Philocalie volume 1

Les Apophtègmes de Saint Antoine le Grand

texte original roumain

omul cu adevărat rațional are o singură grijă : să asculte de Dumnezeul tuturor și să-I placă ; și numai la aceasta își deprinde sufletul său : cum să-I placă lui Dumnezeu, mulțumindu-I pentru o așa de mare purtare de grijă și pentru cîrmuirea tuturor, orice soartă ar avea el în viată. Pentru că e nepotrivit să mulțumim pentru sănătatea trupului doctorilor care ne dau leacuri amare și neplacute, iar lui Dumnezeu să-I mulțumim pentru cele ce ni se par nouă grele și să nu cunoastem că toate ni se întîmplă cum trebuie, spre folosul nostru si după purtarea Lui de grijă. Căci în cunoștința si credința cea către Dumnezeu stau mîntuirea și desăvîrșirea sufletului.

traduction proposée

L’homme doté d’une raison véritable a un seul souci : écouter le Dieu de tous et Lui plaire ; et son âme ne s’habitue qu’à une chose : comment plaire à son Dieu, Le remercier pour se soucier à ce point de nous et nous gouverner, quelle que soit la destinée de chacun dans la vie. Car il est inapproprié que nous remercions pour la santé du corps les docteurs qui nous donnent les remèdes amers et désagréables, tandis que nous remercions Dieu pour les choses qui nous semblent difficiles, et que nous ne savons pas comment doivent se dérouler les choses, pour notre bien et d’après sa façon de se soucier de nous. Car dans la connaissance et la foi en Dieu résident le salut et la perfection de l’âme.


Commentaire/Analyse





Texte très court et très profond. Saint Antoine continue dans la trajectoire de son apophtegme précédent (ou plutôt celui qui a compilé ses pensées les agence de façon cohérente) : la rationalité est liée à une chose unique : la quête de Dieu. Ceci heurte de plein fouet la conscience moderne. L’occidental lambda voit l’homme rationnel comme celui qui sait justement se libérer des fables religieuse. Saint Antoine au contraire voit l’homme rationnel comme celui qui consacre sa vie entière à une seule chose : Dieu. La rationalité d’Antoine n’est pas celle des encyclopédistes du XVIIIème siècle. La rationalité d’Antoine n’est pas expliquée ou démontrée. Elle ne s’adosse pas à une démonstration. Il ne dit pas : ceci est rationnel parce que telle ou telle chose.

Pourquoi ? Parce que le domaine spirituel n’échappe pas à une règle d’airain. Il s’agit d’une expérience. Tant que la personne n’a pas fait cette expérience, il ne peut pas comprendre de quoi il s’agit. Tant que la personne n’a pas fait l’expérience de Dieu, elle ne saisit pas en quoi consiste cette quête sans fin. D’une certaine façon, chercher Dieu, c’est déjà l’avoir trouvé. On ne le cherche pas sans avoir déjà eu une expérience sous une forme ou une autre. Pour certains ce seront des voix. Pour d’autres une expérience liturgique. Pour d’autres encore une intuition. Une rencontre. Un rêve. Peu importe l’allumette du moment que nous avons l’explosion.

Puis Antoine poursuit son propos avec un travers très humain sur la façon dont nous segmentons nos vies, dont nous compartimentons les choses. Son exemple revient à dire que nous remercions les docteurs lorsque nous retrouvons la santé, et que nous remercions Dieu pour d’autres choses. Prenons l’exemple du peintre, du tableau et du pinceau. Antoine serait probablement d’accord pour dire que remercier le docteur revient à féliciter le pinceau de la beauté du tableau. Personne ne pense au pinceau en contemplant le tableau d’un maître en peinture. Mais pourtant, nous remercions le docteur, ce qui dans la démonstration d’Antoine revient à dire que nous considérons que c’est lui qui nous apporte la guérison. Or, si nous sommes véritablement croyants, c’est Dieu et non l’homme qui guérit. Mais pour les nains dans la foi que nous sommes généralement, nous avons besoin que Dieu s’habille au travers d’un médecin pour nous guérir. Si nous étions vraiment en Dieu, alors nous n’aurions rien d’autre qu’un psautier dans notre coin médicaments. L’homme rationnel revient à la cause des choses. L’homme rationnel sait qui guérit.

Il sera bon de noter ici, que le Père Staniloae a traduit cet apophtegme d’Antoine d’une façon ambiguë. En effet le roumain sous-entend une négation dans la phrase qui a pour objet : il ne faut pas remercier les docteurs puis qui parle de Dieu. On peut le comprendre de plusieurs façons :

1) Il ne faut pas remercier le docteur, il ne faut pas remercier Dieu pour les épreuves, on ne sait pas de quelle façon tout arrive pour le mieux.
2) Il ne faut pas remercier le docteur, tandis qu’il faut remercier Dieu, puisque l’on ne sait pas comment tout arrive pour le mieux.

On est tenté par la seconde traduction, car la première paraîtrait quelque peu « anti-chrétienne », bien que le terme soit abusif. Existerait-il un cas où il ne faudrait pas remercier Dieu ? Il peut s’agir dans ce cas de la distinction justement entre rationalité et émotions. Lorsque quelqu’un meurt, notre partie rationnelle, celle qui gouverne chez Antoine le Grand, dit : il est normal de pleurer. Il n’est pas normal de remercier Dieu de cette perte. Notre raison sait que la personne part au meilleur moment, dans les meilleurs conditions sur le plan spirituel (même si les circonstances peuvent être tragiques), mais nos émotions peuvent – je dirais même doivent – dans le même temps exprimer la douleur de la perte de cette relation.
J’ai néanmoins choisi la traduction la plus plausible, celle qui place Dieu dans la position du médecin utilisant les remèdes amers, ce que nous connaissons sous la forme d’épreuves. Dieu est le grand médecin cosmique et ses médicaments pour nos âmes malades sont les épreuves. Nous pouvons néanmoins déjà mener une vie saine, pour éviter de tomber malade et ainsi le plus possible éviter les épreuves : jeûnes, prières, toutes les ascèses chrétiennes « classiques ».
La fin de l’apophtegme est classique : tout doit être abandonné à la certitude de la protection divine. La rationalité selon Saint Antoine le Grand est de considérer que tout est parfaitement rationnel dans un ordre supérieur. Les choses peuvent paraître absurdes, vides de sens, sans relation, sans objet, chaotiques. Elles ont néanmoins une base invisible et ineffable mais dont la certitude remplit la vie d’Antoine : Dieu veille sur nous, et fait que tout se passe pour le mieux. Nous ne savons pas au final ce qui est bien ou mal.