Le sacrement de l’Assemblée

« lorsque vous vous réunissez en Eglise » (I Cor 11:18)
Enfin, si « l'assemblée en Eglise » est la figure du Corps du Christ, la figure de la Tête y est le prêtre. Il préside, et qu'il en soit le chef fait précisément qu'un « groupe de chrétiens » devient l'assemblée de l’Église avec la plénitude de ses dons. Et si, selon son humanité, le prêtre n'est que l'un de ceux qui sont réunis, peut-être le plus indigne et le plus pécheur d'entre eux, grâce au don du Saint-Esprit, gardé par l’Église depuis la Pentecôte et transmis sans solution de continuité par l'imposition des mains de l'évêque, il manifeste la puissance du sacerdoce du Christ qui s'est consacré lui-même pour nous et qui est le seul Grand Prêtre du Nouveau Testament : « et lui, puisqu'il demeure éternellement, il a un sacerdoce qui ne passe pas » (Heb VII 24). De même que la sainteté de l'assemblée est non pas celle des hommes qui la composent, mais la sanctification du Christ, de même le sacerdoce du prêtre n'est pas le « sien », c'est celui du Christ, conféré à l’Église, parce qu'elle est son Corps. Le Christ n'est pas en dehors de l’Église et il n'a pas « délégué » à personne son pouvoir ni sa puissance, mais il demeure lui-même dans l’Église et, par l'Esprit-Saint, il emplit toute la vie de celle-ci. Le prêtre n'est ni « le représentant » ni le « vicaire » du Christ. Le Seigneur est Lui-même dans le sacrement, de même que l'assemblée est son Corps. Chef de l'assemblée, il manifeste en Lui-même l'unité de l’Église et l'union de tous les membres de celle-ci avec Lui. C'est ainsi que dans cette unité du président et de l'assemblée, l'unité théanthropique de l’Église se révèle, en Christ et avec Lui.

Aussi quand bien même il serait effectué aujourd'hui avant la Liturgie, l'acte de revêtir les habits sacerdotaux est-il lié à l'assemblée, car cet acte est la figure, l'icône de l'union du Christ et de l’Église, de l'union indivisible de personnes multiples qui font un… L'habit blanc (podriznik, sticharion ou aube) est d'abord la tenue baptismale que chacun de nous a reçue. C'est le vêtement de tous les baptisés, celui de l’Église elle-même. En se vêtant, le prêtre manifeste l'unité de l'assemblée, il rassemble tous en lui-même. L'epitrachilion (scapulaire) est la figure de ce que le Seigneur a assumé notre nature pour la sauver et la défier, signe de ce que ce sacerdoce est celui du Christ. De même les surmanches : les mains du prêtre, avec lesquelles il bénit et il officie, ne sont plus les siennes, c'est la droite du Christ… la ceinture est comme toujours un signe d'obéissance, de disponibilité, de sobriété, de service. Ce n'est pas de son propre chef que le prêtre monte jusqu’aux lieux élevés : il est envoyé pour accomplir ce ministère, et il « n'est pas plus grand que son maître », qu'il suit et par la grâce duquel il exerce. Enfin, le phélonion (riza, chasuble) représente la gloire de l’Église comme créature nouvelle ; elle figure la joie, la justice et la beauté de la vie nouvelle, préfiguration du Royaume de Dieu et du Roi qui, pour l'éternité, « est entré dans son règne et s'est revêtu de majesté » (Ps 117/118 1).

Cette vêture s'achève par le lavement des mains du célébrant. L'eucharistie est l'affaire de ceux dont les péchés sont pardonnés et les iniquités, remises, de ceux qui sont réconciliés avec Dieu. Il s'agit du ministère de l'humanité nouvelle, de ceux qui « naguère n'avaient pas obtenus miséricorde et qui maintenant ont obtenu miséricorde » (I Pi II 10). Nous pénétrons dans le temple, nous « nous assemblons en Eglise », nous revêtons les habits de la créature nouvelle : tels sont les premiers actes rituels du « Sacrement des Sacrements », de la très sainte Eucharistie.



Commentaire/Analyse

Voici la dernière partie du premier chapitre, qui était consacrée à l’assemblé au sens théologique. Les résonances en sont multiples : ecclésiologiques, liturgiques, sacramentaires. Cette conclusion vient rééquilibrer un propos antérieur qui aurait pu paraître un peu anticlérical (au sens propre du terme, et non pas en tant que synonyme d’antireligieux). C’eut été étonnant venant d’un prêtre… Mais le Père Alexandre n’a voulu diminuer le prêtre que dans ses fausses représentations, qui sont toujours au détriment de ce qu’est l’assemblée. Le « faux prêtre » empêche de saisir l’assemblée. Il empêche de la voir, de la comprendre, de réaliser sa réalité. Mais le Père Alexandre n’a pas attaqué le prêtre en tant que tel. Et sa conclusion l’illustre parfaitement. Si l’assemblée se réunit en tant que corps du Christ, alors ce corps a une tête, et c’est le prêtre qui officie en cela. Il ajoute avec justesse que cela n’est en rien lié aux mérites personnels de la personne, qui peuvent néanmoins être grands, cela ne pourra pas faire de mal…



Néanmoins il apporte une précision de taille : le prêtre ne remplace pas le Christ. Il ne reçoit pas une délégation en cascade depuis l’évêque. Il préside. Je ne pense pas qu’on puisse trouver meilleur terme que celui-là. Le gros problème avec cette notion de délégation ou de remplacement est qu’elle implique l’absence du Christ. C’est justement parce qu’il est absent, ou ressenti comme tel (car bien évidemment Il est présent) que l’on conclut à la notion délégation/remplacement. Le prêtre préside en présence ABSOLUMENT REELLE du Christ. Sa présence est sacramentaire, mais l’essence même de la liturgie implique de conférer une réalité objective à quelque chose qui transite via le sacrement. Il y a ici une nuance importante à faire entre la théologie sacramentaire issue de la scolastique médiévale et la théologie orthodoxe de l’Eglise indivise : les scolastiques objectivisent le sacrement, tandis que les orthodoxes voient la relation opérée par le sacrement. Pour les scolastiques (et on peut presque dire malheureusement, pour les catholiques romains), le sacrement a une réalité propre, il est un objet. La théologie orthodoxe voit au contraire le sacrement comme un lien vers l’autre réalité. Le Père Alexandre développe ceci abondamment dans la suite de son ouvrage, et nous y reviendrons plus en détail à ce moment-là.



Une petit précision sur le lavage des mains, puisque la description vestimentaire réalisée par le Père Schmemann ne se commente pas… Le lavage des mains est essentiel chez les Juifs dans la pratique alimentaire. On en retrouve une trace dans les Evangiles dans Marc 7, dans le fameux passage sur la cacheroute. Ce passage a toujours été analysé sous l’angle de l’actualité de la Loi mosaïque (de façon très superficielle) et le rapport Loi – Grâce. Or, faire de ce passage une manifestation du passage de la Loi à la Grâce, c’est faire preuve de frivolité théologique. Marc relate un débat sur la cacheroute et sur ce qui est nécessaire à la cacheroute. Les pharisiens indiquent que la cacheroute se déterminent par l’aliment et par une action de l’homme sur lui-même. Jésus répond que l’aliment seul détermine la cacheroute. L’action humaine supplémentaire n’apporte rien et n’est pas nécessaire. Par contre, ce lavage des mains est nécessaire, du point de vue chrétien, dans une optique liturgique, liturgie qui a pour but un repas. C’est un point à noter d’importance. On pourra dire, qu’il y a une intuition pharisienne sur une action supplémentaire nécessaire dans un rapport avec le repas. Mais ceci n’est nécessaire que pour celui qui « prépare » le banquet eucharistique. Elle n’est pas demandée à celui qui va communier. Le symbole est donc efficient si le support est correct du point de vue symbolique, si le sacrificateur symbolique s’astreint à quelque chose de supplémentaire, et si la nature du symbole est parfaite. Le Christ est « casher » du point de vue de la perfection de ce qu’il offre. Marc 7 se lit donc à plusieurs niveaux, et est bien plus riche que l’opposition Loi-Grâce. Les Évangiles demandent à être lus sous un angle liturgique…