Saint Antoine le Grand - Apophtegme 3

texte original roumain

Zis-a avva Antonie: “Părinţii cei de demult, când mergeau în pustie, întâi se vindecau pe ei înşişi, şi, făcându-se doctori aleşi, vindecau şi pe alţii. Iar noi, ieşind din lume, mai înainte de a ne vindeca pe noi înşine, îndată începem a vindeca pe alţii; şi, întorcându-se boala asupra noastră, se fac nouă cele de pe urmă mai amare decât cele dintâi (Lc. 11, 26), şi auzim de la Domnul: « Doctore, vindecă-te mai întâi pe tine însuţi » (Lc. 4, 23)”.

traduction proposée

Avva Antoine a dit : « Les Pères d’il y a longtemps, lorsqu’ils allaient dans le désert, se guérissaient d’abord eux-mêmes, puis se choisissant docteurs, guérissaient aussi les autres. Mais nous, lorsque nous sortons du monde, avant de nous guérir nous-même, nous commençons d’abord par guérir les autres ; et retournant la maladie contre nous, nous nous rendons plus amers que les premiers (Lc 11 :26) et écoutons le Seigneur « Docteur, guéris-toi toi-même d’abord » (Lc 4 :23). »




Commentaire/Analyse

Saint Antoine semble ici réaliser une dichotomie entre son passé et son présent, qui semble davantage favorable à son passé. C’est une constante chez beaucoup de réaliser ce genre de dichotomie. Platon a un passage où il explique que la jeunesse de son époque n’est bonne à rien, insouciante, alors que la jeunesse de sa génération était tout de même plus sérieuse, etc. Chez les rabbins, il y a la même vision générale au niveau des générations de rabbins. Les tannaïms sont vus comme étant bien supérieurs aux amoraïms. Les tannaïm sont les rabbins de la mishna (entre -300 et 200) et les amoraïm sont leurs successeurs disciples et commentateurs, car ce sont les rabbins du talmud (entre 200 et 600). Et chaque grande phase de l’histoire est vue comme étant inférieure à la précédente.

Ainsi, est-ce une constante du spirituel de regarder avec nostalgie dans le passé ? Pour le Christianisme, il y a un point particulier. Nul ne peut, ni ne pourra jamais, surpasser le Christ. Il est le modèle absolu. Donc en ceci, il y a quelque chose dans le passé pour lequel Antoine a raison de hiérarchiser de la sorte. Mais ensuite, doit-on considérer un mouvement linéaire voir Saint Justin Martyr comme irrémédiablement supérieur à Saint Antoine, lui-même supérieur à Saint Grégoire Palamas, lui-même supérieur à Saint Séraphin de Sarov ? Dieu nous préserve de lire aussi sottement ce que dit ici le fondateur du monachisme chrétien. Si on peut le paraphraser il dit la chose suivante : « avant, les thérapeutes de l’Église étaient davantage vigilants sur un point de bon sens. Ils étaient leurs propres cobayes et lorsqu’ils étaient parvenus à se guérir eux-même, ils commençaient ensuite à guérir les autres. Nous devons êtres attentifs aujourd’hui (dit Antoine, donc son aujourd’hui à lui) à ne pas oublier cette phase préliminaire d’auto-guérison. Le Seigneur nous avait d’ailleurs donné cet avertissement éternel dans son évangile : un docteur doit pouvoir se guérir lui-même. »

D’ailleurs, nous autres modernes, dans le monde profane, serions nous vraiment rassurés vis-à-vis d’un nutritionniste obèse, ou d’un dentiste aux dents abîmées ? L’enseignement spirituel le plus puissant de cette sentence est néanmoins cette propriété de la maladie à se retourner contre son thérapeute. En effet, dans le domaine purement médical, un chirurgien opérant une cataracte ne devient jamais lui-même atteint d’une cataracte. Cette notion de maladie se retournant est donc tout à fait déroutante. Mais dans la logique interne au Christianisme, c’est parfaitement logique. Deux postulats pour parvenir à cette conclusion. Premièrement, la maladie a toujours un rapport avec un péché. Combien de fois le Christ a guéri en mettant en garde sur le fait de commettre de nouveau de graves péchés. Deuxièmement, le Christ a pris sur Lui nos péchés. Donc, on peut transmettre un péché. On peut réparer un péché pour quelqu’un d’autre. Cela peut paraître étonnant, voire absurde, mais toute l’économie du salut est basée sur ce postulat. Si le Christ veut payer pour nos péchés, mais que nos péchés ne peuvent Lui être transmis, alors Son sacrifice est inutile. Donc le péché d’untel peut être pris par le Christ. Et Antoine le Grand nous enseigne ici que ceci fonctionne même dans les conséquences du péché, à savoir dans la maladie.

Déjà l’Écriture vétéro-testamentaire nous enseignait à quel point l’impureté était contagieuse, comment elle se transmettait de façon fulgurante. Cette transmission de la coupure avec Dieu s’habille dans la maladie et se transmet à autrui. Le point commun entre le médecin et le Christ est d’ailleurs édifiant : tous deux sont là dans un processus de guérison. Ainsi, le péché se transmet aussi à celui qui veut guérir. Se pourrait-il qu’Antoine veuille nous prévenir que le péché se transmet surtout à ceux qui veulent apporter la guérison ? Ainsi, ils doivent être eux-même en mesure de se guérir. Ou de ressusciter…