L’Orthodoxie

l’Eglise

En tant que Corps du Christ, l’Eglise n’est pas le Christ, le Dieu-Homme, puisqu’elle est son humanité, mais elle est la vie dans et avec le Christ, la vie du Christ en nous : « ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Gal 2 :20). Cependant, le Christ n’est pas qu’une personne divine, en tant que telle, car sa vie propre est indivisible de la Sainte-Trinité : il est « l’un de la Sainte Trinité », sa vie est une et consubstantielle avec le Père et le Saint Esprit. Aussi, comme vie dans le Christ, l’Eglise est-elle vie dans la Trinité. Vivant de la vie en Christ, le Corps du Christ vit par là même de la vie trinitaire et porte le sceau de la Sainte Trinité (aussi la naissance dans l’Eglise – à savoir : le baptême « en Christ » - est-il effectué « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit »).

Le Christ est le Fils, qui révèle le Père et qui accomplit la volonté du Père. En lui, nous connaissons non seulement le Fils, mais encore le Père et en Lui, nous devenons avec Lui fils du Père, nous recevons la filiation divine, nous sommes adoptés par Celui que nous invoquons comme « Notre Père ». Etant le Corps du Christ, nous recevons sur nous le reflet de l’hypostase paternelle en même temps que celui de l’hypostase filiale. Bien plus : nous portons la force de leur relation mutuelle, de leur unité double : « que tous soient un comme Toi, Père, tu es en moi et je suis en Toi ». (Jn XVII :21). Cette double unité est la force de l’amour qui lie la Sainte Trinité : « Dieu est amour » (I Jn IV :8,16). L’Eglise, Corps du Christ devient participante de cet amour divin trinitaire : « nous viendrons et nous établirons chez lui notre demeure » (Jn XIV :23).


Commentaire/Analyse

Le Père Serge nous montre ici combien la théologie est subtile et demande de la précision. Il y a évidemment une distinction entre le Christ et le Corps du Christ. Le Corps du Christ n’est que son corps. Ce Corps n’est pas tout le Christ. Chaque chrétien est agrégé à ce Corps. Il ne devient pas le Christ mais il profite de Sa vie. Et Sa vie est intimement liée à une vie très étonnante : la vie trinitaire. Le Chrétien contemple la Sainte-Trinité comme un mystère insondable mais qui est puissant en termes d’enseignements et d’indications pour sa propre vie. La vie trinitaire particulière du Fils, est celle d’une vie qui reçoit tout par amour du Père, qui renvoie tout l’amour dont il est capable au Père et qui reçoit l’Esprit. Nous sommes agrégés au Corps de cette personne de la Sainte-Trinité. Nous ne sommes pas reliés de la même façon au Père ou à l’Esprit. Donc, nous recevons une vie qui reçoit toute sa vie et tout son amour du Père, unique source dans la Trinité, et nous recevons l’Esprit qui vient reposer sur nous. Il faut bien comprendre, que la Sainte-Trinité vit d’une façon qui est la façon dont nous devons vivre. Ce n’est pas un insondable mystère qui n’a pas d’impact direct sur notre vie. Ce que nous comprenons, de façon balbutiante : la Sainte-Trinité nous explique comment vivre. L’Église a pour tâche d’être l’image de la Sainte-Trinité sur terre.

C’est donc tout naturellement que le Père Serge introduit la notion d’hypostase, notion centrale dans la théologie orthodoxe. Ce mot d’hypostase, comme beaucoup de mots grecs utilisés dans la conceptualisation théologique, est un mot grec qui avait une vie propre avant d’être baptisé par les Pères de l’Église. On en retrouve des traces dans les écrits des écoles pythagoriciennes, platoniciennes (ou néoplatoniciennes) et aristotéliciennes. Puis les Pères vont reprendre ce terme pour lui donner une dimension chrétienne. Le terme d’hypostase est souvent rendu en français par « personne ». Mais il ne s’agit pas uniquement de la personne dans son équivalent d’individu. Car il n’y a rien de moins personnel (ou hypostatique) que l’individu. Ce n’est donc pas simplement la singularité. Ce qui caractérise l’hypostase, c’est la relation. Une hypostase, c’est une singularité de nature en relation avec d’autres hypostases. Le mot caractérise est même trop faible pour rendre l’importance de la relation. Ce qui est constitutif de l’hypostase est qu’elle est en relation. L’individu se suffit à lui-même. L’hypostase est en relation. Ce concept d’hypostase est difficile à saisir car il est la réponse humaine au paradoxe divin de la Sainte et Divine-Trinité : Un seul Dieu en Trois Hypostases. Il ne s’agit pas de trois dieux comme le pensent parfois les autres monothéistes. Laissons ici la théologie trinitaire et toutes ses subtilités, car le sujet de fond est l’Église. Nous apprenons de cette notion d’hypostase que l’Église se doit d’être un ensemble de personnes toutes reliées entre elles, qui reçoivent leur vie du Père et sur qui repose l’Esprit Saint. Qu’est-ce qui relie ces personnes entre elles ? l’Amour. De la même façon que les hypostases trinitaires s’aiment d’un amour divin, les hypostases de chaque chrétien dans l’Église sont censées s’aimer d’un amour divin. Il faut faire attention à cette phrase du Père Serge, anodine en apparence, et fondamentale en vérité : « Cependant, le Christ n’est pas qu’une personne divine, en tant que telle, car sa vie propre est indivisible de la Sainte-Trinité ». On ne peut pas penser une hypostase divine sans les deux Autres. On ne peut pas penser un chrétien, sans les autres : voilà la tâche qui nous est assignée comme façon de vivre. Un chrétien devrait pouvoir dire à n’importe quel autre chrétien : tu es ma priorité, car ma vie vient de ma relation à toi.

Venons maintenant au sujet de la filiation dont parle le Père Serge. Avant le ministère du Christ, Dieu était un Père allégorique. Nous étions ses enfants de façon imagée. Mais après le Christ, le Père devient véritablement « Notre Père ». C’est pourquoi nous pouvons l’appeler à juste titre ainsi. Il y a des gens qui sont dans une relation au divin, comme un ministre devant un souverain. C’est une relation possible. C’est une relation déjà importante. Mais c’est une relation qui n’aura jamais l’intensité, la profondeur et l’indissolubilité qu’un père entretient avec ses enfants. Car une fois les affaires d’état terminées, le ministre ne revoit plus le souverain. Et ce titre de ministre peut changer au gré des évolutions politiques. Or, le fils a une intimité avec le père que rien ne peut imiter. Et le Fils est pour toujours Fils du Père. Dieu est Notre Père à tout jamais. Comment devenons véritablement « fils de Dieu » ? C’est parce que nous avons le même sang que le Fils véritable, le Christ. Qu’est-ce qui témoigne de la filiation, sinon le sang ? Vous avez ici, expliquée, une des nombreuses dimensions de l’Eucharistie : il s’agit de nous approprier un sang, librement distribué, qui fait de nous des membres de la famille céleste. Nous passons ici de l’allégorique au génétique. C’est ici que l’on voit toute la nuance qui doit être faite entre allégorie et symbole. Car nous étions allégoriquement ses fils. Maintenant nous le sommes symboliquement. Cela n’a rien à voir. Je reviendrai sur cette distinction subtile…