L’Orthodoxie

l’Eglise

Cependant, son aspect incognoscible, son caractère inépuisable, le fait que ses profondeurs restent insondables, ne la rendent pas invisible au sens qu’elle n’existerait pas ici-bas dans des catégories accessibles à l’expérience terrestre ou qu’elle serait entièrement transcendante, ce qui aurait pratiquement équivalu à un non-être.

Ah non ! malgré son être « secret », l’Eglise est visible, accessible à l’expérience terrestre, elle a des limites, elles est cantonnée dans l’espace comme dans le temps. Sa vie invisible, la vie de la foi son intimement liées à des formes parfaitement concrètes de la vie sur terre. « L’invisible » existe dans le visible, il y est contenu, il est enté sur le concret par le symbole. A proprement parler, le symbole est quelque chose qui appartient à ce monde et qui a pourtant un contenu surmondial : c’est une certaine liaison du transcendant et de l’immanent, un pont entre le ciel et la terre, un ensemble divinement créé, une unité théanthropique.

A cet égard, la vie de l’Eglise est symbolique, elle existe mystiquement sous le symbole visible. Opposer « l’Eglise invisible » à la société visible des hommes (encore que cette opposition intervienne à propos et à cause de l’Eglise inférieure), c’est détruire ce symbole et donc abolir l’Eglise elle-même comme l’unité des vies divine et créée, pour la transcender dans un domaine nouménal et en évacuer le domaine phénoménal.

Or si l’Eglise en tant que vie contenue dans l’Eglise terrestre, il est par là même donné que celle-ci, comme toute chose de ce monde, a des limites spatio-temporelles. Sans être rien qu’une société, laquelle ne l’englobe pas ni ne l’épuise, elle n’en existe pas moins comme société ecclésiale, avec ses signes, ses lois et ses dimensions. Elle est pour nous et en nous, dans notre existence terrestre et temporelle. Elle a aussi son histoire, car tout ce qui existe au monde est à l’état historique.

Ainsi, l’être de l’Eglise, éternel, immuablement divin, apparaît dans la vie de ce siècle comme une manifestation et une réalisation historiques. Il a donc aussi son commencement dans l’histoire. L’Eglise a été fondée par le Seigneur Jésus Christ qui, pour la bâtir, a posé comme roc la confession de saint Pierre, faîte au nom de tous les Apôtres. Il les envoya après sa résurrection pour la prédication de l’Eglise, qui reçut son être néo-testamentaire par la descente du Saint Esprit sur les Apôtres. Après quoi, le premier appel apostolique vers l’Eglise fut proclamé par la bouche de saint Pierre : « convertissez-vous ! Et que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus Christ, et vous recevrez le don du Saint Esprit » (Act II,38). « Et ce jour-là, près de trois mille personnes se joignirent à eux » (Ibid, 41). Ce fut le commencement de l’Eglise du Nouveau Testament.


Commentaire/Analyse



Le Père Serge utilise cette distinction très déroutante au départ : Eglise du Nouveau Testament. Ce qui implique qu’il existe une Eglise vétéro-testamentaire. Il développe certaines analyses avec ce niveau de précision. Tout ce qu’il a présenté au niveau conceptuel lui permet d’aboutir à cette distinction. L’outillage conceptuel principal est le fait que « cohabitent » dans l’Eglise deux niveaux de réalité : le visible et l’invisible. Elles sont suffisamment parlantes pour que je n’aie pas à les commenter davantage. L’Eglise visible, historique, concrète, a été fondée par le Christ, vers l’an 30, après la profession de foi de l’Apôtre saint Pierre. De nombreux ouvrages le présentent ainsi. Ils n’ont pas tort. Mais ce n’est pas que cela. L’Eglise invisible, mystique ne peut être enfermée dans ce genre de choses finies. Cette juxtaposition du visible et de l’invisible est du domaine christologique. L’Eglise en tant que Corps du Christ a une « partie » visible qui correspond à la « partie » humaine du Christ, et de même avec le divin et l’invisible. Méfions nous bien du mot « partie », car il a tendance à segmenter, à couper le Christ en deux : une partie humaine et une partie divine. Ce n’est pas cela, et il en est de même pour l’Eglise. Ce que les conciles ont enseigné sur le Christ et les divers rapports entre ses deux natures doit nous guider dans la contemplation des rapports entre le visible et l’invisible dans l’Eglise : une union sans confusion, pour reprendre la formulation du quatrième concile œcuménique (Chalcédoine en 451).



Le Père Serge aborde ensuite la notion de symbole, en expliquant qu’il est ce qui permet de considérer la possibilité de connaître l’invisible à partir du visible. En réduisant la subtilité du propos pour le rendre davantage accessible, on dira que le symbole dans l’Eglise permet, depuis un élément du visible, de « passer » à l’invisible. Lisez et relisez, et relisez encore ce qui est dit ici sur le symbole. Il est vital pour un chrétien d’avoir une vie liturgique, mais celle-ci se doit d’être vécue en pleine connaissance de cause. Il ne faut pas succomber aux visions qui ont à voir avec l’émotion, l’esthétique, le psychologique, etc. Il faut savoir, de façon brute, ce qu’il se passe à une liturgie. La compréhension du symbole est pour cela incontournable et vitale. Cette compréhension permet d’éviter deux erreurs théologiques : l’Eglise uniquement terrestre ou l’Eglise uniquement céleste. Ce retournement du sens, pour ceux qui n’avaient pas identifié la centralité du symbole dans la vie chrétienne, est massif au départ. La liturgie prend une autre ampleur. Le regard porté sur l’Eglise change. Le regard porté sur chaque chose change : le Christ, les Saints, etc. C’est là où l’on comprend toute la différence entre l’orthodoxie et les formes de christianisme ayant abandonné la dimension liturgique des choses. Dans ces dernières, la foi salvifique dans le Christ est tout. Dans l’orthodoxie, sans renier la centralité du salut en Christ, nous ajoutons une compréhension renouvelée du monde. Cette compréhension est fondamentale dans l’étude des Pères de l’Eglise.