Le sacrement du Royaume

« et je vous lègue à vous, comme mon Père me l’a légué, le Royaume, afin que vous mangiez et buviez à ma table, dans mon Royaume… » (Luc XXII :29-30)
Étant Sacrement, au sens le plus fort et global du terme, l’Église se bâtit, se manifeste et s’accomplit par les sacrements ; et certes, au premier chef, par le « sacrement des sacrements », la sainte Eucharistie. S’il y a en effet un sacrement du commencement et de la fin du monde et de son accomplissement comme Royaume de Dieu, il s’effectue par la montée de l’Église au ciel, vers la « patrie espérée », status patriae, la cène messianique du Christ en son Royaume.

Cela signifie que tout cela : et « l’assemblée en Église » et la montée vers le trône de Dieu et la participation à « la cène du Royaume, tout cela est accompli dans l’Esprit Saint et par lui. « Là, où est l’Église, là est l’Esprit Saint et la plénitude de la grâce » (Adv Haer III 24 1). Par ces paroles, Irénée de Lyon a posé l’expérience de l’Église comme le sacrement de l’Esprit Saint. En effet, si là où est l’Église, là est l’Esprit, c’est là qu’a lieu la rénovation de la créature, là que se trouve le principe de la vie autre, éternelle », l’aurore du jour mystérieux et sans déclin du Royaume… Car le Saint Esprit est « l’Esprit de la vérité, le don de l’adoption filiale, le gage de l’héritage futur, les prémices des biens éternels, la puissance qui donne la vie, la source de la sanctification ». Fortifiée par Lui, toute la créature douée de parole et raisonnable sert Dieu « en élevant vers Lui une glorification éternelle » (action de grâce, Liturgie de saint Basile). En d’autres termes, là où est l’Esprit Saint, là est le Royaume de Dieu. Par sa descente « le dernier et le grand jour de la Pentecôte », le Saint Esprit transforme ce dernier jour en le jour premier de la création nouvelle, tandis que l’Église manifeste comme don la présence de ce Jour Premier et Huitième…

Aussi, dans l’Église, tout est-il par le Saint Esprit et dans sa communion. Et cela parce que, grâce à sa descente, l’Église se révèle en tant que transformation de la fin en commencement, de la vieille vie en vie nouvelle :

« Le Saint Esprit donne toute chose,
Il propage les prophéties,
Il constitue les prêtres,
Il rassemble tout le sobor ecclésial... »
(Hymne de la Pentecôte)


Tout ce qu’à l’Église est dans l’Esprit Saint qui nous élève vers le sanctuaire céleste, vers l’autel de Dieu :
« Nous avons vu la vraie lumière,
Nous avons reçu l’Esprit Céleste... »
(Hymne après la communion)


Enfin l’Église entière est tournée vers le Saint Esprit « trésors des biens et donateur de vie », elle aspire à l’acquérir et à communier avec Lui, elle a soif de Lui, qui est plénitude de grâce. De même que, selon saint Séraphin de Sarov, la vie et l’ascèse de tout fidèle consistent à s’approprier le Saint Esprit, la vie de l’Église est faite de ce même effort pour l’obtenir, de ce même appel, de cette même soif, toujours abreuvée et jamais comblée, du Saint Esprit.

« viens vers nous, Esprit Saint,
nous faisant participants de tes saints dons,
et du jour sans déclin,
et de la vie divine,
et de la dispensation très suave... »



Commentaire/Analyse





Le Christianisme néo-protestant, dans son infinie galaxie de fragmentations et d’approches diverses a des congrégations qui se fixent particulièrement sur certains sacrements ou événements. Je ne suis pas un grand spécialiste de ces théologies (je trouve les hérésies des premiers siècles plus substantielles et enrichissantes à étudier) mais il semble évident que le Baptême est un sacrement central pour les baptistes, que la Pentecôte est la fête centrale pour les pentecôtistes, etc. En lisant ici le Père Schmemann, il ne faudrait pas croire qu’il soit tombé dans cette maladie protestante et américaine en choisissant un sacrement parmi d’autres et en en faisant le centre de tout, ayant jeté son dévolu sur l’Eucharistie. Pourquoi ne pas voir le Père Alexandre comme un eucharististe ?

Et bien parce qu’il a parfaitement raison de donner à l’Eucharistie cette centralité. Il ne la sort pas de son imagination, mais est un lecteur pragmatique des Écritures et un liturge conséquent. Le sommet de la vie liturgique, c’est la liturgie eucharistique. Le sommet de la liturgie eucharistique, c’est la communion eucharistique. C’est son but en soi. Venir à une liturgie eucharistique et ne pas communier, c’est un peu aller à un concert de musique en se bouchant les oreilles. Le Baptême est un sésame canonique pour la communion eucharistique : il faut être baptisé pour pouvoir communier. Malgré toute la littérature théologique poétique sur le baptême, ce que le Christ décrit comme étant accès à la vie éternelle, c’est la communion eucharistique. Les disciples ayant vu le Christ ressuscité se réunissent pour réaliser la fraction du pain. De la communion découle toute la structuration canonique, ecclésiale et liturgique de l’Église.

Le Christ Lui-même évoque cela au moyen de la métaphore du banquet messianique dans les Cieux. La liturgie eucharistique est sacrement vis-à-vis de ce banquet, ou plutôt symbole (dont la définition sera enfin donnée au prochain chapitre !). Tout le propos du Père Alexandre est donc celui-ci : faire comprendre la centralité eucharistique de toute la démarche liturgique chrétienne, qui adossée au symbole, permet de comprendre la vision cosmique de l’Église. C’est lorsque l’on a compris cette centralité, que toute l’Orthodoxie prend une dimension très logique au final. Pour ceux qui le savent, rien de neuf sous le soleil, mais pour ceux qui le découvrent, c’est un bouleversement. Bonne digestion donc…