L’Orthodoxie

l’Eglise

Du moment que l’Eglise est la vie divine donnée à la créature, en raison de cette puissance sacrée qui est la sienne, est-il possible, est-il convenable de parler de son apparition dans le temps, de sa création ? En Dieu, chez qui « il n’y a point variation ni ombre de changement » (Jac I :19), dans le plan suréternel de la création dans la Sagesse de Dieu qui en est « le principe » (Sag VIII :22) [2], il n’y a pas de choses qui se produisent. L’on peut dire que l’Eglise est la fin et le fondement suréternels de la création : c’est en vue de l’Eglise que Dieu a créé le monde. En ce sens, « elle est créée avant toute chose et le monde a été créé pour elle » (Hermas : Pasteur, Vis. II,4,1).

Dieu a créé l’homme à son image, mais cette image, c’est-à-dire la divine similitude de l’homme, contient déjà le projet et la possibilité de l’ecclésialisation de l’homme, ainsi que de l’incarnation divine, car Dieu ne pouvait assumer la nature que d’un être qui lui fût conforme, qui possédât son « icône ». Dans la vivante unité multiple du genre humain se trouve déjà contenue celle de l’Eglise, à l’image de la Sainte Trinité.

Pour ce qui est de l’existence de l’Eglise dans l’humanité, il est donc difficile de parler d’un moment où elle n’eût pas existé, du moins comme prémisse : selon les Pères, dès le Paradis, avant la chute, lorsque le Seigneur venait s’entretenir avec l’homme et qu’il tenait commerce avec lui, nous avons déjà l’Eglise créée à l’origine. Après la chute, avec le proto-Evangile de « la semence de la femme » (Gn III :15), le Seigneur pose par cette promesse, le commencement de ce qu’on appelle l’Eglise vétéro-testamentaire, école et lieu de la relation avec Dieu. Même dans les ténèbres du paganisme, dans sa recherche naturelle de Dieu, il y a « une église stérile » (comme le dit une hymne liturgique).

Certes, l’Eglise n’atteint la plénitude de son être qu’à partir de l’incarnation divine. En ce sens, l’Eglise est fondée par le Seigneur Jésus-Christ (« je bâtirai mon Eglise », Mt XVI :18), et elle est réalisée par la Pentecôte. Toutefois ces événements posent le principe de l’Eglise, ils n’en sont pas encore l’accomplissement. De « militante », il lui incombe encore de devenir « triomphante », celle où « Dieu sera tout en tous » (Eph I :23 ; Col III :11).

Ainsi, il n’est pas possible de définir les limites de l’Eglise ni dans l’espace, ni dans le temps, ni quant à sa puissance. Et donc, si elle n’est pas toute « invisible », l’Eglise n’est effectivement pas connaissable jusqu’au bout.

2 : Sur la Sophie divine comme principe de la création, v. La Lumière sans déclin et Le Buisson ardent


Commentaire/Analyse



Le Père Serge est préoccupé ici avec les notions de continuité, de nouveauté, et de possibilité. C’est le temps qui brouille tout cela et le rend plus compliqué. Ces notions rendent aussi délicates les relations de l’Eglise avec son passé, avec l’ancienne alliance. Elle a toujours été tiraillée entre continuité et abolition.

La continuité est une problématique philosophique liée à la divinité. Philosophiquement, conceptuellement, il n’y a pas de variation en Dieu, qui est hors du temps et de l’espace. Et pourtant il y a un avant et un après du don de la vie divine. Mais de la même façon qu’il y a un avant et un après pour tout à partir de la création du monde et de sa confrontation avec le temps. Il y a un avant et un après la lumière. Il y a un avant et un après la désobéissance. Il y a un avant et un après Abraham. Etc. Et donc, tout naturellement, il y a un avant et un après le don de la vie divine dans l’Eglise. Pour l’Eglise, les choses sont quelques peu différentes. Car le monde n’a pas été crée en vue de la lumière, en vue de l’obéissance, en vue du patriarche Abraham. Mais l’Eglise et le don de la vie divine qu’elle permet est le but de la création du monde. Dieu créé un monde pour être en relation avec lui. Dieu est aux antipodes des conceptions déistes qui Le voyaient se retirer et laisser l’homme réaliser les choses comme il le souhaitait.

Non. Dieu a créé un monde qui pourrait lui « échapper ». Mais toujours pour être en relation avec lui. Ainsi Dieu ne se présente pas comme dans une conférence du CNRS, comme étant celui qui a créé les lois physiques, les milliards de galaxie, les milliards de soleils que contiennent chacune des galaxies, etc. Au contraire, lorsqu’il parle à Moïse et lui donne la Loi qui va permettre d’identifier le Christ, il dit « Je suis l’Eternel ton Dieu qui t’a fait sortir d’Egypte ». C’est-à-dire une notion non pas de pouvoir théurgique ou démiurgique, mais une notion relationnelle. Tu es en esclavage ? je te sors d’esclavage. Tu es malade ? Je te guéris. Tu es dans les ténèbres. Je t’envoie la lumière. Mais toujours librement. Je te donne la possibilité de sortir d’esclavage. Tous les hébreux n’ont pas suivi Moïse. Je te donne la possibilité de guérir. Il faut bien comprendre que Dieu ne force pas. L’enfer devrait d’une certaine façon être vu dans la perspective inverse de la perspective habituelle : Dieu n’imposera pas Sa présence éternelle à quelqu’un qui ne le souhaite pas lors du jugement dernier. Ainsi, cette présence divine se conçoit, se prépare, s’élabore et s’expérimente dans l’Eglise. Et cette Eglise parvient elle aussi à une maturité, lors de l’Incarnation.

Néanmoins, si l’on devait retenir un élément déterminant pour l’Eglise, dans tous les éléments qui l’ont vu se bâtir tout au long de l’histoire, ce serait indubitablement la Pentecôte. Le Saint Esprit va guider la personne vers le baptême, puis à l’intérieur de l’Eglise jusqu’à réaliser sa déification personnelle. Librement.