Schmemann : l'Eucharistie sacrement du Royaume (chap 2, comm 12) : la bénédiction du Règne
Le sacrement du Royaume
« et je vous lègue à vous, comme mon Père me l’a légué, le Royaume, afin que vous mangiez et buviez à ma table, dans mon Royaume… » (Luc XXII :29-30)
Voilà pourquoi la liturgie eucharistique s’ouvre par cette confession et cette glorification solennelles du Roi qui vient maintenant, mais qui demeure toujours et qui règne dans les siècles des siècles.
« voici le temps (kairos) d’agir pour le Seigneur… », annonce le diacre au célébrant (avant la bénédiction du Règne). Ce n’est pas seulement un rappel du moment « convenable » pour célébrer le sacrement, c’est aussi l’affirmation et la proclamation de ce que le temps nouveau, celui du Règne et de son accomplissement par l’Église, est maintenant entré dans le temps déchu de « ce monde », afin d’élever au ciel et de transfigurer l’église (c’est-à-dire nous-même) en « ce qu’elle est » : le Corps du Christ et le Temple du Saint-Esprit.
Alors le célébrant proclame « Béni est le Règne du Père et du Fils et du Saint-Esprit ! » l’assemblée répond « Amen ! ». L’on traduit habituellement ce terme par : qu’il en soit ainsi !, alors que son sens et sa résonance sont plus forts. L’Amen signifie non seulement accord, mais réception active : « Oui cela est ainsi et qu’il en soit ainsi ! ». Cette parole conclut et « scelle » chaque prière prononcée par le président de l’assemblée. Elle exprime ainsi la participation responsable et foncière de chaque fidèle et de tous ensemble à l’unique action liturgique de l’église.
« Dites Amen à ce que vous êtes, écrivait saint Augustin, et scellez-le ainsi par votre réponse. Car vous entendez : le Corps du Christ, et vous répondez : Amen. Soyez donc membre du Corps du Christ, réalisé par votre Amen… Opérez sacramentairement ce que vous êtes… » (sermon 272 sur la Pentecôte).
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Commentaire/Analyse
Texte très riche du Père Alexandre qui demande deux commentaires/clarifications. Il donne une définition sur la bénédiction du Règne, qui est la première chose que réalise le prêtre lorsque la divine liturgie débute. Le diacre l’y invite “Bénis, Père”, et le prêtre répond “Béni est le Règne du Père, du Fils et du Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen”. L’étymologie de bénédiction en hébreu donne une racine avec source. Bénir, c’est reconnaître comme source. C’est parce que cette bénédiction du Règne vient en premier que l’on peut dire que nous le (le Règne) reconnaissons comme valeur suprême. Nous lui donnons la priorité. Ainsi, cette simple formule d’introduction comporte une radicalité assourdissante : tout provient du Règne. Tout procède du Règne. Dieu est le seul roi. Les institutions civiles n’ont pas de valeurs. Les diverses organisations sociales, professionnelles, familiales, etc, n’ont pas de valeur non plus.
Ou plutôt elles passent après. Notre vie, dans la divine liturgie, se témoigne comme sujets du Règne de la Trinité dans nos vies.
Le fait que ce soit un règne trinitaire n’est pas anodin. Qui n’a pas entendu un chrétien peu ou pas formé en théologie dire que le fait que Dieu soit une Trinité n’a pas d’importance, pas d’influence sur nos vies ? Or, c’est du Règne de la Trinité dont il s’agit. L’Église est un mode d’être au monde. Qui fait exploser toutes les programmations, toutes les organisations, et qui promeut un mode d’être radicalement alternatif. Nous devons, tous ensemble, au sein de l’ekklesia, être l’image de ce qu’est la Trinité en elle-même. Ainsi, nous devons être le don du Père pour le Fils, la dépendance du Fils pour le Père, etc. Le Père Alexandre parle magnifiquement du temps liturgique qui s’ouvre devant nous. Celui où nous allons laisser tous nos déterminismes et entrer dans l’être ecclésial, celui de l’amour radical et absolu, de l’abandon du petit soi égotique au profit des autres. C’est à dire Corps du Christ, Temple du Saint Esprit.
Petite précision aussi pour Amen. La racine de ce mot hébreu est Emouna, la confiance, qui est souvent improprement traduit par foi. Il n’est pas demandé au chrétien de croire aveuglément en quelque chose d’irrationnel et impossible à vérifier.
Il est par contre demandé d’avoir une confiance absolue en un Dieu qui n’a évidemment pas manqué de nous saisir par nos émotions, mais aussi par notre raison. Dire “Amen”, c’est dire : j’ai confiance. Je place une confiance, totale, au delà de mon propre être, dans la réalisation de mon être ecclésial. Tout ce qui dit le prêtre ou le diacre, en disant amen, je le fais mien. Je n’aurais pas dit mieux moi-même.