Strack & Billerbeck (troisième commentaire de la préface) : Jacob Neusner et le sermon sur la montagne
Commentaire/Analyse : une fausse lecture juive de Jésus.
Ceci sera mon troisième et dernier commentaire de la préface de Strack & Billerbeck. C’est un point central, car les deux auteurs ont mis une précaution dans leur travail qui démontre une grande finesse théologique. En effet, l’écueil majeur dans les études juives du Christianisme est de regarder les Juifs actuels, comme étant les descendants en droite ligne des Juifs du temps de Jésus. On imagine souvent que les Juifs vivaient comme ceci, et qu’en devenant chrétiens, ils sont devenus comme les chrétiens. Mais il n’en est rien. Les Juifs faisaient des choses en réponse à ce que faisaient les chrétiens, et vice-versa. On ne peut absolument pas prendre les Juifs d’aujourd’hui comme étalon des Juifs du NT, et nous comme étalon des chrétiens. Le cas est encore plus épineux pour les Juifs ayant confessé Jésus comme Messie et comme Dieu. Dans quelle communauté prendre une référence permettant la réflexion ?
Benoit XVI, du temps où il était pape en exercice, a sorti un livre, intitulé en toute simplicité Jésus de Nazareth. Dans celui-ci, il a fait largement appel à des extraits, et donc fait la promotion d’extraits d’un petit livre de Jacob Neusner : a rabbi talks with Jesus (un rabbi parle avec Jésus). Jacob Neusner est un rabbin américain qui a produit un travail de référence sur la littérature rabbinique. Il a produit un travail académique d’une grande ampleur. Dans ce petit livre, très orienté grand public, il s’imagine réaliser une sorte de voyage dans le temps, écouter Jésus lors du Sermon sur la Montagne, et après l’avoir accompagné quelques temps, décidait de ne pas le suivre en argumentant sa décision. Si le livre peut avoir des dehors intéressants et ouvrir des pistes de réflexions pour une approche du type « lecture juive du NT », et c’est surtout cela que recherchait Benoit XVI me semble-t-il, il a un problème majeur. Et la préface de S&B met en garde contre cet écueil majeur : lorsque Neusner refuse de suivre Jésus, il donne des arguments qui sont fondés plus tardivement dans le judaïsme. Il donne un non, à partir de ceux qui ont dit non. On est ici à la limite de la tautologie, de la litote historico-théologique. Il fonde son non sur les rabbins qui ont construits le judaïsme pharisien rabbinique. Or, comme je le disais plus haut, on ne fonde pas une réflexion dans une étude sérieuse sur le judaïsme actuel ni sur le christianisme actuel. Il faut en retrouver les mutations. Neusner fait comme si Jésus n’avait pas existé. De la même façon, dans le christianisme orthodoxe, il n’est plus possible de défendre l’apocatastase. Cette opinion théologique hérétique (qui professe que l’enfer sera vide au jugement dernier) a été condamnée au cinquième concile œcuménique. Cela veut dire qu’un Père d’avant ce concile, défendant cette opinion serait parfaitement orthodoxe. Le problème ne vient qu’après. Ainsi, Neusner, en prenant des critères de rejet de Jésus comme Messie, parmi les critères apparus après le christianisme et la scission d’avec ce qui allait devenir le judaïsme actuel fait une erreur théologique et historique. Benoit XVI a commis pour le moins une imprudence. Strack & Billerbeck nous rappellent dès leur préface la prudence qui doit être la nôtre pour étudier Jésus : il doit être vu comme un rabbin du premier siècle. Il n’était pas soumis aux décisions rabbiniques ultérieures…