L’Orthodoxie

l’Eglise

Selon l’enseignement des Pères, la vie éternelle que nous donne le Christ et qui consiste en ce « qu’ils te connaissent, Toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn XVII :3), commence dès ici dans cette vie temporelle. Cette éternité dans le temps, c’est justement notre contact avec la vie divine dans l’Eglise. En ce sens tout est invisible et mystique dans l’Eglise, tout dépasse les bords du monde visible ; mais tout l’invisible est aussi visible ou peut le devenir, et ce caractère visible de l’invisible est la condition même de l’existence de l’Eglise.

A cet égard, dans son existence même, l’Eglise est un objet de foi, elle est connue par la foi : « je crois en l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique ». Elle est aussi connue non seulement comme une qualité spécifique, comme un fait d’expérience, mais elle l’est encore dans sa quantité, comme l’ensemble vivant et composé de la vie intégrale et unique d’une multitude de personnes, comme catholicité (sobornost) à l’image de la triple unité divine. Nous ne voyons que la multiplicité fragmentée du genre humain, ou chaque individu mène une vie singulière et d’amour propre. Malgré la dépendance causale où ils se trouvent par rapport à leurs frères, en tant qu’êtres sociaux, les enfants de l’Adam unique ne « voient » pas unité multiple ni n’en ont conscience, cette unité qui se découvre dans et par l’amour, et qui existe par anticipation à l’unique vie divine dans l’Eglise. « Aimons-nous les uns les autres, pour que d’une seule pensée nous confessions le Père et le Fils et le Saint Esprit » : ainsi s’exclame l’Eglise avant d’accomplir le mystère de l’Eucharistie. Cette unité ecclésiale apparaît au regard de l’amour, non pas comme une réunion ou une assemblée, un phénomène extérieur que nous observons dans toute société mondaine, mais comme le fondement premier et mystique de la vie humaine.


Commentaire/Analyse



Le premier paragraphe de cet extrait aborde une notion souvent mal perçue par ceux qui sont peu ou pas catéchisés : l’éternité du Royaume ne commence pas après la mort. On peut l’expérimenter ici et maintenant. Affirmation gratuite et péremptoire du Père Serge ? En rien ! Le Père Serge a pu être audacieux sur bien des plans (certains le voient encore comme un hérétique aujourd’hui même, c’est vous dire sa grandeur théologique) en cela il est très traditionnel. En effet, comment expérimenter cet état avant de passer par la mort ? en vivant comme si Dieu était véritablement le roi. C’est-à-dire en imitant Dieu. Et c’est là, que le christianisme orthodoxe se distingue de toutes les visions jupitériennes du divin, telles qu’on peut en trouver dans l’islam par exemple. Bien évidemment nous ne pouvons pas imiter Dieu dans tous ses attributs de grandeur et de puissance. Mais nous pouvons imiter Dieu dans ses attributs de miséricorde. Cela tombe bien, c’est justement ce à quoi nous a appelé le Christ. Il nous faut être comme Dieu peut l’être à la mesure de nos moyens. Cela n’est exprimable que dans l’amour, d’où la place centrale de cette intensité de relation dans ce qui est attendu de l’orthodoxe. Pardonner l’impardonnable, c’est expérimenter le Royaume ici et maintenant. Il faut bien comprendre que le Royaume, la béatitude, ce n’est pas un état, c’est une relation. Ceci est déterminant. Si on prend bien la mesure de toutes les implications de ce postulat dogmatique et théologique, il n’y a plus de place pour aucune gnose qui donnerait le salut. Tout dans l’orthodoxie doit se considérer comme relation et non comme état. Tout est lié à une dynamique. C’est un Sinaï dont le sommet ne cesse de s’élever au fur et à mesure que nous le gravissons.



Le Père Serge aborde ensuite la notion de foi, dont j’ai parlé à plusieurs reprises déjà. Avec ce nouvel outil théologique, la foi doit donc être vue sous un angle davantage orthodoxe. La foi n’est pas un état. Il serait plus approprié de dire que la foi n’est pas un contenu. La foi est une relation. La foi en Christ n’est pas synonyme de salut. Il n’y a qu’un protestant pour croire à une sornette pareille. Avoir foi dans le fait que le Christ est ressuscité, est bien insuffisant en quoi que ce soit, car comme le rappelle Saint Jacques dans son épître, les démons aussi le savent. Mais eux ne montrent pas de miséricorde dans leur relation à autrui. Ceci nous amène à une passage clé des écritures, à savoir l’épitre du Saint Apôtre Paul aux Galates. Il y a une phrase comme Paul en a le secret qui est la suivante (Ga 2:16) chez Segond : “Néanmoins, sachant que ce n’est pas par les oeuvres de la loi que l’homme est justifié, mais par la foi en Jésus Christ”, dans la TOB : “Nous savons cependant que l’homme n’est pas justifié par les oeuvres de la loi, mais seulement par la foi de Jésus Christ” et enfin dans la Jérusalem : “Et cependant sachant que l’homme n’est pas justifié par la pratique de la loi, mais seulement par la foi en Jésus Christ”. On notera les différences. La voici en grec : “ειδοτες δε οτι ου δικαιουται ανθρωπος εξ εργων νομου εαν μη δια πιστεως χριστου ιησου”. Le point central, le cœur nucléaire de tout le protestantisme est ici : πιστεως χριστου. Il s’agit en grec d’un génitif. On peut lire foi en Christ ou foi du Christ. Luther a choisi foi en Christ. C’est grammaticalement possible. Mais c’est déjà un biais théologique. Car avant dans l’épître aux Romains, confronté au même génitif, dans le même cas de figure, il choisit de traduire foi d’Abraham. Alors, qu’est-ce qui nous sauve : la foi dans Jésus ou la foi de Jésus ? Sachant que la foi est une relation, reformulons : qu’est-ce qui nous sauve : notre relation au Christ, ou la relation du Christ au Père ? La première est bien fragile, et soumise à notre petitesse. La deuxième par contre, c’est du solide. Je vous laisse choisir, mais il me semble évident que Paul parlait de la relation du Fils au Père. Sinon la Croix n’a pas de sens. Nous reviendrons sur cette notion étonnante, et partagée par beaucoup d’orthodoxes, mais notre salut ne dépend pas de notre foi dans le Christ, mais bel et bien de la foi du Christ dans le Père. Nous avons ensuite librement, à nous intégrer dans cette démarche, en faisant partie de ce corps qui a été foi absolue dans la miséricorde du Père. Donc, bien évidemment, cela dépend un peu de nous, mais le protestantisme a eu une intuition ici : notre salut dépend beaucoup moins de nous que nous ne le pensons habituellement. Mais nous avons un impact dans la démarche globale.