosh : קדוש. Cela signifie « mis à part », « différent ». La première chose à être sainte dans la Bible, c’est le septième jour, le Shabbat. Il s’agit donc d’un jour, à égalité des autres jours, mais qui a tout de même sa différence d’avec les autres. Il est mis à part des autres. Le saint est un homme comme un autre, et pourtant, il est différent des autres : il a réussi à manifester la sainteté qui est là, dans l’Eglise, disponible de façon illimitée, depuis le baptême. Et d’ailleurs, qui reconnaît un saint ? C’est le peuple, c’est-à-dire les autres membres de l’Eglise, qui témoignent de l’excellence de cette sainteté chez cette personne particulière. L’Eglise est quelque chose dont on ne peut parler depuis l’extérieur. La parole y est interne, et communautaire. Et il ne faudrait pas croire que cette pluralité soit une uniformité. Chaque parole est attendue et espérée pour ce qu’elle a d’unique. Le saint a réussi à faire éclater sa parole unique. Le saint révèle l’unicité de la personne.